En 2013, l’EHESS consacrait un séminaire spécial au plus français des sociologues américains : Howard S. Becker. En 2014, sort l’ouvrage de Jean Peneff, professeur émérite de sociologie, consacré à ce grand sociologue, pianiste de jazz et photographe.
Il faut dire que Howard S. Becker est un sacré personnage ! Musicien de jazz jouant dans des boîtes de striptease dans les années 40, il décide de faire une étude sociologique de ce milieu de la nuit et de sa clientèle. Non seulement, c’est totalement inédit mais il voit son doctorat de sociologie comme un hobby : « le véritable boulot, c’était de jouer du piano ». Il devient finalement professeur à l’université, par un pur hasard (d’après lui) suite à l’accident mortel de son prédécesseur passé sous un autobus. A ce poste, il va rompre avec les codes conventionnels ayant cours à l’université. Il fait cours dans un sous-sol de la fac, abandonne le face-à-face magistral, refuse toutes responsabilités afin de continuer le terrain. Et des terrains, il va en explorer plus d’un : le milieu médical, de l’enseignement, celui des drogués, le monde de l’art… Il ne veut « pas se couper des actifs, des réalités économiques, des conditions ordinaires des salariés. » (p. 47) même s’il « n’interroge guère des personnes inférieures à sa propre condition ». Il reconnaît « Oui j’ai manqué tout ça, mais où était mon matériau ? La classe ouvrière, je ne la connais pas de naissance ; mais les classes moyennes si ! Alors je fais avec les moyens du bord. J’ai observé leur envahissement et la montée des loisirs ; et puis j’ai pressenti l’élimination des barrières entre la vie publique et la vie privée, l’exhibition permanente de soi. » (p. 129)
L’essentiel de l’ouvrage est consacré aux méthodes expérimentées par Becker : observation participante, interactionnisme et à ses mondes… sans que son style mordant ne puisse être restitué par Peneff. La part faite à la musique est faible dans l’ouvrage, contrairement à ce que le sous-titre laissait présager. La bibliographie qui clôt le livre donnera l’occasion aux lecteurs de continuer la découverte de ce drôle de personnage qui martèle à ses étudiants : « Faites le maximum de terrains, acquerrez la confiance, prenez en mains votre destin professionnel : c’est à vous de le découvrir ! » (p. 134).
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes