Rémy Pech Jean-Michel Ducomte : Jaurès et les radicaux, une dispute sans rupture. Édition Privat, juin 2011 16 €
En librairie à partir du 7 juillet

Recevoir en avant-première le dernier livre de Rémy Pech, l’un des spécialistes de l’histoire sociale du Languedoc, est à la fois un honneur et un plaisir. La Cliothèque a déjà présenté dans ses colonnes plusieurs ouvrages consacrés au grand penseur socialiste : http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2586. Rémy Pech a publié notamment en 2009, « un Jaurès paysan », http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2575 ainsi qu’une intégrale des articles de la dépêche, aux éditions Privat.
Son coauteur,Jean-Michel Ducomte s’est, pour ce qui le concerne, intéressé à l’implantation toulousaine de Jean-Jaurès. « Quand Jaurès administrait Toulouse, (2009) ».

Cet ouvrage traite en près de 160 pages des relations entre les deux grandes familles de la gauche que l’on qualifierait aujourd’hui de parlementaire ou de réformiste. Si le parti radical est né dans la période de consolidation de la IIIe République, avec sa fondation en 1901, ce qui en fait le plus ancien parti politique français, le parti socialiste est issu d’une nébuleuse de mouvements très divers, associant des utopistes et des collectivistes, des libertaires et des marxistes, profondément divisés, et disposant d’une influence politique variable.

Trajectoires

Jean-Jaurès pour la partie qui concerne son histoire politique est passé du radicalisme au socialisme, des radicaux opportunistes avant 1889, au socialisme. Au fil des héritages comme l’écrivent les deux auteurs, on pourra examiner les références communes aux deux courants politiques : la révolution française et la république. L’héritage de 1789 fait partie du patrimoine commun. Et Clémenceau, dont il sera bientôt question pour La Cliothèque avec la lecture attentive de l’ouvrage de Michel Vinock par Dominique Chathuant, est bien celui qui a affirmé que : « la révolution française et un bloc ». Toutefois, dès 1898, profitant de vacances forcées liées à sa défaite électorale en pleine affaire Dreyfus, Jean-Jaurès s’attelle à son « histoire socialiste de la révolution française », dans laquelle il explique que celle-ci a constitué l’avènement de la classe bourgeoise, même si elle a jeté les bases qui permettront la victoire du prolétariat.

Le passage de Jean-Jaurès du radicalisme socialisme est le résultat d’un itinéraire intellectuel mais aussi des circonstances. L’affirmation des principes républicains se retrouve dans le lot commun mais la trajectoire intellectuelle de Jean-Jaurès est sans doute plus complexe. Dans la première partie, au fil des héritages, les deux auteurs examinent les différences entre les deux courants politiques, et notamment les références philosophiques. Les radicaux mettent en avant le pouvoir du peuple, parce que pour Émile Chartier, plus connu sous le nom de plume d’Alain, ce pouvoir va jusqu’à la racine, et cette réflexion est au coeur d’un principe qui est celui de la justice et de l’égalité. Mais cette égalité est celle des individus les uns par rapport aux autres, et c’est peut-être là que se situent les différences.

Divergences et convergences

Les auteurs examinent ces différences dans plusieurs domaines. Le rôle de l’État, à la fois mal nécessaire garantie indispensable, le débat sur les institutions, et bien entendu la perception opposée du droit de propriété. D’un côté Jean-Jaurès met l’accent sur la propriété sociale, tandis que les radicaux manifestent un attachement viscéral au droit de propriété individuelle, considéré comme l’un des acquis de la révolution française.
Mais dans le même temps, Jean-Jaurès qui considère que la révolution est une forme d’action politique, tandis que les radicaux préconisent l’évolution, insiste bien sûr le caractère profondément réformateur de l’engagement révolutionnaire. Les socialistes s’affirment comme des réformateurs parce qu’ils ne seront jamais bloqués dans leur projet par les principes de la propriété. Sur de très nombreux sujets en effet Jaurès, au cours de son évolution politique, et au fil des combats qu’il mène, marque ces différences avec la pensée de la plupart des radicaux, et notamment avec Clémenceau. Si une bonne partie des radicaux se déclare plutôt favorable à la colonisation, Clémenceau s’oppose fortement à Jules ferry sur cette question. Dans ce débat Jean-Jaurès est beaucoup plus nuancé. Il préconise pour ce qui le concerne une colonisation socialiste, marquée par la sollicitude à l’égard des peuples indigènes.

Toutefois, sur la plupart des questions fondamentales qui sont évoquées, que ce soit l’affaire Dreyfus, la loi de séparation de l’église et de l’État, l’engagement laïque, Jean-Jaurès, comme la plupart des radicaux progressistes se retrouvent. Certes les nuances existent et elles sont parfois importantes. Au moment de la révolte viticole de 1907, alors que Georges Clémenceau pratique sans état d’âme une forme de répression qui n’exclut pas d’ailleurs la manipulation des leaders comme Marcelin Albert, http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article1433 Jean-Jaurès qui manifeste un intérêt déjà ancien à la petite propriété paysanne entend soutenir le mouvement coopératif qu’il a d’ailleurs porté sur les fonts baptismaux dans la ville de Béziers, avec l’inauguration de la cave coopérative de Maraussan en 1904.
Mais cet ouvrage sur les relations entre les deux grandes composantes de la gauche parlementaire à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, va très au-delà de son objet même. Au moment où la gauche s’engage dans un processus inédit de primaires ouvertes, basée sur une adhésion volontaire à ses valeurs, cet ouvrage qui montre à la fois les convergences et les différences entre les différentes conceptions de la transformation sociale, se révèle particulièrement précieux.

Bien entendu, les débats ne portent pas exactement sur les mêmes questions. La question du vote des femmes qui opposent Jean-Jaurès aux radicaux n’est plus aujourd’hui, on s’en doute, objet de débats. Jean Jaurès à partir de 1907 se montre très avancé sur ce sujet, comme sur bien d’autres, et notamment le mode de scrutin ou la réforme des institutions. Sur ce sujet Jean-Jaurès comme Clémenceau se retrouvent. Et c’est peut-être là le véritable message que les auteurs semblent délivrer de façon subliminale. Face à des échéances majeures, face aux bouleversements du monde, la gauche qui affirme vouloir mettre l’homme au centre du projet politique, est amenée à se rassembler dans sa diversité.

Bruno Modica