La Chine a fait irruption, le mot n’est pas trop fort, dans la mondialisation avec le programme des quatre modernisations, initié par Deng Xiao Ping en 1978. Cet inoxydable dirigeant du parti communiste chinois, compagnon d’armes de Mao mais surtout hostile à son aventurisme en matière économique, a su attendre son heure et conduire la Chine sur les chemins du développement. Mis à l’écart successivement en 1956, campagne des 100 fleurs, au moment du grand bond en avant, pendant la Révolution culturelle et même pendant la campagne de rectification contre Lin Biao et Confucius en 1978, le vieux Deng a pu conduire l’ouverture économique de la Chine tout en réprimant de façon impitoyable les tentations démocratiques exprimées en 1989.
Les dirigeants communistes chinois ont réussi, là où Gorbatchev a échoué. Conduire le pays dans le développement économique en faisant l’économie de la démocratisation. C’est le cas jusqu’à présent, même si le Parti communiste n’a plus le monopole absolu sur la vie politique qu’il exerçait auparavant.
Les observateurs occidentaux se plaisent pour certains à souligner les évolutions positives en la matière, même si l’épisode tibétain est venu compliquer les relations entre la Chine et ses partenaires.
L’article de Jean-Pierre Cabestan présente la Chine comme une très grande puissance, incomplète et vulnérable en prenant comme arguments, le vieillissement de la population, le caractère autoritaire du régime, sa dépendance énergétique et le caractère extraverti de son économie.
Dans le même temps, la Chine a renforcé son influence régionale, contrairement à ce qui se passait dans les années soixante dix et quatre vingt. La Chine est capable de peser sur des alliés des Etats-Unis, comme la Corée du Sud ou le Japon, du fait du renforcement des liens commerciaux. Cela n’exclut pas parfois des tensions localisées, à propos de la mémoire de la seconde guerre mondiale ou encore à propos de litiges insulaires en Mer de Chine.
La Chine est de plus en plus présente également en Asie centrale, dans les territoires contrôlés par l’Union soviétique. Elle a certes passé des accords gaziers avec des États comme le Turkménistan, mais ne pèse pas autant que la Russie dans ces territoires comme le montre l’intervention contre la Géorgie qui montre à ces États les limites à ne pas dépasser.
Dans le même temps, la Chine qui devient l’exemple à Chine pour les maîtres du Kremlin, capitalisme d’État et démocratie dirigée, peut inquiéter la Russie qui devient plus regardante sur les livraisons d’armes à son voisin oriental.
Inévitablement un article sur les jeux olympiques de Pékin se devait de figurer dans ce numéro. Alexandre Schoepfer qui s’est attelé à la tâche développe des arguments déjà largement connus comme celui de transformer cette arène olympique en vitrine de la réussite du modèle Chinois ou encore la volonté de favoriser le nationalisme dans la population.
On pourrait noter que, si les objectifs ont été atteints en matière de mise en place des installations olympiques, le bilan dans la population est pour le moins mitigé. Certes des groupes de supportes chinois encourageaient bruyamment les athlètes de rouge vêtus mais dans la Chine profonde cette grande manifestation sportive n’a pas vraiment changé le quotidien des populations. Les autorités olympiques se sont évidemment pliées aux injonctions de la Chine en matière de circulation des informations et de contacts des journalistes étrangers avec la population. La médiatisation du problème tibétain n’a pas non plus changé la situation même si l’on peut espérer que des graines de libertés ne finissent par éclore.
Stéphane Delory revient également sur l’adaptation de la puissance militaire sur laquelle beaucoup de choses ont été dites depuis des années. Il est évident que le modèle ancien d’armée de masse de l’APL n’est plus adapté aux besoins de la Chine. Développement d’une marine de haute mer ou d’interdiction, professionnalisation des troupes, sophistication des matériels et notamment des outils de détection et de renseignement sont des arguments assez connus. Certes les chiffres sont impressionnants avec les 2,3 millions d’hommes de l’APL, les 1,7 millions des forces de sécurité et 1,2 millions pour la police populaire armée qui permettent de maintenir l’ordre dans ce pays. Les événements de la place Tien An Men ont montré que le régime ne reculerait pas devant le risque de faire couler le sang.
