Daniel Costelle n’en est pas à son premier essai. Les images du passé font parti de son quotidien. S’il a débuté en 1957 avec un court métrage intitulé « Le Jeu de la nuit » c’est dans le rôle de documentariste à la télévision que Daniel Costelle se « réalise ». Ainsi, dès 1966 son travail est récompensé par le Grand Prix de la Critique pour sa réalisation intitulée « Verdun ». Puis, les séries et les émissions se succèdent à une cadence soutenue, avec toujours le même professionnalisme dans l’exploitation des archives filmées. Nous lui devons notamment : Les Grandes batailles, Quand la chine s’éveillera, Les Oubliés de la Libération, Jean-Paul II et bien d’autres encore.
Le film qui retient notre attention aujourd’hui est conçu sur le même principe : une exploitation professionnelle d’archives filmées, souvent inédites, autour d’une problématique. Daniel Costelle veut nous démontrer que le 8 mai 1945 était le point final d’une guerre atroce autant que le point de départ de la guerre froide devenue inéluctable.
En fait la véritable qualité de ce film-documentaire c’est le choix judicieux d’archives pour argumenter une démonstration. Mais son principal défaut c’est que, s’agissant d’images, l’effet peut être surprenant, irritant par la cruauté.
A titre d’exemple, le film s’ouvre sur une image « forte » : une main ensanglantée, à demi ouverte, tournée vers le ciel. Probablement une personne morte pense-t-on. Puis, sans transition, un homme, tout en sang, à demi-dévêtu qui rampe vers le spectateur comme s’il lui demandait de l’aide. Cet homme symbolise toute l’horreur de la guerre. L’image est à peine soutenable pour les âmes sensibles. A priori, l’homme ensanglanté inspire la pitié mais, le présentateur nous fait savoir qu’il s’agit d’un Allemand. Un de ces Allemands qui a tant de sang sur les mains comme l’homme de la première image. Dès lors, quel sentiment prédominera chez nos ados ?
Ensuite, pour bien souligner le contraste, entre les vaincus et les vainqueurs, le film présente une foule de gens en liesse ; tous répartis en arc de cercle et en gradins un peu comme dans une arène. Une arène oui, mais qui est dans la fosse ? L’Allemand ?
Et pour prolonger ces deux scènes, Daniel Costelle divise l’écran en deux parties. A droite, remplissant sa moitié d’écran, toujours cet homme qui rampe mais avec un plan de plus en plus grand sur le visage et ses yeux ; et à droite, dans le coin haut, une image beaucoup plus petite de cette foule en liesse laissant ainsi dominer une couleur noire du fond d’écran. Le contraste est saisissant…
Il en va de même lorsque Daniel Costelle évoque l’avancée des Soviétiques. Avec des images d’archives il dépeint un tableau de fuite en avant d’une population civile prise de panique. Cette population est allemande. Les vues retenue concernent des femmes avec leurs bébés dans des poussettes et puis, quelques images plus loin, on voit une jeune femme meurtrie (et ce n’est pas une image d’archives) qui marche vers nulle part. Cette jeune femme, nous dit-on, a été violée et molestée par les troupes russes. Russes ou Soviétiques ?
Ceci étant précisé, il est indéniable que le film est d’une extrême richesse. On ne pourra que lui reprocher d’être, pour nos ados, trop violent. Parce que notre ado oscillera entre l’image du bourreau et de la victime qui tantôt caractérisera l’Allemagne, tantôt les Alliés le tout dans une succession trop rapide d’images. Certes, en dépit des faits historiques remarquablement mis en exergue par ces images d’archives, un message est véhiculé. Mais nos élèves pourront-ils le saisir ?
A moins que l’on exploite le film comme le propose le CNDP (http://www.cndp.fr/tice/teledoc/mire/mire_8mai-capitulation.htm).
Le CNDP qui a d’ailleurs publié une fiche très intéressante sur ce film et son exploitation avec des élèves.
Mais lorsque nous y lisons « Analyser le discours de de Gaulle lors de la capitulation […] il y annonce la double victoire des Nations Unies et de la France », peut-on faire l’économie de l’image du premier débarquement de de Gaulle sur le sol français ? Une image qui aurait, sans nul doute, trouvé sa juste place : un de Gaulle qui cherche où poser son pied alors qu’il s’apprête à descendre de l’engin qui le porte sur le sol français. Un de Gaulle hésitant qui ne sait pas quelle France il va trouver…
En somme, Daniel Costelle nous livre un film qui n’a pas de véritable intérêt pour nos élèves s’il est projeté intégralement. En revanche, il peut s’avérer être un excellent outil de travail sur des séquences.
A titre d’exemple : le film met en scène tous les protagonistes de ce 8 mai 1945. Côté militaire, une description imagée nous montre tous les acteurs : des généraux aux soldats. Une attention particulière est apportée aux derniers combattants allemands : des enfants. Les images de ces enfants soldats véhiculent indubitablement un message et pourtant, de part le monde, la leçon n’aura pas été retenue. Mais Daniel Costelle nous présente aussi les trois grands de Yalta avec une précision indispensable à la compréhension de cette page d’histoire. Il nous présente par ailleurs, avec le même souci du détail, les signataires du 7 et du 8 mai 1945.
En conclusion, que doit-on retenir de ce film ?
C’est indubitablement un film très riche, peut être même trop riche (ce serait son seul défaut). Sa projection de bout en bout ne paraît pas raisonnable. Son exploitation sur les simples faits historiques pas davantage. En revanche, le découpage en séquences en faisant découvrir à l’élève le subtil montage vidéo pour faire apparaître, au-delà de la réalité historique, le message sous-jacent semble être la voie à privilégier.
Dans tous les cas, le but de film, à savoir démontrer que le 8 mai 1945 était le point final d’une guerre atroce autant que le point de départ de la guerre froide devenue inéluctable, est atteint sans nul doute.
En revanche, il serait réellement dommage de passer à côté du travail sur l’image pour saisir dans toute sa réalité un monde si proche de nous : un monde construit autour d’une guerre froide elle-même engendrée par un certain « 8 mai 1945″.
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