Nord, sud, est, ouest : voilà bien des repères habituels et pourtant, connait-on vraiment leur histoire ? Les points cardinaux semblent donc réels et naturels alors qu’ils sont le fruit de l’invention et de la civilisation. Jerry Brotton, l’auteur de « Une histoire du monde en douze cartes », propose un décryptage de ces repères.
Orientation
Les quatre points cardinaux ne sont pas seulement des directions : ils ont joué un rôle fondamental dans les conceptions cosmologiques, la morale, la vie religieuse et l’économie politique des sociétés du monde entier. La plus ancienne trace qui nous soit parvenue des quatre points cardinaux remonte au premier grand empire mésopotamien vers 2300 avant J.-C. Les anciennes cosmologies mésoaméricaines recouraient aux directions cardinales pour décrire leurs dieux et pour les récits mythiques de la création. Charlemagne attribua de nouveaux noms aux quatre points cardinaux en employant des mots proto-germaniques monosyllabiques. Parmi les autres temps forts, il faut se rappeler que les Chinois ont inventé la boussole. Au XV ème siècle, l’usage de la boussole a permis d’affiner les roses des vents sur les cartes en indiquant trente-deux directions différentes.
L’Est
Dans l’histoire des points cardinaux, le temps et le lieu commencent à l’est. Les religions monothéistes ont tenté de se démarquer de ce qu’elles considéraient comme le culte idolâtre du Soleil et des dieux gréco-romains apparentés. Dans les églises chrétiennes, l’autel et, par extension, le célébrant et la congrégation étaient tournés vers l’est, la direction du paradis. L’islam comme le judaïsme se sont détournés du culte du Soleil tel qu’il était pratiqué par les sectes du sud de l’Arabie. L’image que Colomb se faisait du monde reste imprégnée des hypothèses théologiques médiévales sur les directions cardinales. Avec les nouvelles explorations maritimes aux quatre points cardinaux, la croyance chrétienne en l’est comme direction du paradis s’est lentement affaiblie. De sacré, l’Orient est devenue une destination commerciale. Cet orientalisme s’est politisé tout au long du XIXème siècle, en particulier dans le monde anglophone avec la montée en puissance de l’empire britannique. La Chine s’était toujours considérée comme l’Empire du Milieu mais l’avènement de l’Occident dans la géopolitique a incité la Chine à s’identifier comme orientale à partir de la fin du XIX ème siècle. L’Est n’est plus le lieu d’une carrière coloniale européenne, mais le théâtre de certaines des économies les plus dynamiques au monde.
Le Sud
L’apologie du Sud est un cliché littéraire connu d’un point de vue européen. Le pouvoir du Sud remonte au moins à l’Egypte ancienne. Le soleil levant à l’est apportait la vie et était personnifié sous les traits de la divinité solaire. Le mot Australie vient du latin auster qui signifie sud ou midi employé pour décrire le vent. L’exploration par Cook de l’Antarctique a donné lieu à une perception du sud comme n’étant plus un paradis mais plutôt une nature déserte et terrifiante. Le dénigrement du sud par le nord ne s’est intensifié que lorsque sa domination coloniale a été remise en question. L’émergence du sud global a connu un moment important en 1980 avec la publication du rapport Brandt.
Le Nord
Le nord, le point cardinal le plus immanquablement caractérisé comme morne, froid et sombre est à la fois un désert gelé d’exil, de châtiment et le site d’une beauté austère de l’émerveillement. Les anciens Chinois avaient des idées profondément paradoxales sur le nord. Le nord céleste avait des connotations impériales harmonieuses mais sa version terrestre était un endroit beaucoup plus ambigu. La culture japonaise a hérité d’une conception tout aussi ambivalente du nord et de son opposé, le nord-est étant considéré comme la direction la plus néfaste. L’introduction de la boussole magnétique comme aide à la navigation en Méditerranée à l’époque médiévale a conduit à ce que les cartes marines soient orientées vers le nord. La quête du point le plus septentrional du globe a fait des victimes parmi les explorateurs européens. Le plus célèbre est Sir John Franklin au XIXème siècle. Le déclin de l’exploration impériale européenne et américaine et l’avènement de la décolonisation au XX ème siècle ont aussi conduit à une attitude plus réfléchie à l’égard du nord qui a commencé à se répandre en Europe pour remettre en question les fantasmes racistes de « supériorité nordique ». Le Grand nord difficilement cartographiable est aujourd’hui un enjeu de bataille politique.
L’Ouest
L’ouest est l’endroit où le jour s’achève, où le soleil se couche et où la nuit s’installe. Comme toutes les autres directions, l’ouest peut signifier à divers moments et à divers endroits son exact opposé : un lieu de mort et de renaissance ou un ensemble de valeurs contradictoires comme prospérité ou solitude. Dans l’ancienne civilisation maya, l’ouest était associé au noir. On peut mentionner évidemment le far West. C’est dans les années 1860 que le rêve américain de la « destinée manifeste » a atteint son apogée comme en témoigne le célèbre slogan : « go west, young man ». Thoreau déclara « je dirais même que l’humanité avance d’est en ouest ». Aujourd’hui « l’Occident » est en général perçu comme une culture et une civilisation issues en premier lieu de l’Europe puis de l’Amérique du Nord, opposés aux sociétés et aux religions d’Asie et d’Afrique. De même que dans le langage du développement international l’Est a été assimilé au « Sud global », de même l’Ouest américain se tourne désormais non seulement vers le Nord, mais aussi vers l’Est.
En conclusion, l’auteur rappelle que nous sommes tous façonnés dans une certaine mesure par les points cardinaux. Avec le lancement de Google maps en 2005 puis de l’IPhone en 2007, les points cardinaux ne semblent plus avoir le pouvoir qu’ils exerçaient par le passé. Les utilisateurs en ligne se placent désormais au centre de la carte. Le nord et le sud, l’est et l’ouest sont des notions mobiles et instables qui évoluent et basculent sous la pression de la montée et du déclin des forces géopolitiques, de l’innovation technologique, des croyances culturelles et des jeux de langage auxquels nous nous livrons.