Si pour les effectifs la Chine ne risque pas de se trouver dépourvue, il n’en va pas de même pour la modernisation de son outil militaire. Face aux Etats-Unis la marine chinoise est insignifiante et ne tiendrait pas plus de quelques jours en cas de confrontation en mer de Chine. C’est d’ailleurs pour cela que le projet de porte avion a été mis en sommeil et que la priorité a été donnée aux moyens d’interdiction comme les sous marins. Malheureusement le handicap technologique de la Chine ne permet pas non plus de faire face à la sophistication des moyens déployés par les Etats-Unis.
Toutefois Stéphane Delory montre que le pays qui a renforcé son audience régionale est à même d’assurer ses voisins d’une protection alternative à celle des Etats-Unis et que les moyens de pression économique peuvent avoir autant d’influence que les démonstrations militaires.
Le cas de Taïwan sur lequel la Chine a montré à plusieurs reprises une extrême sensibilité est traité par Gilles Guilheux. Les indépendantistes de Taïwan qui ont finalement été écartés du pouvoir en 2008 ont été remplacés par des nationalistes du Guomindang beaucoup plus souples et enclins à trouver dans une intégration économiques quelques avantages. Ce sont les Chinois de taïwan qui cont les acteurs principaux du décollage de la Chine en matière électronique, et entre 1 et 2 millions de taïwanais résident en Chine continentale pour un pays de 23 millions d’habitants. De fait, la présence des États-Unis en mer de Chine avec la fameuse 7e flotte n’est plus déterminante même si elle constitue toujours une assurance vie de prix pour les habitants de la « Province rebelle ».
Pour Jean-Philippe Béja qui traite des conséquences sociales et politiques de la mondialisation, le bilan semble largement négatif pour certaines catégories de population. Le creusement des inégalités sociales affecte la classe ouvrière traditionnelle qui subit des licenciements secs et ces jeunes travailleurs, esclaves des temps modernes, soumis à l’arbitraire des employeurs. Pour autant, à l’appui de ses arguments l’auteur de l’article oppose à ces forçats de la terre l’émergence d’une nouvelle classe de dirigeants et l’élévation du niveau de vie moyen. Les étudiants qui partent à l’étranger reviennent de plus en plus au pays, surs de trouver dans leur pays d’origine des opportunités de s’enrichir. Les salaires des managers chinois employés dans les grandes banques internationales implantées dans le pays n’ont rien à envier à ce que leurs collègues peuvent trouver en Europe ou aux Etats-Unis.
Jacqueline Nivard développe sur deux pages une fiche très précieuse sur l’Internet en Chine, un sujet dont il a été largement question lors des jeux olympiques. La Chine compte en valeur absolue 221 millions d’internautes, ce qui représente quand même 17 % d’un pays de 1,3 milliard d’habitants. Les différences entre ville et campagne sont évidentes, et les cybercafés tout comme les téléphones portables constituent également un moyen de se connecter.
Dans un pays comme la Chine, les réseaux sociaux semblent avoir parfaitement pris. Myspace, le plus ancien des réseaux sociaux, fondé aux Etats-Unis s’appelle Juyou, ce qui signifie rassembler ses amis. Facebook et le réseau japonais Mixi se développement également. La difficulté d’accès à l’anglais explique le développement de forums en Chinois
Le site de rencontres Meetic existe également en version chinoise sous le nom de Mitang, ce qui signifie bonbon au miel. Évidemment internet est largement surveillé par les autorités chinoises, et on aurait aimé trouver dans cet article quelques précisions. Les opposants sont évidemment poursuivis pour leurs écrits sur la toile et des moyens divers sont utilisés par les autorités pour loquer les requêtes gênantes sur les moteurs de recherche. Il semblerait que Google ou Yahoo se soient pliés aux pressions des autorités chinoises pour permettre le blocage des fenêtres sur le Tibet ou sur les épisodes de la place Tien an Men.
