Il y a beaucoup du « désert des Tartares », en référence au livre de Dino Buzatti dans ce documentaire qui nous est parvenu. En effet, pendant un mois, Tim Grucza et Yuri Maldavsky ont filmé le quotidien d’un avant-poste de combat dans la région de Khost en Afghanistan, à la frontière avec le Pakistan. Dans cette minuscule base, coupée de tout, 8 américains et 130 afghans luttent contre des ennemis communs, les Talibans.
Cette base, cet avant poste en fait, est située en limite des zones tribales, situées au Pakistan. Dans ce territoire, qui semble servir de base arrière aux mouvement Al Qaeda, l’armée pakistanaise, et les forces américaines malgré les fréquentes incursions, ne semblent pas parvenir pour l’instant à éradiquer le mouvement taliban.
L’avant-poste dans lequel se déroule l’action est situé face à la ligne de crête qui délimite la frontière. Face à un ennemi invisible, qui se réfugie à tout moment dans ce sanctuaire, les forces de l’armée nationale afghane soutenues par les États-Unis ne sont pas en mesure de porter à leur adversaire des coups décisifs. C’est bien ce qui donne ce caractère absurde à cette situation. Des troupes plutôt bien équipées, encadrées par des instructeurs américains qui passent près de deux mois à tirer sur des lignes de crête sur un ennemi qui se trouve derrière le relief et qui envoie périodiquement des obus de mortier sans forcément de résultats probants.
Soyons clairs, il n’y a pratiquement pas de scènes de combat dans ce documentaire, mais plutôt une réflexion sur cette fraternité d’armes créée par l’ennui qui s’égrène au fil des jours sur ces flancs de rochers.
Il y a bien entendu une petite présentation des enjeux géopolitiques de la situation en Afghanistan et l’on rappelle bien entendu que si les occidentaux y sont présents c’est pour éradiquer un terrorisme susceptible de les toucher comme le 11 septembre.
Ce qui est sans doute le plus intéressant, en dehors d’un témoignage très encadré est en fait plutôt «langue de bois» du major américain, c’est la réflexion de l’officier afghan qui prend très largement conscience des limites de son pays en matière de développement.
Ancien opposant au régime des talibans, cet officier qui visiblement n’est pas pashtoun, rêve de voir se réaliser l’unité de son pays. C’est sans doute cela qui le rend plutôt sympathique, beaucoup plus en tout cas que le major Fleischmann, malgré son discours préfabriqué sur la fraternité des armes.
Cette fraternité des armes trouve quand même ses limites dans la différence de traitement qui existe entre les soldats américains et les Afghans. Tandis que les uns passent deux mois sur leur piton rocheux, les soldats occidentaux, ravitaillés par hélicoptère, y passent à peine deux semaines.
Le documentaire met également en scène un chef de clan local qui a fait le choix de se rallier aux États-Unis. Au passage, une scène très forte qui passe pratiquement inaperçue, le montre en train de percevoir l’équivalent afghan des 30 deniers: Deux colis de matériel électronique comme salaire de son activité d’agent de renseignement dans les tribus locales.
On voit dans le documentaire un chef local se faire arrêter en raison de son lien que son fils entretient avec les talibans de l’autre côté de la frontière. Arrêté sur la base d’une dénonciation il est conduit en hélicoptère pour un interrogatoire que l’on qualifiera pudiquement de « plus poussé. »
Finalement, même si en dehors de quelques tirs de mitrailleuse lourde qui semble n’atteindre que les rochers de la crainte d’en face, il n’y a pas vraiment de scènes de combat dans ce documentaire, la violence est quand même présente. Un des soldats afghans, « atteint de folie » tire au fusil-mitrailleur sur ses camarades. L’un d’entre eux est tué l’interrogatoire révèle qu’il aurait été violé par ses frères d’armes. Triste épilogue lorsque l’on voit arriver les hélicoptères de la relève qui vienne emporter les instructeurs américains mais qui vont laisser sur place les soldats de l’armée nationale afghane qui rêve de permission et de retour dans leur famille.
Les révélations récentes de documents militaires classés sur le site Wikileaks qui vient de mettre en ligne un énorme dossier contenant une invraisemblable quantité de documents secrets donne ce documentaire sur la guerre en Afghanistan une certaine actualité.
ce qui est sans doute ici le plus important est la confirmation du rôle central desde vous services secrets pakistanais dans le soutien aux insurgés afghans. La réalité est celle-ci : d’une part, le Pakistan et ses dirigeants font officiellement partie du camp « occidental » cherchant à soutenir la reconstruction d’un État viable en Afghanistan, et touchent pour cela plus d’un milliard de dollars par an des États-Unis. Et d’autre part, en sous-main, les très actifs services secrets pakistanais, l’ISI (Inter-Services Intelligence), aident et financent l’insurrection. Pourtant, l’armée pakistanaise a mené en collaboration avec les États-Unis et sur la base de renseignements issus de la surveillance des drônes, des opérations dans les zones tribales. Mais ces opérations ne sont pas parvenues à limiter l’impact de l’insurrection.
Totalement absent du documentaire, le rôle de la drogue dans le financement des talibans. Il est vrai par ailleurs que le trafic de drogue ne se situe pas directement dans la région où se trouve ce poste d’observation.
Faut-il alors recommander le visionnage de ce film ? L’avis sera forcément nuancé. Certes, le documentaire montre les limites de la stratégie occidentale en Afghanistan, qui semble s’engager dans ce qui se faisait il y a 40 ans, lors de la guerre du Vietnam. L’enlisement avait précédé la tentative de vietnamisation de la guerre qui avait suivi les accords de Paris en 1973. Le résultat avait été la victoire du Viêt-cong et peu de temps après l’arrivée des boat-people. C’est aussi peut-être là le véritable enjeu du problème. Un Afghanistan où les talibans reprendraient le pouvoir serait une cible facile pour les puissances régionales locales, l’Iran, mais aussi l’Inde et le Pakistan qui se livrent également dans le pays à une sorte de guerre indirecte rendue obligatoire par leur statut de puissance nucléaire.
Cela peut-être les limites de ce documentaire. La présentation est trop parcellaire, manque peut-être d’une mise en situation plus générale pour en faire un véritable document de présentation d’une guerre qui va dans quelques mois atteindre sa 10e année.
Bruno Modica