Excellent connaisseur du Moyen Age, Frédéric Armand est l’auteur d’une biographie remarquée sur Chilpéric Ier. Il vient de publier, aux éditions Perrin, Les bourreaux en France. L’ouvrage retrace l’histoire des bourreaux français depuis leur apparition au Moyen Age jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981. Depuis l’instauration de la charge à l’époque médiévale, explique Frédéric Armand, le bourreau fut en effet un personnage à la fois craint et méprisé, mais d’un autre côté tout à fait indispensable dans une société où la peine de mort constituait, durant des siècles, la clef de voûte de toute justice.

Si en matière de justice la centralité de la figure du bourreau ne fit jamais véritablement débat pour ses contemporains, l’observateur moderne ne peut pas se détacher d’une certaine perplexité. En grand nombre, les questions affleurent : comment les bourreaux étaient-ils choisis ? Et comment vivaient-ils ? Sa famille (femme et enfants) prenaient-ils part à son office, aussi cruel fut-il ? Pourquoi l’Eglise ne s’est-elle jamais élevée contre les mariages incestueux des bourreaux ? Pour quelles raisons se formèrent des dynasties de bourreaux, analogues à celles des familles royales, telles que celle des Sanson ? De quelle façon le public assistait-il aux exécutions ?

Outre ces interrogations d’ordre sociologique, le thème des bourreaux renvoie à des questions plus techniques et sinistres concernant le mode d’exécution : pendaison, décapitation, noyade, ébouillantage, écartèlement, etc. Ces aspects étaient aussi cruels qu’essentiels, car ils dépendaient de la peine du condamné. Toutes ces cruciales interrogations nécessitaient des réponses que le présent ouvrage apporte. C’est d’autant plus important que la classe politique revient régulièrement sur la question de la peine de mort à l’occasion des faits divers émaillant l’actualité.

Un métier comme un autre ?

Il ressort de l’étude des sources sur les bourreaux qu’il s’agissait de personnes « parlant du métier avec une bonhommie si naturelle et si froide, qu’elle en était terrifiante » à bien des égards. La mise à mort des criminels n’était pas à l’origine une fonction publique assurée par un seul homme, mais un véritable devoir social qu’implique toute communauté. Le bourreau n’était pas un officier public comme les autres et, souvent, ses descendants devenaient également bourreau, comme Pierre-François Vermeille, « comme si les enfants devaient être la victime de ce que le destin les a fait naître dans une famille d’exécuteurs ». Pour ce qui est de l’activité du bourreau, le lecteur apprend qu’elle consistait notamment à déshumaniser le condamné. La nudité du condamné, du patient, participait de son humiliation. Par ailleurs, celui-ci n’emportant rien avec lui, car il n’était plus rien, la nudité s’imposait.

Les mémoires de Charles-Henri Sanson, dont la famille fournissait des bourreaux à Paris depuis au moins trois générations, sont rappelés pour Frédéric Armand. Le célèbre bourreau qui officia notamment pendant la Révolution française est né à Paris en 1739. Il dut remplacer son père à quinze ans, quand celui-ci fut frappé d’infirmité. Il vécut dans un splendide hôtel particulier, que rien ne distinguait, sauf peut être le nom de la rue, à savoir… « rue de l’enfer ». Malgré tout le mépris dont il faisait l’objet, Sanson avait soif de reconnaissance. Il était habillé de façon élégante et jouait même au gentilhomme. Il parvint à passer pour un noble aux yeux de ceux qui ne le connaissaient pas ou mal.

Très pieux, il assistait fréquemment à la messe, mais il avait une maîtresse. Avec la Révolution de 1789, le bourreau ne fut plus considéré comme un paria, comme un être au ban de la nation. Sanson voulut néanmoins démissionner, mais on lui refusa cette option. On le suspecta d’être favorable au roi et à ses anciens privilèges d’ancien régime. Avant la Révolution, le système était très codifié, on tenait compte du crime commis et du rang social du condamné. Cependant, la Révolution bouscula les rites séculaires et l’adoption de la guillotine constitua à elle-seule une rupture majeure dans la chaîne morbide de la mise à mort.

Si le docteur Guillotin était à l’origine de l’invention de la guillotine, ainsi que le relève l’auteur, il regretta toute sa vie sa création. Certes « il voulut (par ce biais) soulager l’humanité, (mais il) contribua sans le prévoir à la destruction d’un grand nombre d’individus ». Après la Révolution française, Sanson continua son office à Paris et devint très célèbre. Il forma, en quelque sorte, tous les bourreaux de France et il fit preuve de beaucoup d’humanité. L’abolition de la peine de mort en 1981 porta un coup fatal aux bourreaux. L’auteur évoque en outre les pays qui font encore usage de la peine de mort. Aux Etats-Unis d’Amérique par exemple, c’est l’administration pénitentiaire qui fait fonctionner la chaise électrique. Il n’y a qu’en Arabie Saoudite que l’on retrouve des bourreaux professionnels comme dans la France pré-1981.

Comprenant nombre d’annexes, de notes et de références bibliographiques précises, cet ouvrage est intéressant et ambitieux. C’est avec délicatesse que Frédéric Armand aborde l’histoire des bourreaux en France.

Jean-Paul Fourmont