Alors que le génocide qui s’est déroulé au Rwanda entre le printemps et l’été 1994 commence à prendre sa place dans les manuels d’histoire des classes terminales, sous l’angle d’une évocation rapide, ce film vient à point nommé pour permettre au professeur de disposer d’une mise au point très précise et surtout très claire de l’enchainement qui a conduit des gens se comporter collectivement avec la dernière des sauvageries.
Les racines de ce qui peut apparaitre comme le dernier des génocides du XXe siècle dont la liste sinistre a été inaugurée quelque part entre l’Arménie et les déserts de Syrie se trouvent en effet dans l’histoire de ce pays, et au-delà de cette Afrique des grands lacs, dont le partage a été effectué lors du congrès de Berlin en 1885. Le Rwanda comme le Burundi, de peuplement équivalent échoient alors à l’Allemagne de Guillaume II dont les ambitions coloniales n’ont pas encore indisposé les deux grands empires.
Ce territoire enclavé et peu accessible n’est que très faiblement mis en valeur par les allemands qui le perdent au bénéfice de la Belgique après la Grande Guerre. Ce territoire est confié à la Belgique dans le cadre des mandats de la Société des Nations.
Le film est construit sur le témoignage de survivants du génocide, tous opposants au régime du Président Habyarimana dont l’assassinat le 6 avril 1994 déclenche les massacres de plus d’un million de personnes.
Une historienne, Claudine Vidal, spécialiste de cette région de l’Afrique explique comment les colonisateurs ont appréhendé la société qu’ils découvraient. Dans ce territoire plutôt privilégié d’un point de vue naturel, plusieurs peuples cohabitent dans des situations de dépendance variable. Des clans sont constitués à partir de territoires dominés par une hiérarchie de chefferies au sommet de laquelle un Roi et son entourage sont installés. Ce Roi, sa cour, sont Tutsis, l’un des deux peuples occupant le territoire. Descendants de bergers nomades du Nord, les Tutsis se considèrent encore comme une élite dominant un peuple de cultivateurs sédentaires le Hutus. Les colonisateurs belges, les missionnaires s’appuient sur les Tutsis, considérés comme plus évolués que les Hutus.
L’histoire pour justifier le génocide
Alternant documents d’archives, croisement des interventions des trois témoins dont deux Tutsis et un Hutu pendant un temps séduit par les thèses discriminatoires à l’encontre des Tutsis, le film rappelle successivement les étapes de l’histoire du pays. La Belgique organise dès le milieu des années 50 une transition vers l’indépendance qui initie la division raciale du pays. Les Hutus se considèrent comme les perdants de l’évolution économique que connaît le Rwanda. En 1959 l’assassinat du Roi Tutsi, les élections remportées par les partis Hutus enclenchent une révolution ethnique. 200000 Tutsis quittent le pays et les Hutus avec à leur tête le président Kayimbanda s’emparent du pouvoir. Ils mettent en œuvre une politique discriminatoire à l’égard des Tutsis, avec les ressorts d’une propagande basée sur l’apprentissage d’une histoire clairement ethnique que les témoins assimilent à un véritable bourrage de crâne. C’est ce substrat idéologique qui conduit peu à peu, surtout après le coup d’état et la prise de pouvoir du colonel Habyarimana, protégé des occidentaux, y compris des français, à développer un clivage dans la société rwandaise.
La revanche des Hutus, victimes de l’histoire contre les Tutsis est littéralement instrumentalisée par les proches du président. Des milices se constituent et, dès les premières difficultés économiques et politiques survenues, la machine infernale se met en place. L’assassinat, le 6 avril 1994 du Président met en feu aux poudres. Les machettes et les battes de base-ball sortent de leurs caches et le massacre commence, dans l’indifférence de la plupart des gouvernements occidentaux.
Le film passe assez rapidement sur cet aspect du problème mais cela n’est pas forcément rédhibitoire. Les raisons pour lesquelles les grandes puissances, et notamment la France très impliquée dans cette région, ont aidé jusqu’à son assassinat le Colonel Président sont connues. Les grandes puissances entendent préserver la stabilité du continent en s’appuyant sur les gouvernements en place qui garantissent accès privilégiés aux marchés et aux matières premières.
Ce film est pour ce qui concerne l’objet principal de son propos parfaitement efficace. En fin de visionnage le spectateur dispose de tous les éléments pour répondre à une question complexe sur les causes et le mécanisme génocidaire. On remarquera d’ailleurs que l’histoire a été mise au service de la pire des causes, de quoi faire réfléchir ceux qui s’interrogent sur ses usages publics. Libre ensuite au spectateur d’aller plus loin et de chercher des réponses à cette lancinante question ; Pourquoi a-t-on laissé faire ? Au profit de quels intérêts ? Pourquoi, malgré la constitution d’un tribunal pénal international personne parmi les responsables identifiés de ces massacres n’a encore été jugé ?
©Clionautes – Bruno Modica