Dans un entretien avec la rédaction, Jean-Luc Domenach traite de façon très complète sur le revers de la médaille, la Chine saisie par la mondialisation.
Concernant les jeux olympiques, le sinologue revient sur le décalage entre les aspirations de la population et le plaisir ressenti à une échelle de masse de voir la Chine devenir, l’espace de ces jeux, la vitrine du monde, d’autant plus que le bilan sportif a été brillant et la volonté des autorités chinoises de proposer l’image d’une société d’ordre,
Le mode de croissance économique a permis d’atteindre des taux de plus de 10% depuis vingt ans et la question qui est posée est de savoir si un tel niveau peut perdurer encore longtemps. Pour Domenach, les révoltes sociales ne sont pas engendrées par le creusement des inégalités qui conduirait à des révoltes du désespoir mais plutôt comme des signes de bonne santé. Certaines franges de la population souhaitent mieux accéder à la croissance, et finalement y parviendraient. Cela concernerait par exemple les paysans qui entendent mieux monnayer leurs terres expropriées du fait de l’urbanisation. Dans le même temps, on pourrait contester cette affirmation optimiste lorsque l’on rencontre des situations sans doute minoritaires où les populations sont littéralement soumises à l’esclavage moderne, comme l’enlèvement d’enfants contraints au travail dans des briqueteries appartenant à des cadres locaux du Parti communiste.
C’est sur l’espace chinois et sur son « caractère délirant » que le sinologue développe des arguments qui vont dans le sens d’une remise en cause à terme de la stabilité du pays. Le ralentissement de la croissance d’ici deux ou trois ans devrait laisser sur le bord de la route des millions de travailleurs des zones rurales et des espaces périphériques et les risques d’explosions sociales atteindre leur niveau maximum.
La façon dont la croissance a été menée a été fort peu respectueuse des questions environnementales. La désertification progresse et menace Pékin, les grands barrages dans des zones sismiques sont des bombes à retardement et beaucoup de Chinois se demandent, comme le dit Domenach, si le ciel ne va pas leur tomber sur la tête. Cette formule n’est pas anodine lorsque l’on connaît l’importance du « mandat du ciel » pour la population. Une catastrophe majeure pourrait déstabiliser le pouvoir, même si, dans l’affaire du tremblement de terre du Sichuan, ce dernier a pu utiliser le nationalisme et l’esprit de solidarité pour en limiter les dégâts politiques.
On reviendra aussi dans cet entretien sur la bombe à retardement démographique que la Chine pourrait voir exploser en matière de retraites. Le rapport d’il y a vingt ans, de quatre jeunes pour une personne de plus de soixante ans est amené au rythme actuel à s’inverser dans deux ou trois décennies. On pourrait discuter cette affirmation souvent catastrophiste. Le développement économique, la longueur du processus permet des transformations en douceur avec notamment le développement de système d’épargne permettant d’assumer cette transition.
Pour les droits de l’homme et la démocratie, Domenach rejette l’affirmation selon laquelle la Chine est toujours un pays totalitaire. Il présente la Chine comme un régime autoritaire où la négation des droits de l’homme serait simplement défensive. Ce sont plutôt les droits sociaux qui vont mal plutôt que les droits de l’homme. Mais ce qui ne change pas, c’est l’appropriation du pouvoir par une minorité privilégiée qui aurait tendance à se reproduire au sommet de l’État et du Parti. On serait de fait dans une situation comparable à la fin de l’Ancien régime où le pays est dominé par de grandes familles de dirigeants.
