Comment la génétique réécrit l’histoire du Moyen Âge, propose un autre point de vue sur le Haut Moyen Age. Patrick Geary, médiéviste américain et francophoneIl a en travaillé au projet de l’European Research Council (ERC) : HistoGenes. Integrating Genetic, Archaeological & Historical Perspectives on Eastern Central Europe, 400-900 AD. montre les apports de la génétique, en complément des données biologiques, archéologiques et historiques, pour l’étude des migrations et des identités. Il met en garde contre toute utilisation de modèles raciaux qui ont longtemps accompagné l’étude des « grandes invasions » de la fin de l’empire romain.
Après un utile rappel de ce que fut la révolution génétique dans l’étude des hommes préhistoriquesLe voyage de nos gènes, Johannes Krause, Thomas Trappe, Odile Jacob, 2022, se pose la question de l’utilisation des mêmes techniques pour l’étude de périodes plus récents pour lesquelles on dispose de sources écrites et archéologiques. La période de l’effondrement de l’empire romain paraît une période intéressante : peu de sources écrites, une histoire complexe à démêler.
L’héritage dangereux de l’histoire racialisée
Si les données génomiques peuvent ouvrir de nouvelles pistes pour certaines questions (histoire des maladies, histoire du genre, histoire des migrations), de nombreux historiens sont méfiants. Cette suspicion est légitime pour l’auteur qui rappelle les conclusions de Gustaf Kossinna qui tirait de l’étude des crânes une histoire du peuplement de l’Europe se fondant sur la race, théorie remise en question notamment par les travaux d’Herwig Wolfram sur le « limes » germanique ou plus récemment sur les causes de la chute de RomeSur la chute de l’empire romain : Empire post-romain, Stéphane Destephen (dir.), Hermann, 2023.
Patrick Geary montre que les premières cartes issues des études génomiques rapprochent un profil génétique à une culture alors que les archéologues n’associent plus un type de production, comme la poterie cordée à un peuple défini. On comprend la crainte de voir ressurgir une dérive racialiste. Il plaide pour un travail en commun des différentes disciplines, généticiens, historiens, archéologues… et le développement d’un langage commun.
Les données génétiques en tant que sources historiques
L’auteur resitue les travaux récents dans l’historiographie qui ont fondé les bases déontologiques du travail de l’historien. Il décrit les sources génétiques humaines, mais aussi animales et végétales et les premiers résultats : compréhension de l’émergence de la population européenne moderne, étude de parenté et d’ascendance de personnages comme Thomas Jefferson ou l’étude du squelette du roi d’Angleterre Richard III.
Ce chapitre est surtout une explication détaillée et très pédagogique de la méthodologie de séquençage. Patrick Geary montre combien ces techniques sont imparfaites, comme d’autres sources qu’utilisent les historiens.
Conférer un sens aux données génomiques
Le travail des archéogénéticiens est présenté en détail, en insistant sur les précautions indispensables à mettre en œuvre pour l’analyse des données statistiques. La présentation des deux études sur deux cimetières du VIe siècle en Italie du Nord et en Hongrie permet de comprendre les apports possibles, notamment pour l’étude du métissage. L’étude montre les incertitudes et donc la nécessaire prudence des conclusions. Il est aussi question de l’étude de parente entre les sépultures.
Patrick Geary conclut :
« Les données génomiques seules auraient été inutiles pour comprendre les complexités sociales et culturelles des sociétés du haut Moyen Age. L’archéologie est essentielle non seulement pour fournir les ossements utilisés dans les analyses, mais aussi pour apporter des données sur l’organisation de chaque cimetière, les objets associés à chaque individu, la profondeur et les caractéristiques de chaque tombe. » (p. 83).
Vers une histoire génomique du bassin des Carpates
Ce long chapitre présente un projet de recherche récent sur la Pannonie jusqu’au VIe siècle. L’auteur rappelle l’histoire de cette zone frontière à la charnière Antiquité – haut Moyen Age. L’intégration les études génomiques à d’autres sources textuelles et archéologiques permet de démêler une histoire mouvementée de dominations successives dont les conséquences génétiques varient. Sont ainsi abordées l’arrivée des Huns ou la place des Lombards, la peste de Justinien et la « slavisation » de la région. Ce qui domine, c’est l’hétérogénéité génomique des populations des Carpates.
Patrick Geary et l’équipe d’HistoGenes apportent des confirmations plus qu’un bouleversement de ce que l’on sait sur les populations du haut Moyen Âge dans cette région.
Un ouvrage stimulant qui met en évidence l’intérêt, les limites et les risques qu’une histoire génomique.


