Parmi la très abondante bibliographie consacrée à la Résistance française, on ne trouve guère d’ouvrages qui traitent véritablement des objets utilisés par les résistantes et les résistants dans leurs activités quotidiennes. S’ils apparaissent dans un ouvrage consacré aux organisations, aux acteurs ou aux actions, c’est en guise d’illustrations d’un propos dont ils ne sont pas le centre. Ce livre se propose de nous les présenter et de les étudier pour eux-mêmes. L’ambition de son auteur est « d’évoquer les conditions du combat clandestin en présentant l’histoire d’une cinquantaine d’objets emblématiques de la Résistance française ».
Historien spécialiste de la Résistance française, Frantz Malassis est le chef du département « Documentation et publications » de la Fondation de la Résistance. Il est le rédacteur-en-chef de la Lettre de la Fondation de la Résistance dans laquelle il a écrit de nombreux articles, et particulièrement une série d’articles consacrés aux objets de la Résistance, ainsi qu’à des analyses de photographies. Il anime également la campagne de sauvegarde des archives privées de la Résistance et de la Déportation, menée en partenariat avec la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, la Fondation de la France libre, le ministère de la Culture (Archives de France) et le ministère des Armées (direction de la Mémoire, de la Culture et des Archives). Intervenant dans de nombreux documentaires télévisés, il a participé en 2022 à la série de Patrick Rotman « Résistance » diffusée sur Arte.
Un regard neuf sur l’histoire de la Résistance
Les objets sont ici la matière première du récit historique. Le livre se compose de six chapitres thématiques : Alerter l’opinion ; Communiquer et renseigner ; Transporter et se déplacer ; S’armer pour combattre ; Se cacher, disparaître, se reconnaître ; Réagir face à la répression. A l’intérieur de chaque chapitre, après un bref exposé du thème, divers objets sont présentés : leur origine, leur fonctionnement, leur évolution, leur utilisation (contextualisée et incarnée). De nombreuses photographies accompagnées de légendes précises aident à la compréhension, ainsi que des témoignages de résistantes et résistants racontant leur utilisation, et donc leurs activités de résistance.
Au fil des pages, le lecteur découvre et partage concrètement la vie et les actions des résistantes et des résistants. Il en perçoit la diversité (l’agent de liaison, le radio, l’imprimeur, le maquisard etc.) et les dangers, mais aussi l’inventivité. Ce travail permet ainsi d’appréhender la réalité de la lutte clandestine dans sa dimension anthropologique. Il montre aussi comment ces objets ont marqué durablement la mémoire collective des Français grâce au cinéma, à la littérature ou aux mémoires des acteurs. On prend conscience des avancées technologiques fulgurantes dont a pu bénéficier la Résistance, en particulier dans le domaine des transmissions radio, de la cryptologie, du sabotage ou de l’armement. D’objet en objet, on parcourt l’univers résistant.
Il est des objets qui imprègnent la mémoire collective des Français quand il s’agit d’évoquer le Résistance, objets incontournables pour l’écrivain, le cinéaste ou le metteur en scène : le poste émetteur-récepteur, la traction-avant, le pistolet-mitrailleur Sten, le brassard FFI, le petit avion Lysander qui dépose la nuit ses passagers clandestins, etc. On les trouvera bien sûr, rigoureusement présentés, mais on en trouvera beaucoup d’autres moins connus, pour certains bien étonnants.
Des objets symboliques de la Résistance
Le premier chapitre accorde une grande importance à l’impression de papillons, de tracts et de journaux, par des moyens de reprographie rudimentaires au tout début de l’Occupation, jusqu’aux grosses machines d’imprimerie professionnelles utilisées dans des imprimeries clandestines, en passant par la ronéo, « duplicateur adapté au combat clandestin ». Nombre d’illustrations et de témoignages sont empruntés au journal Défense de la France, qui donne son nom au mouvement. On voit ainsi comment, à partir des objets qui servent à imprimer, sont évoqués les activités de propagande, et la naissance des mouvements de résistance, qui se constituent presque toujours autour et à partir d’un journal.
