Le culte des grands chefs militaires fut l’une des déclinaisons les plus fécondes du « bourrage des crânes » orchestré par la presse de la Grande Guerre. Célébrés comme des personnages d’exception, tout à la fois bienveillants et providentiels, ils conservèrent une solide notoriété auprès du grand public jusqu’aux années Trente. Puis, la marée du temps qui passe ayant fait son œuvre, la trace de la plupart d’entre eux s’effaça du sable de l’Histoire. Un siècle plus tard, seule une poignée de noms perce encore les ténèbres de l’oubli : Joffre, Pétain, Nivelle, Foch, sans doute Gallieni, peut-être Castelnau. Réinstaller dans la mémoire collective le cénacle des principaux généraux de la Première Guerre mondiale, à l’occasion du centenaire de celle-ci, constitue donc l’objet et l’ambition de cet album agrémenté de nombreux portraits et photos des protagonistes.

Lui-même officier supérieur breveté et historien militaire, l’auteur met l’accent sur l’angle qui l’intéresse : la trajectoire de ces chefs dans leur contexte de décision et d’action. Conformément à l’esprit de la collection « Parcours d’exception » qui propose déjà un volume consacré aux généraux français de 1940, le panel retenu est constitué de trente acteurs majeurs du haut commandement de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale : les six commandants en chef (quatre sur le front occidental, deux sur le théâtre d’Orient), les six commandants de groupes d’armées, treize commandants d’armées et cinq majors généraux ou aides-majors généraux. Le tour d’horizon des quelques éminences incontournables citées ci-dessus récapitule efficacement l’état des lieux des acquis académiques les concernant (à l’exception, logique, de la tout récente biographie de Joffre par Rémy Porte). Il permet même de nuancer certaines idées reçues, en particulier autour du rôle de Gallieni dans la bataille de la Marne. Mais le principal mérite de l’ouvrage est ailleurs : il permet de mieux découvrir les grands commandeurs de second rang, relégués dans l’ombre des premiers rôles. Les Franchet d’Espèrey, Fayolle, Guillaumat, Degoutte ou Buat retrouvent ainsi leur relief éclipsé. L’auteur réhabilite aussi le mésestimé Micheler, tout en confirmant les carences de quelques autres grands étoilés : Sarrail, Langle de Cary ou Duchêne.

Dans les quelques pages dédiées à chacun de ces trente haut décideurs des armées, un rapide aperçu des services antérieurs à 1914 tient lieu de prologue. L’essentiel du contenu est centré sur l’analyse de leur parcours de commandement durant la Grande Guerre. Tenants de l’offensive ou de la défensive, stratèges ou tacticiens, maîtres d’œuvre de la guerre de mouvement ou de celle des tranchées, l’analyse met l’accent sur leurs conceptions de manœuvre et leur style de commandement, en soulignant leur apport personnel à l’évolution des opérations à leur niveau de responsabilité. Dans la plupart des cas, le portrait s’achève par un jugement final court, clair et précis, exprimé avec un réel sens de la synthèse.

Le résultat est un honorable travail de vulgarisation, orné de nombreuses images d’époque. Les sources sollicitées sont exclusivement secondaires : biographies, ouvrages d’ensemble sur les opérations, collection du journal L’Illustration et mémoires (avec une prédilection particulière – et justifiée – pour les appréciations caustiques consignées dans les Cahiers secrets du maréchal Fayolle). La consultation des dossiers individuels aurait peut-être pu compléter ces éléments, notamment avec la notation de ces hauts responsables par leurs supérieurs hiérarchiques. De rares petits défauts formels peuvent être détectés par un lecteur minutieuxErreurs de légendes p.46, 75, 166. Celle de la p.158 désigne curieusement comme le préfet de l’Aisne un individu portant un képi de général.. Sur le plan de l’information, de petites interrogations ponctuelles persistent (pourquoi Foch est-il choisi en 1918 ? De même, le décès du général Berthelot est omis). Sans doute pour se conformer au quota des trente noms assigné par la collection, la galerie des commandants d’armées est incomplète. Manifestement jugés moins marquants que leurs confrères, onze autres noms sont relégués dans un rapide abrégé final. La clé de répartition de ce tri n’est pas explicite. Si certains des exclus paraissent avoir été des erreurs de casting manifestes (D’Amade, Pau, Ruffey, d’Urbal, de Villaret), d’autres en revanche semblent d’une étoffe qui aurait pu mériter de plus amples développements (en particulier les généraux Gérard et Pont).

Des éléments prosopographiques intéressants se dégagent de ce tableau collectif du haut commandement : la prépondérance aux responsabilités supérieures des maîtres de doctrine de l’École Supérieure de Guerre, la prédominance somme toute logique des fantassins, la marginalisation des cavaliers, la politique de rajeunissement des cadres qui caractérise la montée des talents révélés au Front. Sous cet angle comme sous celui de l’information proprement biographique, ce dictionnaire illustré constitue une référence utile qui possède pour mérite supplémentaire d’être tout à fait accessible au grand public.

© Guillaume Lévêque