Puisserguier raconte ses mémoires

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Une fois n’est pas coutume, sur ce site qui accueille des critiques d’ouvrages d’historiens confirmés, c’est sur le travail d’un groupe d’amateurs, que l’on appelle parfois avec condescendance les érudits locaux, que l’on donnera un coup de projecteur.
Ce n’est assurément pas un travail d’histoire qui a été réalisé ici, mais bien un travail de mémoire, pour reprendre une expression devenue galvaudée à force d’être utilisée à tort et à travers. Il ne s’agit pas de devoir de mémoire mais sans doute obligation impérieuse, celle de transmettre ce qui a été et ce qui est encore la vie d’une communauté humaine.
Puisserguier n’est pas un village exceptionnel et son patrimoine ressemble sans doute à celui de quelques milliers d’autres, mais lorsque l’on prend la peine de lire ces « mémoires de Puisserguier », on y découvre une richesse surprenante, celle de ces villages viticoles de ce territoire que le grand géographe, Raymond Dugrand avait qualifié de Bas-Languedoc…

Ce village est traversé par une route nationale, la RN 112 qui relie la mer à l’arrière-pays et au-delà, au Massif central. Ce village viticole se situe au cœur d’un paysage ou la trace de l’homme est extrêmement ancienne. Depuis le néolithique, jusqu’à aujourd’hui, ce territoire a été occupé. On dirait savamment anthropisé. Le village actuel s’est développé probablement au début du Bas-Empire avec le regroupement d’une population autour de ce qui a pu par la suite apparaître comme une sorte de motte féodale.
Autour de ce qui est devenu le château les habitations se sont peu à peu agglutinées. Cette plaine languedocienne était effectivement très ouverte aux razzias barbaresques. Douves et remparts protégeaient ce village.

Très opportunément, lors des dernières élections municipales, les habitants de ce village ont su refuser l’implantation d’un lotissement gigantesque qui aurait sans doute dénaturé à jamais le caractère rural de cette commune. Mais dans le même temps, et ces mémoires le racontent, le village a su évoluer. Et l’on y découvre, rue par rue, commerce par commerce, le quotidien de ces communes au XIXe et au XXe siècle. Parfois la grande histoire rencontre la petite, les épidémies de choléra ont joué un rôle indirect dans l’évolution de cette cité.
On pourrait dire que cette commune est d’ailleurs mondialement connue grâce à un fruit, la clémentine.
À l’origine de cette étonnante histoire, on retrouve un professeur d’histoire ecclésiastique au grand séminaire, natif de Puisserguier, le père Abram, devenu à la suite d’une épidémie de choléra directeur d’un orphelinat dans un village d’Algérie. Cet établissement a été doté d’une pépinière, et c’est dans cette pépinière que le frère Marie-Clément Rodier, sous l’impulsion de son supérieur, le père Abram, aurait, à partir d’un arbre sauvage, « inventé » la clémentine.

Ce qui est parfois surprenant dans ces évocations, se trouve dans des témoignages recueillis au fil des rencontres, auprès des habitants qui égrènent leurs souvenirs. Ce ne sont pas seulement les plus anciens qui se livrent ainsi, mais souvent des récits indirects, qui se retrouvent conservés. Certains ne sont pas dénués d’intérêt, notamment ceux qui relèvent des inondations que ce village a subies en 1953, en 1992 et surtout en 1996. C’est sur la base de ces témoignages recueillis, des documents d’archives personnelles, que les travaux de mises en sécurité de cette commune ont été entrepris.

On pourrait trouver un intérêt pédagogique à un travail de ce type. En ce qui concerne la découverte de l’espace proche, il est tout à fait possible d’imaginer au niveau du collège une exploitation de ces différentes notices. Dans la mesure où de nombreuses photos permettent de retrouver des lieux précis, il devient alors facile de relier ces événements locaux à un contexte plus global. Pour ce qui concerne les transports par exemple, la situation de cette cité, sur un axe national, la RN 112, peut permettre de pousser les apprentissages assez loin, notamment sur ce qui concerne les perceptions des espaces proches et vécus.

Ce travail n’est pourtant pas exempt de toute critique. Au niveau du style comme de la mise en page, mais il conserve l’immense avantage de mettre à la disposition d’un chercheur éventuel des témoignages qui seraient sans doute perdus autrement. Et puis, ces fascicules permettent aux anciens des habitants de ce village comme aux nouveaux arrivants de se retrouver. L’histoire locale est un puissant moyen de rassemblement.

Au passage on notera l’interactivité de ce travail qui permet d’initier les habitants du village aux technologies numériques puisque ce travail d’édition est associé à un blog, qui reçoit d’ailleurs plus de 50000 visites, ce qui va très au delà d’un succès d’estime.
Peut-on y voir une tentation rétro ? Pas seulement, mais le désir de retrouver une identité, qui n’est pas forcément nationale, mais peut-être simplement la référence à un territoire.
Celle-ci ne paraît pas suspecte!

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Bruno Modica