« (…) Habiter, c’est tracer des lignes et dessiner des surfaces, c’est écrire sur la terre, parfois en de puissants caractères et y laisser des images. On appellera cela géographie. Et ce n’est rien d’autre que de transformer la surface de la Terre en une sorte de grande demeure, en un intérieur universel. » (p. 10) Le philosophe et historien Jean-Marc Besse offre ici un magnifique texte sur Habiter. Tout en délicatesse, cette réflexion générale sur notre manière « d’être quelque part » constitue une magnifique introduction au Festival International de Géographie 2014, consacré à Habiter la Terre.

Comme le disait Gilles Deleuze (1996), habiter est plus une question de géographie que d’architecture. Si habiter fait référence au lieu « où on peut confier son sommeil » (Lévinas), cette fonction ne se limite pas à l’espace intérieur mais aussi à l’extérieur. L’entretien des lieux participe de l’habiter et c’est d’ailleurs pour cette raison que l’artiste américaine Mierle Laderman, en 1969, a développé une « œuvre autour et à partir du concept d’entretien (maintenance), dans le cadre d’une démarche qui, partant d’une interrogation domestique, s’est élargie aux problématiques de la préservation de l’espace public et de son environnement. » (p. 25)

Comprendre l’Habiter exige de réfléchir aux « espacements » (p. 40), à « un réglage des proximités et des distances » (p. 43) mais aussi aux porosités entre espace intime et espace public, dont le seuil est le lieu par excellence où se joue ces limites dans le cadre du voisinage. « Habiter, c’est d’abord s’installer dans un système d’échanges métaboliques à la fois fonctionnel, affectif, symbolique, entre les lieux, les êtres et les choses qui peuplent ces lieux et qui, très exactement, les occupent. » (p. 130). C’est pourquoi déménager n’est pas anodin puisqu’il va falloir reconstituer ailleurs ce que l’on avait construit ici : un chez-soi, un espace incarné où l’individu tient une place centrale.

Cela ne veut pas dire, pour autant, que les lieux de la mobilité ne sont pas des lieux habités. « La reconnaissance du déplacement comme fait spatial fondamental et de l’originalité de l’habiter mobile signifie que je peux faire une maison sans nécessairement avoir des liens immémoriaux avec le sol où la maison s’édifie. » (p. 209) Il est donc possible d’être chez-soi à l’étranger même si « Habiter comme étranger c’est, par conséquent, rester dans une certaine distance avec le monde nouveau dans lequel on habite pourtant. » (p. 217). C’est toute la différence entre se loger et habiter.

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes