L’ouvrage Hervé de Guébréant (1880-1972), De Saint-Pol-de-Léon et Landerneau à Vichy : un grand notable breton, de David Bensoussan, est paru aux Presses Universitaires de Rennes (PUR), dans la collection « Histoire », au début de l’année 2025.

David Bensoussan : spécialiste de l’histoire politique du monde rural et breton

David Bensoussan, âgée de 60 ans, docteur en histoire de l’IEP de Paris, est professeur de chaire supérieure au lycée Chateaubriand de Rennes. Ses travaux portent sur l’histoire politique du monde rural. Il a publié en 2006, Combats pour une Bretagne catholique et rurale. Les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres chez Fayard.

L’ouvrage est divisé en 4 parties comportant chacune une conclusion. Outre une introduction générale (p. 13-18), suivent les parties I (p. 19-92), II (p. 93-184), III (p. 185-298) et IV (p. 299-438). Puis un épilogue (p. 439-440), une conclusion générale (p. 441-446), des annexes (au nombre de 13 / p. 447-470), des sources et une bibliographie (p. 471-482), un index (p. 483-492) et, enfin, une table des matières (p. 493-500) complètent l’ouvrage.

L’héritier

La première partie, intitulée « L’héritier » (p. 19-92), est composée de 3 chapitres : Les Guébriant à Saint-Pol-de-Léon : histoire d’un ancrage notabiliaire réussi (p. 21-52) ; De la notabilité en héritage à la construction d’une légitimité dans le champ de l’organisation professionnelle agricole (p. 53-72) ; L’épreuve de la Grande Guerre (p. 73-88) et de la conclusion de la première partie (p. 89-91).

Hervé de Guébriant est d’abord une figure d’héritier lors de son enfance au château. Jeune homme, il fait aux côtés de son père l’expérience des combats politiques contre les milieux républicains. Mais également au sein du monde catholique face aux démocrates-chrétiens d’autant plus détestés qu’ils remettent en cause la prétention de l’aristocratie rurale à représenter les populations catholiques bretonnes. L’apprentissage de la notabilité se fait alors dans la conscience des propriétés personnelles dont le dote son appartenance à l’élite nobiliaire et des contestations dont elle fait l’objet.

Entre-temps, il s’est engagé dans des études agronomiques qui favorisent son implication dans l’organisation professionnelle du monde agricole comme de nombreux représentants de l’aristocratie rurale. Bien des incertitudes pèsent encore sur un devenir qui est loin d’être tracé.

Sa participation à la fondation de l’Office central de Landerneau en 1911 est une date décisive même si elle ne s’affirme comme telle qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le processus de construction d’une légitimité d’ordre professionnel est interrompu par la Grande Guerre, dont il fait l’expérience redoutable et relativement singulière. Fait prisonnier en 1915, il passe une partie de la guerre dans un camp en Bavière avant d’être interné en Suisse puis libéré à l’approche de l’armistice.

Le bâtisseur

La deuxième partie, nommée « Le bâtisseur » (p. 93-184), est formée de 4 chapitres : À la tête de l’Office central (p. 95-114) ; L’affermissement d’une autorité professionnelle (p. 115-132) ; Une grande figure de notable (p. 133-156) ; Combats syndical et corporatiste (p. 157-180) et de la conclusion de la deuxième partie (p. 181-184).

Au sortir de la guerre 1914-1918, cette légitimité associée aux vides créés par la guerre au sein de l’équipe dirigeante de l’Office central lui offre l’opportunité d’en devenir président. Au cours des vingt années qui suivent, il en est le véritable bâtisseur, opérant des choix stratégiques qui témoignent de ses qualités personnelles et de la valorisation des ressources qu’il a héritées de sa famille et de son parcours d’étude. La réussite du modèle de l’Office central ne peut se comprendre que dans l’interaction entre les contraintes multiples auxquelles il est confronté et sa capacité à y faire face. C’est en tout cas avec la réussite de l’Office central que sa figure de notable traditionnel prend une nouvelle dimension.

Son élection comme président de la chambre d’agriculture du Finistère en 1927 institutionnalise cette autorité aux yeux des masses paysannes. Elle renforce sa représentativité et son insertion dans les réseaux agrariens solidement constitués à l’échelle du pays. L’hostilité à l’État républicain tout comme la volonté de contrôler la modernisation des campagnes explique cette particularité. Également, on peut analyser son action notabiliaire comme celle d’un entrepreneur en politique au service du corporatisme comme modèle alternatif au régime républicain.

Son parcours est emblématique de la radicalité qui s’empare des milieux agrariens de l’Union centrale des syndicats agricoles (UCSA), dont il est le vice-président. Les agrariens la transforment, en 1934, en Union nationale des syndicats agricoles (UNSA) pensée comme une machine de guerre contre le régime républicain. Elle est la préfiguration d’un ordre corporatif auquel ils aspirent. Technicisation du politique et dépolitisation du social sont au cœur de ce projet.

 L’accomplissement

La troisième partie, appelée « L’accomplissement » (p. 185-298), est agrémentée de 4 chapitres : L’apôtre de la Corporation paysanne (p. 187-220) ; Syndic régional (p. 221-236) ; Un notable dans la guerre (p. 237-266) ; Le temps des épreuves (1944-1945) (p. 267-294) et de la conclusion de la troisième partie (p. 295-298).

