Cette fois ci, il traite de la mémoire de ce conflit mais vue du côté des victimes de l’OAS.
On sait que cette organisation armée secrète a été constituée aux lendemains de la tentative de putsch des généraux après Avril 1961. Le Général Salan en était l’un des chefs, avec un autre putschiste en fuite, le général Jouhaud.
Réunissant des militaires déserteurs, farouches partisans de l’Algérie française, des militants d’extrême droite issus de différentes mouvances, poujadistes ou catholiques intégristes, les activistes de l’OAS ont voulu créer les conditions de la terreur pour empêcher l’inéluctable, l’indépendance de l’Algérie dont de Gaulle avait commencé à parler dans son discours de 1960 sur l’Algérie algérienne. La rue d’Alger, entendons les européens de la ville blanche, ont ainsi voulu rééditer leur exploit du 13 mai 1958, à savoir faire plier le gouvernement de la République et imposer une politique conforme à leurs vues. Il est vrai qu’ils avaient de quoi être déçus. Croyant ou voulant croire que de Gaulle, dans toute son ambiguïté, voulait garder l’Algérie française, ils espéraient que la rue déferait à nouveau en 1960 ce qu’elle avait fait en 1958. La fermeté de de Gaulle, l’échec du putsch d’Avril 1961 ont conduit ces activistes à une fuite en avant vers le terrorisme et la pratique des exécutions sommaires ciblées ou en aveugle.
2271 personnes, françaises et algériennes sont mortes assassinées par l’OAS pendant cette période.
Les témoins, enfants des victimes
L’OAS s’est ensuite illustrée dans des tentatives d’assassinat contre le Général de Gaulle et notamment la tentative du Petit Clamart le 22 août 1962.
Le film montre, à partir des témoignages d’enfants de victimes, la logique de fuite en avant de ceux que de Gaulle appelait des soldats perdus mais que d’autres appellent plus simplement des meurtriers. Comment en effet qualifier autrement l’assassinat du commissaire Roger Gavoury, chef dela sécurité à Alger le 1er juin 1961 ? Comment appeler autrement l’attentat de Château Royal le 15 mars 1963. Ce jour là, ce sont six enseignants des « centres sociaux d’Algérie » qui sont exécutés par un commando de l’OAS. On passera sur l’ensemble des actes commis par ces meurtriers. Les attentats en Algérie mais aussi en territoire métropolitain, les incendies comme celui de la bibliothèque d’Alger, (tout un symbole), avaient trois objectifs : terroriser les adversaires de l’Algérie française, créer une spirale de représailles-contre-représailles avec comme objectif de faire basculer l’armée et, à la fin, celui de « ne rien laisser aux arabes ». C’est dans le quatrième tome de son ouvrage consacré à la guerre d’Algérie que Yves Courrière parle des « feux du désespoir ».
Le film de Djamel Zaoui ne traite pas de l’histoire de la guerre d’Algérie à proprement parler mais de ce phénomène insidieux qui touche à la mémoire de ce conflit. Certes les questions sont encore sensibles et le débat sur loi de février 2005 sur le « bilan positif de la colonisation » l’a montré. L’histoire de la guerre d’Algérie n’est pas encore à écrire contrairement à ce que l’on peut lire parfois.
Captation de mémoire ou d’héritage ?
C’est bien de la mémoire qu’il s’agit et dans ce domaine, le combat est engagé. Il est engagé dans une concurrence mémorielle, sur un terrain que les nostalgiques de l’Algérie française ont investi dans le sud de la France et cela depuis de nombreuses années. C’est dans le midi de la France, entre Nice, Marseille, Montpellier et Perpignan que ce sont installés ceux que l’on appelait alors les rapatriés d’Algérie, ces pieds noirs au verbe haut, arrivés par vagues massives en 1962. C’est dans ce midi de la France qu’à lieu ce que dénonce le film, une captation mémorielle, une réhabilitation insidieuse de criminels. Certains monuments, certaines stèles érigées dans des communes du Languedoc et des Bouches du Rhône portent ainsi les noms d’assassins de sang froid exécutés aux termes de procès comme Roger Degueldre, Albert Dovecar, Claude Piegts ou Bastien Thiry.
Ce mouvement a commencé à Nice, sous la municipalité de Jacques Médecin dont les liens avec les activistes de l’Algérie Françaises étaient de notoriété publique, il a lieu à Valras Plage, à Marseille ou à Toulon. Il s’agit clairement d’une captation de l’Algérie française par l’OAS qui ne se limite pas à un certain lobbying mais bien à une volonté de réhabilitation d’un discours. Certains milieux de la droite française qui se réclament pourtant du gaullisme semblent très perméables à ces logiques. Il suffit de jeter un œil sur le site de l’ADIMAD qui parle de l’OAS en disant l’Organisation, et qui propose cendriers et autres objets de ce type au sigle de l’OAS pour découvrir la liste des maires du sud de la France qui ont cautionné ces réhabilitations de meurtriers.
Ce film est donc à certains égards édifiant et utile toutefois on ne pourra pas s’empêcher d’émettre quelques réserves. Sur la forme d’abord. Si l’on ne peut que comprendre le choix de mettre en avant la souffrance des enfants des victimes, on peut quand même s’étonner que les historiens ne soient pas davantage mis à contribution. Bien des événements évoqués dans le film auraient pu alors être mieux expliqués. On a parfois l’impression d’un montage parfois trop rapide et l’on ressort déçu au final de ce visionnage.
Pourtant le début, avec des images d’archives, était très prometteur mais ensuite, les trop longues séquences de témoignages lassent un peu.
Avec beaucoup de précaution j’aurais aussi envie de déplorer quelques effets faciles. Le mariage après des combats communs de deux enfants de victimes, Thierry et Safia. La cérémonie à la mairie et même le baiser des mariés après le « je vous déclare unis par les liens du mariage » ne nous sont pas épargnés. Le happy end n’a peut être pas sa place dans les films d’histoire.
On suivra pourtant avec beaucoup d’attention les films de Djamel Zaoui parce qu’ils interpellent et révèlent des faits et des épisodes trop longtemps dissimulés.
Pour écrire ces lignes dans le sud de la France et pour avoir vu le jour de l’autre côté de la grande bleue, je suis d’autant plus sensible à cette démarche qui réveille aussi mon histoire mais il y a l’Histoire et la nécessité de la transmettre. On aurait aimé que ce film nous y aide encore davantage.
Bruno Modica