Découvrir le Japon à travers la plume et les photos de Jean-Marie Bouissou

Après la parution remarquée des « leçons sur le Japon » dont le compte-rendu est lisible sur la Cliothèque, Jean-Marie Bouissou propose un livre singulier aux éditions Picquier. En effet, il s’agit d’un livre composé de très nombreuses photographies (546 !) en noir et blanc, minutieusement choisies en raison de leur intérêt culturel et commentées en un peu moins d’une page. L’auteur précise qu’il a pris comme modèle un livre d’Etienne Barral (journaliste et ancien correspondant au Nouvel Observateur), paru en 1991 chez Ulyfunet et intitulé « Au quatrième top, il y aura exactement 123456786 Japonais ! ».

Normalien et ancien directeur de recherche à Sciences Po, Jean-Marie Bouissou a longtemps vécu au Japon (1975-1990). Depuis 2007, il enseigne à l’université Waseda de Tokyo après un passage à l’université Keio. Cette expérience dans la prestigieuse université japonaise (deuxième ou troisième selon les années) de la capitale transparait dans le choix des photographies présentes dans ce livre. Une part non-négligeable a été prise dans l’espace proche de l’auteur, des lieux maintes fois parcourus et appropriés.

« Une promenade en images dans le Japon du quotidien et la vie des Japonais » (page 418)

L’ouvrage se distingue d’abord par son caractère éclectique. Un plan minutieux est suivi et traite de très nombreuses thématiques culturelles : religion, histoire, transport, mode, sport, arts, urbanisme, coutume mais aussi les HLM, les toilettes, les immeubles-crayons, la police, la politique, les love hotels et les célèbres yakuzas ! Le tout, sans optimisme béat, en gardant un sens critique et un art de la formule particulièrement aiguisé.

Les éléments les plus connus de la culture japonaise sont mis en avant tout au long de l’ouvrage(sumo, kimono, onsen, ryokan, Mont Fuji, politesse, langue etc.). L’auteur réussit néanmoins à traiter de façon quasi-égale des thèmes moins connus, pouvant paraître anecdotiques mais pertinent pour mieux comprendre la culture du pays. Par exemple, l’itinéraire de Françoise Moréchand à la page 25 (intervenante à la télévision depuis 1964, journaliste et écrivain), la restauration en béton armé du château « médiéval » d’Osaka (page 46), les sculptures de glace en faveur d’une marque locale de bière (page 160), la description des toilettes des autoroutes (page 212), l’usage des porte-parapluies disposés à côté des urinoirs (page 218) ou encore le déclin de l’architecture intérieure des love hotels (pages 266-267).

Le lecteur sourit à la lecture des pages consacrées à la propreté ou à la police : à la page 100, des ouvriers du BTP nettoient la palissade qui délimite le chantier (le soleil et le building d’en face s’y reflètent) alors que les policiers d’un koban (petit commissariat de proximité) ont réalisé dans le jardin du commissariat une maquette  de la SkyTree avec baguettes de bois (tour emblématique de 634 mètres de haut à Tokyo depuis 2012). A quand une maquette en bois de la Tour Eiffel devant un commissariat parisien ?

Les commentaires servant de titre pour les photographies sont également l’occasion de remarques légèrement sarcastiques, mais toujours bienveillantes sur les travers et les aspects agréables de la vie au Japon.

[Titre de la photographie 1]. « La mousse divine » : est-ce pour son utilité dans la gestion du stress social que la publicité pour l’alcool est libre ? (Gare de Tokyo, quai du Shinkansen)

[Titre de la photographie 2]. Un business très japonais : racheter à bas prix les innombrables bouteilles d’alcool qui s’offrent à la saison des cadeaux obligatoires (Tokyo, Shinjuku).

Jean-Marie Bouissou, 100% Japon – Découvrir et comprendre en 546 images, Philippe Picquier, 2021, page 250.

Le caractère éclectique et parfois léger de certains sujets ne doit pas masquer la qualité intrinsèque de l’ouvrage sur des thématiques historiques. Les professeurs d’histoire-géographes trouveront une excellente mise au point sur les polémiques entourant le temple Yasukuni, et plus globalement le rapport des Japonais à leur histoire (pages 34 à 39). Ces pages pourront être étudiés dans le cadre d’une séance sur la Seconde Guerre mondiale ou sur les mémoires (HGGSP). Le choix de la statue d’un juge indien devant le musée de l’armée traduit le rôle joué par le nationalisme dans la constitution et l’exposition d’un passé réécrit. Le rôle ambigu du pouvoir et de la population vis-à-vis des bombardements nucléaires de 1945 est habilement confronté à une affiche de recrutement des Forces d’autodéfense.

Aujourd’hui, le torchon brûle encore entre Séoul et Tokyo à propos des dédommagements demandés par les Coréens mis au travail forcé dans les usines japonaises pendant la guerre et les « femmes de réconfort » (!) asservies dans les bordels de l’armée impériale.

Une vision déculpabilisée. Les Japonais sont très partagés sur cette histoire récente, dont les jeunes ne veulent plus entendre parler. Mais ils s’accordent en majorité sur la vision suivante. 1) Leur pays est le seul au monde qui a su résister aux colonisateurs occidentaux en se modernisant. 2) Par racisme, ceux-ci ne l’ont jamais accepté comme leur égal. 3) C’est la crise de 1929 en Occident qui a causé la Seconde Guerre mondiale après avoir dévasté l’économie japonaise. 4) Dans ce contexte, le Japon a été contraint de se défense. 5) Son action a abouti, fût-ce involontairement, à libérer l’Asie du colonialisme.

Jean-Marie Bouissou, 100% Japon – Découvrir et comprendre en 546 images, Philippe Picquier, 2021, page 36.

Source : Extrait de la page 18 du livre intitulé « 100% Japon » de Jean-Marie Bouissou publié chez les Editions Picquier, Janvier 2021

Quelques petites coquilles ont été repérées au fil de la lecture. Le footballeur thaïlandais du club d’Hokkaido Consadole Sapporo est Chanathip (page 162) tandis que la conversion de la pièce de 1 yen à la page 151 souffre d’un décalage de la virgule (8€ au lieu de 0,008€). Ces détails n’altèrent évidemment pas la très grande qualité de l’ouvrage.

En plus d’être une invitation au voyage et à la compréhension des cultures, l’auteur parvient à rendre compte du Japon contemporain de façon intéressante par un mélange d’anecdotes et de réflexion plus sérieuses. Les enseignants pourront conseiller ce livre aux élèves de collège et de lycée désirant mieux comprendre un archipel qui fascine. Les textes sont courts, l’écriture simple mais la volonté d’expliquer est toujours une préoccupation majeure de l’auteur. Dans les établissements disposant d’un enseignement de japonais, ce manuel illustré sera un outil précieux pour aborder les aspects de civilisation étudiés en classe. Enfin, par sa concision et sont format compact, il pourra également être un compagnon de voyage apprécié lors d’un voyage au pays du Soleil Levant, en devenant un complément aux guides touristiques.

En résumé, une nouvelle fois avec Jean-Marie Bouissou, un opus qui ne paie pas de mine à première vue et qui se révèle passionnant, aussi bien pour une utilisation professionnelle que personnelle.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes