Le présent ouvrage est le résultat d’un séminaire qui s’est déroulé pendant plusieurs années autour des questions de géographie et d’aires culturelles. Quatre pistes, présentées par Thierry Sanjuan, y furent abordées : la place de la culture et de l’altérité dans les recherches des auteurs, la comparaison entre plusieurs expériences dans des aires culturelles différentes, la place des non-géographes et celle du champ européen. L’ouvrage se présente donc comme une succession d’interventions, qui sont autant de regards différents sur le sujet.

Paul Claval fait un rappel épistémologique de la notion d’aires culturelles. Celle-ci est directement liée au constat géographique de la prédominance de l’humain sur le naturel. La première définition fut donnée par l’école de Berkeley qui insistait sur la diversité technique et de savoir-faire pour mettre en valeur les environnements dans lesquels les sociétés s’installent. Soulignant ensuite l’apport de Fernand Braudel, l’auteur insiste sur les effets de miroir dans les approches culturelles de la géographie depuis 1976 et reconnaît la perte d’intérêt d’une telle notion aujourd’hui. Pourtant, à l’heure d’une possible uniformisation aujourd’hui, dans le domaine agro-alimentaire par exemple, et de possibles réactions identitaires, ce concept reste, selon Claval, primordial dans une géographie humaine digne de ce nom.

Yves Chevrier traite ensuite de la multiplicité de regards que les sciences sociales peuvent apporter sur les aires culturelles. Son article constitue un plaidoyer pour un dialogue interdisciplinaire qui ferait des aires culturelles un carrefour des humanités. Dans une approche pluridisciplinaire et à une période d’accélération du processus de mondialisation, il se pose la question de l’avenir d’une telle notion, tout en se méfiant de l’analyse culturaliste qui verrait dans tel pan de la culture locale un facteur d’explication géographique.
Thierry Sanjuan s’attarde sur le fait chinois vu par la géographie française. L’idée même de Chine pose déjà problème dans la mesure où il existe plusieurs degrés d’intégration à ce qu’il conviendrait d’appeler « Chine », selon qu’on se situe dans le cadre ou non des 18 provinces par exemple. L’auteur présente donc un rappel de l’idée française de Chine. Pour Jules Sion en 1928, le fait chinois résultait ainsi d’un modèle de civilisation diffusé à partir d’un foyer géographique initial. Pierre Gourou avait en 1940 vu la Chine comme une civilisation, ce en quoi il est rejoint, dans une optique moins figée, par Pierre Gentelle. Celui-ci insiste davantage sur la logique à la fois polycentrique et centralisatrice de l’espace chinois. Pour Thierry Sanjuan, les territoires de la Chines résultent d’une sédimentation de modèles convergents. En prenant le cas pratique de la Corée, Valérie Gelézeau illustre l’évolution de la notion d’aire culturelle chinoise chez les géographes français : d’abord périphérie plus ou moins intégrée, chez Braudel, la Corée est devenue partie prenante de l’aire culturelle de l’Asie orientale chez Bonnemaison, avant d’être qualifiée de pont entre la civilisation chinoise et le Japon chez Sorre.

Jean-Louis Chaléard tente ensuite de comparer les aires culturelles du monde andin et de l’Afrique de l’Ouest, en regrettant l’absence d’approches comparatives plus fréquentes entre ces deux espaces. Pourtant, les points communs existent, dans la masse que représentent les petits agriculteurs pauvres dans la société comme dans les productions agricoles en partie identiques, et l’auteur s’attarde ainsi sur le thème de la crise de la petite production agricole pour montrer les possibilités de comparaison entre les deux régions.
Paul Pélissier, qui s’intéresse aux paysages agraires de l’Afrique noire, rappelle l’héritage parfois des traditions politiques précoloniales dont témoignent encore certaines organisations des terroirs. Ceux-ci se caractérisent alors par une relative concentration de population. D’autres terroirs, aux tailles plus réduites, manifestent en revanche l’opposition des sociétés paysannes à la soumission d’une structure politique extérieure. Les espaces de transition entre les deux types de terroirs sont multiples et variés en Afrique noire. Un peu plus au sud, en Afrique australe, Myriam Houssay-Holzschuh, insiste sur l’importance du terrain et revient sur son choix porté sur l’Afrique du Sud au cours d’un séjour lors de l’élection de Mandela.

Enfin, avant une ultime conclusion de Jean-Louis Chaléard, l’ouvrage s’achève par un article au titre provocateur de Jean-Marie Théodat
« L’art (d’être) nègre ». Celui-ci s’interroge sur l’hypothétique existence d’une communauté noire en France métropolitaine, marquée successivement par la présence d’Antillais puis d’Africains. Il étend ensuite ses questions à l’ensemble des Antilles et aborde la diversité des négritudes locales. L’identité noire, en Europe comme dans les îles, se trouve alors confrontée aux difficultés d’en fixer un contour clair.