Les postes émetteurs-récepteurs sont présentés dans le même chapitre. On constate dans ce domaine une évolution technologique rapide vers la miniaturisation. Ainsi le récepteur miniature britannique type MCR-1 est-il livré dans une boîte à biscuits d’un kilogramme, avec un casque d’écoute, deux ou trois piles, un dispositif d’alimentation sur secteur. Il est puissant et chaque pile permet 30 heures d’écoute. Ces objets permettent d’évoquer les activités de renseignement, les dangers encourus par les « pianistes », spécialistes des transmissions radio, ainsi que les procédés de codage et leur évolution. On peut apprendre avec travaux pratiques la technique du « codage par double transposition » !
Au chapitre des transports et du déplacement, deux objets vedettes : la bicyclette et la traction avant. Six pages sont consacrées à la bicyclette, « véhicule à tout faire de la Résistance ». Elle était un mode de transport indispensable, utile aux agents de liaison en particulier. Elle était un objet très convoité (les vols étaient fréquents et toujours dramatiques) et très règlementé : on apprend que chaque vélo devait être équipé de trois plaques (et même quatre à Paris ) et de deux feux réglementaires (qui doivent être presque complètement obturés la nuit pour des raisons de Défense passive !). A la lecture de témoignages, on comprend qu’on n’hésitait pas alors à faires des centaines de kilomètres, sur des bicyclettes aux pneus qui crevaient fréquemment, et sur des routes difficiles.
Deux autres pages nous rappellent que la traction avant Citroën fut le « symbole de la liberté retrouvée » après avoir été celui des sombres descentes des hommes en pardessus noir de la Gestapo.
Les avions Lysander et Hudson, « héros nocturnes des atterrissages clandestins » étaient capables de se poser et de décoller sur de faibles distances sur des terrains balisés au cœur de la nuit, où une équipe de résistants sédentaires, ou de maquisards, réceptionnaient les containers de différents types, remplis d’armes, de munitions et de matériels divers, présentés dans le chapitre « S’armer pour combattre ». La présentation des avions et des containers permet d’évoquer l’organisation des parachutages, mode essentiel de liaison entre Résistance extérieure et intérieure, et d’armement de cette dernière.
Ces containers apportèrent aux maquisards des milliers de pistolets-mitrailleurs Sten Mk II, « arme mythique de la Résistance ». Une arme « née dans l’urgence, adaptée au combat clandestin, ancrée dans les mémoires », à laquelle sont consacrées cinq pages richement illustrées. Dix pages sont consacrées au matériel de sabotage, parachuté dans les containers, ou de fabrication artisanale. A partir de ces objets sont présentés les missions de sabotages de la France libre , la formation des saboteurs (avec un gros plan sur Jeanne Bohec, seule femme française instructeur de sabotage), mais aussi les sabotages réalisés par les résistants sédentaires et les maquisards, utilisant le matériel parachuté et les manuels de sabotages livrés avec ce matériel. Plusieurs reproductions de pages de ces manuels nous montrent comment ils étaient dissimulés sous l’aspect de guides de voyage ou de manuels de scoutisme !
Dernier symbole de la Résistance plus souvent évoquée dans les films et les livres que réellement utilisée, la capsule de cyanure. Elle est au cœur d’une des scènes les plus fortes du film de Melville, L’Armée des ombres, Néanmoins son existence fut bien réelle, et son utilisation plusieurs fois attestée. Elle était « l’ultime recours pour préserver ver les secrets », proposée aux agents envoyés de Londres en mission clandestine en France. Son utilisation potentielle posa des problèmes de conscience aux croyants et il fallut une lettre de l’aumônier Lagrave pour répondre à ces inquiétudes et la différencier du suicide. Il est des agents qu’elle rassura face à la torture possible (on lira le témoignage du colonel Passy, chef des services secrets de la France libre lors d’une mission en France avec Pierre Brossolette), il en est qui voulurent mais ne purent l’utiliser, il en est qui l’utilisèrent, Jacques Bingen par exemple, le 13 mai 1944, victime de la trahison d’un agent double et détenteur de très importants secrets.
