La bande dessinée Seul, publiée par les éditions Petit à Petit, retrace avec sobriété et précision l’un des faits divers les plus troublants de la fin du XXe siècle : l’affaire Jean-Claude Romand. Ce récit glaçant met en lumière le parcours d’un homme ayant construit son existence entière sur une imposture, jusqu’à commettre une série de crimes qui ont bouleversé l’opinion publique.
En s’inscrivant dans la lignée des bandes dessinées documentaires des éditions Petit à Petit, Seul explore les mécanismes de la manipulation, du mensonge et du déni, tout en offrant une réflexion poignante sur la fragilité des apparences et la complexité de la nature humaine. Grâce à une narration rigoureuse et un dessin sobre, l’album nous invite à comprendre, sans jamais excuser, la dérive d’un homme devenu prisonnier de sa propre fiction.
Le synopsis
Pendant 18 ans, Romand s’est fait passer pour un médecin respecté travaillant à l’OMS à Genève, alors qu’en réalité, il ne faisait rien de ses journées. Il entretenait cette illusion auprès de sa famille, de ses amis, et de tout son entourage, se nourrissant de faux-semblants et d’escroqueries.
Lorsque la vérité commence à le rattraper début 1993, acculé par les dettes et la peur de l’exposition, il commet l’irréparable. En l’espace de quelques jours, il assassine froidement sa femme Florence, leurs deux jeunes enfants, ses parents, et même le chien familial. Il tente aussi de tuer son ancienne maîtresse, avant de simuler un suicide par barbituriques, en incendiant sa propre maison.
La mécanique du mensonge : le récit d’une imposture
Olivier Petit propose un scénario habile et maîtrisé, construit en allers-retours temporels qui permettent de reconstituer pas à pas le parcours tragique et déroutant de Jean-Claude Romand. Le récit suit les étapes clés de l’affaire : ses mensonges sur ses études et son emploi, son isolement grandissant, les emprunts d’argent, jusqu’à l’assassinat de ses proches en janvier 1993. Sans jamais sombrer dans le voyeurisme, la BD suggère les crimes sans les montrer, avec une grande pudeur.
L’intelligence du scénario réside dans sa fluidité : chaque événement, chaque témoignage s’imbrique naturellement pour révéler le portrait glaçant d’un homme manipulateur, dissimulateur, et profondément seul. Même au procès, Romand reste insaisissable, récitant un discours écrit à l’avance, incapable de livrer un véritable mobile à ses actes. Le récit interroge ainsi la mécanique du mensonge, l’aveuglement collectif et l’énigme psychologique que représente cet homme vide, dont la vie entière n’a été qu’une fiction.
En alternant planches de bande dessinée et pages explicatives nourries de dépositions, d’analyses d’experts et de témoignages, Seul parvient à plonger le lecteur dans la complexité de l’affaire. Ce choix de narration renforce l’aspect documentaire, tout en accompagnant le lecteur dans la compréhension d’un esprit dévasté où le mensonge devient d’abord un mode de survie, puis une logique de destruction.
Les dessins de Vincent P. Valette jouent un rôle fondamental dans cette réussite. Les couleurs sobres, presque ternes, traduisent la gravité du sujet tout en respectant profondément les victimes. Le dessin restitue avec justesse les lieux et l’ambiance de l’époque, notamment Prévessin-Moëns, Clairvaux-les-Lacs ou la forêt de Fontainebleau en janvier 1993. La mise en page soignée, marque de fabrique des éditions Petit à Petit, en fait également un très bel objet !
En somme, Seul est une bande dessinée documentaire remarquable. Elle éclaire avec justesse une affaire hors norme, sans jamais tomber dans le sensationnalisme, et laisse une impression durable sur le lecteur, confronté à l’abîme du mensonge et de la solitude.