Cette stratégie notabiliaire à l’intersection de l’ancrage social finistérien et des aspirations politiques nationales trouve son débouché dans le régime de Vichy, accomplissement apparent de la trajectoire de ce grand notable breton. Nommé, en décembre 1940, président de la Commission nationale d’organisation corporative par le maréchal Pétain, il est chargé de mettre sur pied la Corporation paysanne dont il devient le syndic régional pour les départements des Côtes-du-Nord et du Finistère. Organiser le monde agricole se déploie désormais dans son esprit à l’horizon de la nation tout entière, dans une entreprise de régénérescence qui participe de la Révolution nationale. Pressenti un temps comme gouverneur d’une province de Bretagne reconstituée, il devient membre du Conseil national de Vichy.

Figure d’autorité, il se présente dès lors comme une figure de pouvoir, véritable consécration qu’il paye de multiples tracas. Des derniers éclairent les dissensions qui traversent la Commission et le rapport de force permanent qui l’oppose aux différents ministres de l’Agriculture. Les nombreux entretiens qu’il a avec le maréchal Pétain dévoilent les ressorts d’une vénération qui confine à l’absence de lucidité.

La Libération est, par la suite, un temps d’épreuves redoutables pour Hervé de Guébriant : la mort de son fils, maire de Saint-Pol-de-Léon, exécuté par les Allemands le 4 août 1944, son arrestation puis son internement à Rennes pour près de huit mois. Le témoignage circonstancié de cet internement livre une vision dépréciative de ce qui est vécu par l’écrasante majorité des Français comme un moment d’enthousiasme. C’est celle d’un vaincu de l’histoire.

L’engagement dans la révolution agricole bretonne

La quatrième partie, désignée « L’engagement dans la révolution agricole bretonne » (p. 299-438), constituée de 5 chapitres : Les années d’après-guerre : une intense entreprise de reconquête et de réhabilitation (p. 301-334) ; Les multiples défis de la modernisation (p. 335-364) ; Un acteur majeur de la révolution agricole bretonne (p. 365-384) ; Le notable consacré (p. 385-406) ; La fin d’une époque (p. 407-434) et de la conclusion de la deuxième partie (p. 435-438).

La dernière partie s’attache alors à souligner la capacité de résilience puis de rebond d’Hervé de Guébriant qui s’organise autour d’une entreprise de reconquête de l’Office central et des différents organismes qui lui sont liés et dans la lutte pour sa réhabilitation. Menés victorieusement, ces combats lui permettent de retrouver une place de premier plan au sein du monde rural et agricole breton. Acteur majeur de la révolution agricole bretonne, il participe à l’aventure du Comité d’études et de liaison des intérêts bretons (CÉLIB). De fait, il se réinsère dans une sociabilité agrarienne désormais pleinement immergée dans les allées du pouvoir.

Sa reconnaissance officielle par les pouvoirs publics des IVe et Ve Républiques dit le chemin parcouru depuis la Libération au prix de l’abandon de ses convictions corporatistes et d’une intégration notabiliaire à un système politique et administratif qu’il avait si longtemps décrié. Longtemps pensé comme une autorité sociale naturelle, le notable que continue d’être Hervé de Guébriant semble alors s’inscrire pleinement dans une dimension fonctionnelle. Sa représentativité, qu’il s’est efforcé d’affirmer, est le garant de sa reconnaissance par l’appareil d’État qui valide aux yeux des populations sa figure de notable.

Conclusion générale : Hervé de Guébriant ou les avatars de la notabilité

Avec l’épilogue (p. 439-440) et la conclusion générale (p. 441-446), David Bensoussan met un point final à la biographie d’Hervé de Guébriant. Issu d’une grande famille de l’aristocratie bretonne domiciliée à Saint-Pol-de-Léon, Hervé de Guébriant s’affirme d’abord comme un héritier, bénéficiant de l’ancrage notabiliaire de sa famille. Après une enfance au château puis l’épreuve de la Grande Guerre, il prend les rênes de l’Office central de Landerneau dont il fait, dès l’entre-deux-guerres, une des plus puissantes organisations agricoles du pays. Investissant le syndicalisme agricole dans la conflictualité politique des années 1930, il cherche à imposer le corporatisme comme une alternative au régime républicain.

Il trouve alors dans le régime de Vichy une forme d’accomplissement puisqu’il est chargé par le maréchal Pétain de mettre sur pied la Corporation paysanne tandis que ce dernier l’imagine comme gouverneur d’une province de Bretagne reconstituée. Après les épreuves douloureuses de la Libération, il s’affirme comme un des acteurs majeurs de la révolution agricole bretonne. Cet engagement lui vaut la reconnaissance officielle des autorités de la Quatrième comme de la Cinquième République.

Figure exceptionnelle de notable breton, ce dernier incarne une autorité sociale singulière dont il importe de saisir les mécanismes de légitimation. Sa trajectoire sociale que cet ouvrage a cherché à restituer précisément permet de saisir le processus de « réinvention de la noblesse » qui se donne à voir dans les mutations de sa figure de notable au cours du vingtième siècle.

Ainsi, cet ouvrage s’adresse aussi bien aux enseignants-chercheurs s’intéressant à de nouveaux champs historiques que les érudits locaux et les étudiants en histoire cherchant de nouveaux sujets de Master 1 et 2, voire de thèse.