Mais aussi des objets peu connus, inconnus, étonnants
On découvre dans le premier chapitre le lance-tracts à retardement, qui résulte d’un bricolage ingénieux, utilisant une boîte de conserve et un piège à rats… Son emploi est attesté lors de la visite officielle de Pétain à Toulouse le 5 novembre 1940 ou des jets de tracts venant des toits de deux immeubles vinrent perturber le passage du cortège.
Au chapitre des transmissions on rencontre les pigeons voyageurs, qui sont encore utilisés, assez peu il est vrai, comme « forme atypique de collecte de renseignements ». Le pigeon était largué au-dessus de la France avec un kit fournissant à la personne qui le recueillerait, les explications utiles, un peu de nourriture, les conseils pour bien traiter le pigeon et lui redonner des forces, un tube à fixer à la patte avec les renseignements recueillis, avant de le relâcher. « Un système archaïque et aléatoire », nous précise l’auteur.
Absolument novateur par contre, le Welbike, une mini moto parachutable ! Il s’agissait d’une motocyclette pliable, munie d’un moteur à deux temps, d’un guidon pliable et d’un tube de selle télescopique. Repliée, elle tenait dans un container de 154 X 40 cm. Dépliée rapidement, elle avait une autonomie de 140 km et une vitesse de pointe de 64 km/h. Mais peu discrète, elle n’équipa pratiquement pas la Résistance intérieure, et fut réservée aux troupes britanniques aéroportées.
Frantz Malassis nous présente plusieurs armes antichars. Parmi elles le PIAT (Projector Infantry Anti-Tank) ne fut parachuté qu’à 1200 exemplaires aux maquisards français au printemps et à l’été 1944. Hubert Cloix, un maquisard du Morvan nous livre son témoignage quand à son utilisation, le même homme nous avait raconté son périple à bicyclette du Morvan à Paris, en une journée, réparation des crevaisons incluses.
Plus étonnant, le Welrod était un pistolet silencieux de calibre 7,65 mm, « une arme simple mais terriblement efficace », fabriquée en Angleterre, robuste, facile d’entretien, doté d’un système de silencieux révolutionnaire. Peu utilisée par les résistants, mais quelquefois par des saboteurs pour éliminer des sentinelles, cette arme équipa les forces spéciales jusque dans les années 1990.
L’ingéniosité des acteurs de la Résistance se dévoile aussi par les modes de camouflage, la fabrication des faux papiers, les signes de reconnaissance (mot de passe, demi-billet de banque etc.). Moins connues sont les cartes d’évasion en soie dont étaient équipés les aviateurs qui survolaient la France au cours de leurs missions de bombardement. Intégrées dans les kits d’évasion que pouvait utiliser l’aviateur tombé au sol, elles étaient imprimées sur les deux faces, sur de la soie ou de la rayonne (soie synthétique), fines, légères, manipulables sans bruit, résistantes à la pluie, facilement dissimulables, indétectables à la palpation en cas d’arrestation. Très détaillées (à l’échelle 1/1 000 000e), elles furent éditées en plus de 250 modèles. A ce propos sont évoqués les réseaux d’évasion qui convoyaient les aviateurs à travers la France et les Pyrénées afin qu’ils puissent rejoindre l’Angleterre par l’Espagne et Gibraltar (ou éventuellement le Portugal et l’Afrique du Nord).
Au dernier chapitre qui traite des réactions face à la répression sont présentés les cercueils miniatures envoyés aux collaborateurs comme ultime menace, les graffitis des portes des cellules de la Gestapo de Grenoble, les écrits de prison des résistants, les dessins et objets réalisés dans les camps (qui sont une forme de résistance).
Un ouvrage très riche, au contenu solide et très accessible, aux illustrations efficaces et nécessaires, qui a sa place dans tous les centres de documentation des collèges et des lycées.