Deux mille ans d’histoire
L’auteur a visiblement une sympathie pour ses personnages, tant géographiques (en particulier la ville d’Alger) qu’humains : Il utilise par exemple les termes « corsaire » et « course » plutôt que « pirate » et « razzia ». Et comme il connaît bien les derniers 2.000 ans de l’histoire maghrébine, et qu’il faut tout faire tenir en 123 pages, c’est un peu touffu et beaucoup d’allusions à des données historiques, culturelles, économiques et sociales supposent une certaine connaissance préalable du cadre arabe, maghrébin et méditerranéen.
Néanmoins ce livre convient à ceux qui cherchent seulement à se remettre en mémoire les flux et reflux de « la course » musulmane depuis 2.000 ans. Et ceux, en sens inverse, des autres puissances maritimes, de Byzance à l’Angleterre.
L’ouvrage détaille particulièrement ces États barbaresques lors de leur apogée des XVIIè et XVIIIè siècles : outre le butin, des milliers de captifs chrétiens, donc d’esclaves, pour certaines « tournées ». Et il s’agit bien en pratique d’États, même s’il y a une allégeance théorique à Istamboul ou à un autre suzerain (au Maroc).
Derrière « la barbarie » une symbiose Nord-Sud
Dans l’optique « histoire du développement », je note l’insistance de l’auteur sur une symbiose nord-sud souvent oubliée : du bas en haut de l’échelle sociale, l’économie, la force militaire et le pouvoir reposent sur 1es esclaves, les renégats et les immigrants libres, notamment les professionnels qualifiés en matière navale venant de la Hollande à l’Italie et indispensables pour suivre les progrès techniques occidentaux. Les renégats et ces immigrants libres « qui tournent Turc » (se convertissent à l’islam) sont motivés par la possibilité de faire rapidement fortune et se hissent rapidement dans les classes supérieures.
Par ailleurs le butin et les esclaves ne sont valorisés que lors de leur revente au nord, les biens par les marchands notamment italiens, et les esclaves par les associations chrétiennes de bienfaisance. Les banquiers du nord travaillent pour cela en symbiose avec les descendants maghrébins des Andalous, et en particulier les Juifs. Les non rachetés fournissent la chiourme (les rameurs) pour les hommes et les services domestiques pour les femmes. Ils ne sont pas poussés à se convertir à l’islam, car cela les libérerait, ce qui serait une perte sèche pour leurs maitres.
Bref les langues, les religions (mosquées, synagogues, églises) et les coutumes cohabitent : les pays barbaresques et notamment Alger sont particulièrement cosmopolites. Seuls restent « maghrébins » les agriculteurs de l’intérieur.
Le déclin
Mais tout cela ne prospère que tant que la source, c’est-à-dire les captures, reste abondante. Les progrès des marines occidentales vont peu à peu tarir cette source. Les puissances du nord imposent ville par ville que l’on ne touche plus à leurs marchandises ni à leurs citoyens. Alger abandonne en 1819, les derniers corsaires marocains en 1829. Les étrangers s’en vont, les populations urbaines se dispersent et les villes s’étiolent jusqu’à la période coloniale.
Toutefois les ravages de la course barbaresque sont encore frais dans les mémoires du nord lors de la conquête de l’Algérie, comme le sont les exactions du Turc en Europe centrale. C’est une donnée psychologique de l’époque que nous avons perdue de vue aujourd’hui.