Pour sortir de cette situation le Parti pourrait évoluer vers un système à la Poutine, avec comme ciment social le nationalisme. Les jeux olympiques et l’affaire du Tibet ont montré que la tendance allait dans ce sens.
La Chine a une perception défensive de son environnement mondial. Elle entend se comporter comme une grande puissance, jalouse de la défense de ses intérêts et capable d’utiliser la force pour les faire valoir. Dans le même temps, l’équilibre subtil avec l’armée oblige le pouvoir à faire quelques concessions notamment sur les questions des espaces périphériques comme le Tibet ou l’Ouest musulman, le Xi Jiang.
Pour conclure cet entretien, Jean-Luc Domenach estime que la Chine sera amenée dans quelques années à se recentrer sur ses problèmes internes. C’est à ce prix qu’elle pourra entrer dans le club des très grandes puissances du XXIe siècle.
L’article de François Giloupoux, sur le modèle de croissance menacé, reprend de nombreux éléments connus sur la frénésie d’investissements, qui a eu des conséquences sur le renchérissement mondial des prix des matières premières, sur l’utilisation d’une armée de travailleurs à bas prix et sur une féroce guerre des prix. Tous ces éléments commencent à trouver leurs limites, la raréfaction des migrants dans certaines zones du delta de la rivière des perles a conduit ces derniers à obtenir des salaires qui ont augmenté de 20% depuis 2003. Certains d’entre eux, 11% dans certain cas, ne reviendraient pas à l’usine après les fêtes passées dans leurs provinces lointaines.
La croissance chinoise est particulièrement vulnérable aux variations dela demande mondiale et de la conjoncture américaine. Les Etats-Unis absorbent à eux seuls le quart des exportations chinoises. Le ralentissement de la croissance américaine, la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs étasuniens, peut avoir des effets en retour sur les exportations chinoises.
De plus, l’atelier du monde est aujourd’hui concurrencé par des bases manufacturières plus proches des grands marchés de consommation ou disposant d’une main d’œuvre à bas cout. Le Viet Nam, le Sri Lanka, le Cambodge, le Bengladesh sont également capable de produire à bas prix des produits manufacturés pour les grands marchés des pays développés. Le flou juridique des sociétés chinoises, leur perception très particulière du droit international en matière commerciale peuvent peser sur le développement comme l’explique Leïla Choukroune dans un article très précis sur la participation sélective de la Chine à l’ordre juridique international. La Chine a une conception finalement très empirique en ignorant ce qui la gêne, en suivant ce qui l’arrange et finalement en poursuivant ses objectifs avec une continuité qui n’est pas finalement très différente des autres grandes puissances. C’est dans le domaine du droit de la mer que la Chine a développé une conception extensive, ce qui leui permet, à tout moment, de relancer une confrontation en mer de Chine méridionale ou orientale, face à l’Asie du Sud-Est ou face au Japon. Pour ce qui concerne l’organisation mondiale du commerce, lors de son entrée en 2001, comme 143e État, la Chine a modernisé son corpus juridique mais la question qui se pose est toujours celle de l’appplication des lois sur la contrefaçon ou a la propriété intellectuelle.
À ce numéro sur la Chine, s’ajoutent un article sur la commission européenne, une excellente mise au point de Rostane Mehdi et surtout un travail de synthèse remarquable d’Abel Tournier, sur la Birmanie qui se révèle finalement assez surprenant. Aucune allusion n’est faite, et on ne comprend pas vraiment pas pourquoi, au rôle de la Birmanie comme narco-état, aux liens évidents existant entre les fabricants de drogues de synthèse et des départements de l’armée birmane. On ne voit pas non plus d’analyse du lien entre la junte Birmane et les compagnies pétrolières ce qui est tout de même assez curieux.
Au final, ce numéro de Questions internationales vient à point nommé et devrait compléter le numéro à paraître chez le même éditeur de la documentation photographique annoncé dans ces colonnes et qui fera l’objet d’une recension très prochainement.