Sophie Lamoureux, auteure de plusieurs ouvrages pour la jeunesse, dont le très remarqué « Sur la piste du soldat inconnu » déjà chroniqué, s’attaque avec Amélie Fontaine, illustratrice entre autres, d’« I’ like Europe », à un sujet brûlant à savoir celui des migrants. Ce livre est conseillé à partir de 12 ans.

Une articulation texte-illustration de grande qualité

Pour chaque thème abordé, on trouve un titre, souvent formulé sous forme d’interrogation, quelques lignes introductives dans une couleur, tandis que le reste du texte apparait en noir. La lecture est facilitée par des sous-titres. A chaque double page, on trouve du texte et une illustration, mais pas toujours à la même place. Il arrive parfois que le texte déborde sur l’illustration. En bas de page, et d’une autre couleur, s’ajoutent d’autres informations de synthèse. Dès le sommaire, se dessinent les choix de l’auteure, à savoir partir de la situation actuelle pour ensuite resituer le phénomène dans l’histoire. Les mots en couleurs, soit une vingtaine, sont définis dans un lexique à la fin et l’auteure donne également les références utilisées pour certaines des double pages.

Portrait du migrant actuel

Sophie Lamoureux définit d’abord son sujet en distinguant migrant, émigration, immigration ou encore réfugiés. Le livre dresse la liste des principaux pays d’origine des réfugiés en donnant quelques repères pour chaque pays : la Libye, la Syrie, l’Erythrée, l’Afghanistan ou encore l’Irak. L’auteure poursuit sur les raisons qui font qu’on quitte son pays, puis elle précise quels sont les pays d’installation en rappelant que les Etats-Unis accueillent 20 % des migrants dans le monde, mais aussi que dix pays représentent la moitié des migrants internationaux. Sophie Lamoureux évoque aussi les façons de voyager sans rien édulcorer : « plus de 40 000 migrants sont morts dans le monde depuis l’an 2000 en tentant de gagner l’Europe, les Etats-Unis, l’Australie ».

Pas de pathos dans l’illustration

Il faut souligner le choix fait par Amélie Fontaine d’offrir des illustrations qui ne versent jamais dans le pathos. En effet, sur un tel sujet on aurait pu avoir des dessins un peu larmoyants. Alors, certes, il ne s’agit pas non plus que soit niées la difficulté et les souffrances, mais cette façon d’illustrer accompagne la lecture plus qu’elle ne la bloque. Elle propose ainsi une illustration sobre et parlante pour la question des sans-papiers et on apprécie aussi sa mise en image autour du thème «  Pourquoi quitter son pays ». Toutes les illustrations peuvent donc former des points d’entrée dans le thème et permettent de moduler les usages que l’on peut faire de ce livre.

Une nouvelle vie

Sophie Lamoureux consacre plusieurs pages à l’après, c’est-à-dire lorsque le migrant arrive dans un nouveau pays. A travers quelques questions, elle donne à voir ce que peut être cette nouvelle vie. Elle aborde la question du déracinement, de la vie quotidienne ou encore de l’accueil ou du rejet par les populations locales. L’approche se fait autour de plusieurs pays comme les Etats-Unis, la France ou l’Allemagne. L’auteure souligne qu’aux Etats-Unis, les deux tiers des Asiatiques se marient hors de leur groupe, là où les mariages entre noirs et blancs ne représentent que 10 % des cas.

Les migrations dans l’histoire

Ensuite, le livre s’attache à resituer les migrations dans l’histoire. Un des thèmes s’intitule d’ailleurs : « Toute l’histoire est marquée par de grandes vagues migrations ». Plus près de nous est abordé le destin paradoxal de l’Europe qui passe de terre d’émigration à terre d’accueil. Les chiffres fondamentaux sont là : entre 1820 et 1920, ce sont 60 millions de personnes qui ont quitté l’Europe, alors qu’aujourd’hui le continent est l’eldorado pour de nombreux migrants. Une double page prend le temps d’évoquer ceux qui sont allés en Amérique aux XIX et XX ème siècles. Sophie Lamoureux souligne le phénomène des diasporas hier et aujourd’hui. Elles sont souvent le résultat de persécutions.

Et la France ?

Dans une dernière partie, même si elle n’est pas matérialisée comme telle, l’ouvrage aborde plusieurs questions sous l’angle de la France. Une première double page dresse un constat sur « l’immigration en France » et rappelle des données fondamentales comme le fait qu’ un « Français sur quatre est issu de l’immigration ». En se donnant la profondeur historique nécessaire, on apprend aussi que pendant longtemps les Français ont peu émigré mais que le phénomène a tendance à s’inverser depuis une dizaine d’années pour les diplomés. Sophie Lamoureux s’intéresse ensuite aux « immigrés de France » par une approche à la fois historique et par nationalités. Elle revient enfin sur les procédures qui font qu’on peut devenir français.

Migrations et idées reçues

Tout au long du livre, on peut relever des informations qui déminent certaines idées reçues. Il faut dire aussi l’ambition de l’ouvrage qui fournit des éléments chiffrés conséquents, sans jamais verser dans une avalanche inutile de chiffres. Sait-on bien qu’un humain sur trente est un migrant ou encore que les migrants envoient trois fois plus d’aides dans leur pays que ce que les Etats riches dépensent en aide au développement. Un tiers des migrations se font entre pays du Sud. Sophie Lamoureux n’élude aucune question.

Et pour nos cours ?

Dans le nouveau programme de 4 ème une question est intitulée « un monde de migrants ». Le programme invite à « montrer aux élèves l’importance des grands mouvements transnationaux de population que le monde connaît et qui sont d’une ampleur considérable. Les migrations transnationales, dont les motivations peuvent être extrêmement variées …, sont souvent au centre de l’actualité et il est important que les élèves comprennent que cette géographie des migrations n’est pas centrée sur la seule Europe, ni marquée par les seuls mouvements des « Suds » vers les « Nords », mais comporte aussi des foyers de migrations intracontinentales sud-sud. ».

L’ouvrage de Sophie Lamoureux et Amélie Fontaine est donc à conseiller car, sur un sujet porteur souvent d’idées reçues et d’approximations, il apporte des faits précis, chiffrés et contextualisés. Bref, ce documentaire offre tout ce qu’il faut aussi pour préparer ses cours. Un ouvrage à acquérir sans aucun doute.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.