En Europe, les voies ferrées sont passées de 23 000 à 283 000 kilomètres entre 1850 à 1900. Sur les dix dernières années, la Chine a mis en place 38 000 kilomètres de voies ferrées. Deux siècles donc après son invention, ce moyen de transport est à l’heure du renouveau. Antoine Pecqueur va plus loin et souligne que le train peut permettre de comprendre autrement les enjeux du monde contemporain. C’est à ce voyage qu’il nous invite. 

L’organisation du livre

Son livre est organisé par continents. Chaque cas est développé sur quelques pages, ce qui permet d’offrir 25 exemples différents. Plusieurs informations complémentaires sont proposées avec des dates, des encarts et des cartes. Le livre aborde à la fois des cas existants ou des projets en train de se réaliser. Ajoutons que la mise en page est très agréable et est servie également par une cartographie réalisée par Arthur Beaubois-Jude.

Embarquement pour l’ Europe centrale et orientale

Dans cette première partie, le livre aborde le continent européen et commence par le Rail Baltica qui doit permettre l’intégration des pays baltes dans le réseau européen. C’est aussi une façon pour les pays baltes de se détacher de l’influence de la Russie. Pour une autre partie du continent, on apprend qu’en 2020 Eurostar a perdu 85 % de ses passagers. L’Autriche quant à elle  se positionne comme le hub européen des trains de nuit. Au niveau des Balkans, les lignes ont subi la balkanisation de l’ex-Yougoslavie.

Les multiples dimensions d’une approche par le chemin de fer

On mesure les dimensions économiques, politiques et environnementales à travers l’exemple du Lyon Turin. Le chantier aurait dû se terminer en 2015 mais le retard s’explique par la divergence d’intérêt entre la France, l’Italie et l’Union européenne. En Suisse le modèle ferroviaire se caractérise par sa ponctualité, son cadencement et sa densité. Un Suisse parcourt en moyenne 2400 kilomètres par an, soit deux fois plus qu’un Français. La Suisse est le pays qui a le plus investi pour ses infrastructures. Le cas de la Russie illustre bien la dimension géopolitique. Le train est une manière de manifester l’annexion de la Crimée par le train. La traversée se faisait jusque-là en ferry. Le but du pont est de ne pas passer par l’Ukraine et le train apparait comme un véritable ciment de la patrie russe.

Les trains au Moyen-Orient 

Le conflit kurde a entrainé l’arrêt du Transavia pendant quatre ans. 2400 kilomètres séparent Téhéran d’Ankara. Les suspensions du trafic suivent le rythme des soubresauts géopolitiques. On découvre des projets étonnants comme le train du futur qui devra relier Dubaï à Abu-Dhabi. Là où il faut actuellement deux heures en voiture, il faudra douze minutes grâce à la technologie hyperloop. 

ChinAfrique

Le Tazara a été inauguré en 1976 et cette construction a représenté le premier projet de ce qu’on n’appelait pas encore la Chinafrique. Alors que la Chine est à l’époque plus pauvre que les pays africains, elle en devient le bailleur. Cette construction fit plus de 160 morts officiellement. Antoine Pecqueur explique ensuite le rêve de boucle ferroviaire de Vincent Bolloré qui cherche à connecter le Sahel aux ports du Golfe de Guinée. C’est une ligne de 2700 kilomètres qui se retrouve au coeur d’une vaste bataille judiciaire avec en arrière plan de puissants intérêts géoéconomiques. Aujourd’hui, la Chine tente d’entrer dans le jeu.

Ressources et inégalités

Le livre évoque ensuite le train du désert qui traverse la Mauritanie. Construite pour acheminer le minerai de fer, la ligne longe la frontière entre la Mauritanie et le Sahara occidental. Ce train traverse le désert du Sahara sur 700 kilomètres avec six rotations quotidiennes, à trente kilomètres heure en moyenne. Le chapitre se termine par le cas sud-africain où on constate que l’inégalité sociale se voit à travers le rail. Selon le train choisi, le billet Johannesburg-Le Cap coute de 40 à 2500 euros.

Les trains en Amérique

La fusion de deux compagnies de fret doit aboutir à la création du premier réseau transcontinental réunissant le Canada, les Etats et le Mexique. C’est une conséquence directe du traité de libre échange signé en 2020 et qui prend la suite de l’Alena. Le frêt est la priorité des Etats-Unis car 40 % des marchandises transitent par ce biais. Aux Etats-Unis, le réseau à grande vitesse est relancé par Joe Biden. En 1917, l’extension maximale était de 400 000 kilomètres alors qu’en 2010 le réseau ne s’étendait plus que sur 288 000 kilomètres. Il faut aujourd’hui quatre jours pour aller de New-York à Los Angeles. L’auteur parle ensuite de « la Bestia », le train des migrants : c’est le train sur lequel montent les migrants venant d’Amérique latine. On estime que 500 000 l’empruntent chaque année. 

Géopolitique du rail en Asie

Le chapitre commence par les nouvelles routes de la soie en rappelant qu’elles se déclinent autour du maritime et du ferroviaire. Dans quelques années, les deux tiers de la population mondiale sera connectée aux nouvelles routes de la soie. L’auteur évoque ensuite le premier TGV construit entre Pékin et Tianjin en 2008. On voit aussi l’exemple de la ligne entre Beijing et Lhassa, exemple de la politique assimilatrice de la Chine qui, par le rail, favorise l’immigration de l’ethnie Han. La ligne a nécessité la construction du plus haut tunnel au monde. La sinisation passe par le rail également dans le Xinjiang. En Corée du Nord, Antoine Pecqueur raconte les voyages en convoi blindé des dirigeants nord coréens. 

Au terme de cet ouvrage, on mesure effectivement combien le train peut être un révélateur de nombreux enjeux du monde contemporain. Antoine Pecqueur propose donc un voyage à la fois instructif, original et informé. Un vrai plaisir de lecture. Embarquez avec lui sans hésitation.