La collection Frontières des éditions Autrement s’enrichit d’un nouvel essai en cet été 2006. Ce volume nous propose, au premier abord, une ballade dans le quartier mythique de la Goutte d’Or. Au-delà de cette promenade, le propos de l’auteur (Maurice Goldring, professeur émérite d’études irlandaises, habitant du quartier depuis 15 ans) engage une vaste réflexion sur la nature de ses relations avec le quartier. Pourquoi y vit-il encore alors que, par bien des aspects, il ne lui est pas facile de trouver sa place dans ce quartier cosmopolite ?

Présentation du quartier :
Le problème de la définition territoriale du quartier se pose au premier abord. Quelles en sont les limites ? Grosso modo, l’auteur entend par la Goutte d’Or le quartier limité à l’ouest par le Boulevard Barbès, au sud par le Boulevard de la Chapelle et à l’est et au nord par les voies ferrées. Pour aider le lecteur, l’ouvrage est agrémenté d’un précieux plan du quartier.
La Goutte d’Or est un quartier peu connu. C’est un peu le Harlem parisien. Le visiteur, qu’il soit touriste ou parisien, ne s’aventure pas dans les rues et se cantonne aux grands boulevards. Depuis L’Assomoir (E. ZOLA), le quartier n’a pas bonne réputation. Il a été construit entre 1830 et 1860 et s’est peuplé, dans un premier temps, des candidats à l’exode rural puis d’une main d’œuvre provinciale venue s’embaucher pour les grands travaux parisiens. Par la suite, est venue une main d’œuvre étrangère : Belges, Italiens, Polonais, Maghrébins, Africains…
Le quartier compte aujourd’hui 20 à 30 000 personnes, selon les limites territoriales retenues. C’est un quartier jeune : 20 % de la population a moins de 20 ans. ¼ de la population est composée de familles nombreuses. Il y a deux fois plus d’étrangers que dans n’importe quel quartier parisien. Le taux d’équipement des logements est très médiocre et la rue est, par conséquent, autant un espace public que privé.
En revanche, le pourcentage de propriétaires est plus élevé qu’ailleurs à Paris. A l’achat, le logement est moins cher. Toutefois, le concept de mixité sociale est à relativiser. On constate une cooptation entre propriétaires lors d’une vente. On reste « entre soi ». C’est pourquoi de nombreux immeubles sont ethniquement homogènes.
Au niveau commercial, la Goutte d’Or est un véritable marché, spécialisé dans les produits maghrébins et africains. On vient de loin pour s’y approvisionner. Toutefois, les populations « françaises » (il faut entendre par ce terme « qui n’est pas issue de l’immigration récente »), soit la moitié de la population du quartier, ont du mal à y faire leurs courses.
C’est grâce au commerce que la Goutte d’Or n’est pas un ghetto mais un lieu d’intégration. Il se maintient une mixité sociale et ethnique. C’est un lieu de transition pour les immigrés.

Démarche de l’auteur :
L’auteur a le souci, tout au long du livre, de ne pas présenter une image caricaturale du quartier. Il travaille sur l’espace vécu. La population a une vision duale du quartier. Il y a ceux qui y voient une concentration de problèmes sociaux et trouvent le quartier invivable et ceux qui idéalisent l’aspect exotique et y voient un gros village.
Pour faire le portrait du quartier, plusieurs problèmes se posent à l’auteur :
– Comment parler du quartier sans alimenter les préjugés et faire le lit de l’extrême droite ?
– Comment parler des sujets sensibles ? C’est l’objet de la première partie du livre.
La drogue, son trafic et sa consommation, est le problème clé qui touche le quartier. La Goutte d’Or est un lieu de vente et de revente. Les drogués investissent les trottoirs, les cages d’escalier. Leur nombre est croissant depuis la destruction de l’Ilot Chalon (près de la Gare de Lyon). Des centres de prévention et d’accueil ont été installés pour lutter contre la toxicomanie. Leur action porte ses fruits et aide à ce que le quartier soit plus vivable. Mais, c’est un travail de longue haleine.

La seconde partie du livre est consacrée aux Français, aux « Gaulois » qui habitent et/ou qui travaillent dans le quartier.
C’est une présentation de portraits, de parcours personnels, résultat d’entretiens avec la population.
Dans le cas de la fréquentation de l’école par leurs enfants, les habitants français montrent les limites de leur acceptation des problèmes du quartier. Même ceux qui ont les idées les plus progressistes mettent en place des stratégies d’évitement de l’école du quartier (demande de dérogation, inscription dans des écoles privées). Il n’y a pas de mixité scolaire. L’école reproduit des ghettos sociaux.
La sous partie sur les professionnels de la Goutte d’Or permet au lecteur de nuancer l’image du quartier. Au-delà des problèmes qui se posent aux professionnels (présence de vigile dans les pharmacies, difficulté d’appréhender la culture africaine pour les médecins), l’auteur insiste sur des projets qui ont abouti et sont une réussite : « Rue de la mode » (installation d’ateliers de créateurs et de boutiques de luxe dans le quartier), Lavoir Moderne parisien (salle de spectacles et de concerts), Bibliothèque Fleury (au taux de fréquentation particulièrement encourageant), actions des associations…

Le livre présenté est un portrait sans concession du quartier. L’auteur a atteint son but : porter un regard objectif, sans catastrophisme, ni angélisme. Il démontre que la Goutte d’Or n’est pas un ghetto (à l’instar de Harlem) en raison de la mixité sociale (pas toujours facile à vivre pour tout le monde, il le conçoit), d’un bon équipement culturel et de bonnes liaisons avec les autres quartiers parisiens. Il entend par mixité sociale, non pas un mélange harmonieux et une absence de conflits, mais la coexistence de différentes couches sociales et ethnies. La Goutte d’Or n’est pas la banlieue. Elle n’a d’ailleurs pas brûlé à l’automne 2005. Si ce quartier parisien est stigmatisé, c’est qu’il subit une ghettoïsation par le haut. Les habitants de Neuilly ou du V° arrondissement se battent pour repousser la pauvreté hors de leurs frontières. Pour l’auteur, « je donne mon adresse et mon adresse est un manifeste ». En restant vivre ici, au-delà des doutes qu’il a pu exprimer, il fait acte d’engagement et participe à la mixité sociale.

Ce livre est dérangeant, par bien des aspects, et amène le lecteur à s’interroger sur ses propres pratiques dans son quartier. En cela, sa lecture est à recommander pour qui s’intéresse à la ville en général et à l’espace vécu en particulier. Des extraits d’entretiens sur l’école peuvent étayer un travail en ECJS en seconde sur le thème Citoyenneté et intégration, par exemple.

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