Comment la Seconde Guerre mondiale s’est-elle déroulée dans un village ? Comment ce que l’on sait au niveau général du pays a-t-il été vécu dans un espace quotidien ? C’est à ces questions notamment que ce livre propose de répondre. Il appartient à une nouvelle série centrée sur un village à différentes époques. Cet angle peut faire penser à la série télévisée «  Un village français » qui retraçait l’histoire d’un village fictif  du Jura. Ici, le livre commence par une rapide biographie des personnages principaux, tous réels.

Un village français

L’auteur Pierre-Jérôme Biscarat, spécialiste de la Shoah, de sa mémoire et de son enseignement, a récemment co-dirigé « Histoire politique de l’antisémitisme ». Il a choisi ici de s’intéresser au village de Belley. Cette sous-préfecture fonctionnait comme un village où tout le monde se connaissait, où chaque geste était épié, où les liens avec la colonie d’Izieu et la résistance locale n’étaient un secret pour personne. A travers cette petite localité, il s’agit de lire le poids du quotidien dans la France de la Seconde Guerre mondiale.

Un lieu, un projet d’écriture

Belley est donc un bourg rural sous-préfecture de l’Ain qui comptait alors 4630 habitants en 1939. Le village subit durant le conflit plusieurs régimes d’occupation successifs ce qui renforce l’intérêt d’observer ce lieu. Belley, c’est le miroir d’une France en demi-teinte, théâtre de la collaboration, de l’accommodation avec la guerre et l’occupant mais aussi de la résistance armée et civile. L’auteur précise bien qu’il n’y a de sa part aucune volonté d’exhaustivité mais qu’il veut étudier les formes d’adaptation de ceux qui vivaient là face à cette situation. Des cartes permettent de se repérer à plusieurs échelles.

Belley, de la défaite à la zone non occupée

A chaque fois, l’auteur raconte en prenant appui sur des personnes réelles. Gertrude Stein et Alice Toklas vivent ici. Elles sont femmes, américaines, juives, écrivaines et lesbiennes ce qui n’est pas rien dans une France qui va basculer. Gertrude Stein est alors une figure importante du monde de l’art. Le récit est entrecoupé d’extraits de témoignages. Personne ne soupçonne que tout va soudainement basculer dans le désarroi avec la guerre éclair de l’armée allemande. Lorsque la réalité s’impose, chacun cherche avant tout à faire des provisions. La ligne de démarcation coupe la France en deux zones principales. L’Ain fait partie des treize départements français traversés par la ligne de démarcation. Belley est dans la zone dite « libre » ce qui signifie que les Allemands ne sont plus là que pour quelques jours. A l’été 1940, la France compte ses victimes : 1 800 000 hommes sont faits prisonniers, 60 000 sont morts au combat et on compte 120 000 blessés.

Un village dans la France de Vichy

Gertrude Stein écrit alors : « De nouveau chacun respira ». Les frustrations du quotidien restent la priorité. Des formes d’insoumission commencent à se développer. D’autres, comme David Vogel, pressentent la catastrophe à venir comme en témoigne un de ses poèmes de 1941 cité dans l’ouvrage. Raymond, Joseph et Gertude sont juifs et pourtant circulent sans souci à Belley. Le sous-préfet Maurice Sivan les protège tout comme le vichyste Bernard Faÿ. Jusqu’en 1942, le village de Belley est relativement épargné mais le peu d’empressement à répondre aux injonctions de Vichy commence à se voir. Un nouveau sous-préfet est nommé pour s’occuper notamment de ce lieu qui fait figure de mauvais élève pour les affaires juives. Il doit alors appliquer la législation antisémite.

La clémence relative de l’occupation italienne

En novembre 1942, l’armée allemande envahit la zone « libre ». Belley se retrouve alors sous domination italienne. Cette nouvelles occupation change radicalement la donne pour la question des persécutions antisémites. La zone italienne devient un vrai refuge pour les Juifs de France. A partir de fin 1942, les premiers maquis se structurent néanmoins. Comme pour les autres villages de la France, l’instauration du STO est un tournant. De nombreux réfractaires trouvent refuge dans le nord du Bugey et forment les premiers maquis. Gertude Stein et Alice Toklas  sont sommées de quitter leur maison mais grâce à la protection de Bernard Faÿ elles échappent à la législation sur les Juifs étrangers. On touche là un point central qui démontre l’intérêt de se focaliser sur cette échelle : Bernard Faÿ est un vichyste ardent et un ultra de la Collaboration qui sera condamné à la Libération. Pourtant, il protège Gertude Stein et Alice Toklas.

Belley et la colonie des enfants d’Izieu

Sabine Zlatin, sous couvert de l’OSE, organisation officielle reconnue, respecte la procédure légale pour ouvrir la maison qui sert à protéger les enfants juifs. La colonie d’Izieu ouvre ses portes au printemps 1943. Sabine Zlatin rencontre le maire pour s’occuper des questions de ravitaillement. Les relations sont bonnes entre le voisinage et la colonie d’Izieu. Une éducation est délivrée aux enfants. La création de la colonie s’est donc effectuée dans un cadre parfaitement légal. Pierre-Marcel Wiltzer, sous-préfet, se situe en pleine zone grise comme dit l’auteur. Il essaye de préserver les enfants et en même temps il n’hésite pas à faire du zèle quand il s’agit d’un adulte juif.

Les répressions de l’Occupation allemande

Le 10 septembre 1943, Belley se retrouve sous l’administration allemande, de même que l’ensemble de la France. Pour la seconde fois, la ville est occupée par les Allemands. Les mesures deviennent plus restrictives, plus contraignantes. L’auteur s’arrête ensuite sur l’exemple d’un milicien qui sévit à Belley, Aimé Chaduc. Il est la définition même d’un ultra de la Collaboration. Belley et sa région se retrouvent pris dans l’une des quatre grandes opérations militaires menées contre les maquis de la France occupée par les Allemands entre février et avril 1944. La rafle des enfants d’Izieu intervient en avril de la même année. Entre deux opérations militaires contre la Résistance, la Gestapo et la Wehrmacht ont soigneusement organisé la rafle de quarante-quatre enfants réfugiés dans un hameau situé à plus de quatre heures de Lyon. Malgré « l’accommodement » général, quelques collaborateurs actifs et une résistance armée plutôt lacunaire, Belley et les communes alentour comptent son lot de « Justes parmi les nations ».

Action et combats pour la Libération

A partir de juillet 1944, les accrochages, les combats et les représailles se multiplient. Dans les violences extrêmes de guerre, la situation de Belley apparait comme un havre de paix. Lors d’une cérémonie en 1946 pour commémorer la rafle des enfants d’Izieu, Sabien Zlatin fait graver ces mots du poète anglais John Donne : « tout homme est un morceau de continent, une part de tout. La mort de tout homme me diminue parce que je fais partie du genre humain ».

En cent-quatre-vingts pages Pierre-Jérôme Biscarat retrace donc l’itinéraire d’un village dans la guerre. Son récit s’appuie sur des témoignages d’époque et donne à voir le concret et le quotidien de cette époque. Cet ancrage local s’avère donc particulièrement pertinent sur une telle période.