Docteur en sociologie politique (thèse soutenue à l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement à Genève sur les relations libano-palestiniennes dans l’après-guerre civile), Daniel Meier connaît bien le Liban et ce d’autant plus qu’il est, depuis 2009, chercheur associé à l’IFPO, basé à Beyrouth. S’il est bien un pays qui mérite sa place dans la collection Idées reçues du Cavalier bleu, c’est le « pays des Cèdres ». Dans un opuscule de 128 pages, l’auteur s’attaque aux thèses à la simplicité trompeuse, aux points de vue biaisés sur ce petit pays toujours au cœur de l’actualité.
L’ouvrage est divisé en 4 parties, déclinées en 17 thèmes (cf. infra) qui brossent le portrait tout en nuance d’un Etat de 4 millions d’habitants.
La question des identités est abordée à travers plusieurs prismes dont le plus éculé est que « Les Libanais sont les descendants des Phéniciens ». Selon D. Meier, si les Phéniciens se sont effectivement installés dans les cités-Etats de Tyr, de Saïda et de Jbeil, villes du Liban actuel, on les retrouve également le long de la côte méditerranéenne, de la Syrie actuelle et jusqu’à Haïfa. Par conséquent, cette filiation vécue comme valorisante, pourrait également être revendiquée par les Syriens et les Palestiniens. En interrogeant les raisons de l’émergence de ce mythe qui renaît à la fin du XIXème sous l’impulsion d’intellectuels français comme Renan, il montre comment les chrétiens du Liban ont récupéré ce passé antique afin de justifier « l’existence d’un territoire autonome du Grand-Liban détaché de la Syrie ». Ce discours a été repris par les Phalangistes (droite chrétienne) lors de la guerre civile. « Les Libanais ont inventé leurs Phéniciens bien davantage qu’ils n’en sont les descendants » (p. 17), conclut l’auteur.
Il nuance l’affirmation selon laquelle « le Liban est une création de la puissance coloniale française » et relativise la soi-disant francophilie libanaise qui se limiterait, selon lui, en réalité aux seules franges aisées et majoritairement chrétiennes de la société.
La question de la démocratie découle de celle de « l’empreinte (…) politique » laissée par la France. Il refuse l’idée selon laquelle la communautarisation est « idéale » pour la démocratie libanaise. Elle est au contraire, selon lui, un frein à toute valorisation d’appartenance nationale supra-communautaire, d’autant que cette communautarisation a été le moyen, pour les puissances étrangères, d’intervenir dans les conflits de 1841 et 1860 en instrumentalisant les différents groupes.
Les parties les plus stimulantes sont celles sur l’histoire mouvementée du pays et de l’après guerre civile. Les thèses de certains historiens comme G. Tuéni sont mises en perspective et nuancées. Certes, par exemple, les Palestiniens sont un ferment de déstabilisation (par leur nombre – plus de 10% de la population -, la résistance des feddayins, le poids des camps installés aux abords des grandes villes du pays hors du contrôle des autorités libanaises) et les révélateurs des contradictions libanaises ; mais de là à en faire les seuls responsables de la guerre civile, il y a un pas que l’auteur se refuse à franchir. Les réalités complexes de la guerre civile sont ainsi analysées avec beaucoup de clarté : selon l’auteur, « ce sont moins les religions que les étiquettes religieuses qui ont servi à marquer/démarquer les acteurs en conflits » (p. 75). Il critique ainsi par exemple la lecture simpliste de la division de Beyrouth en un ouest musulman et un est chrétien.
En étudiant le rôle d’Israël ou celui de la Syrie au Liban, il redonne aux acteurs locaux une place centrale notamment dans ce que bon nombre d’analystes continuent d’appeler « la guerre des autres ». Ainsi l’alliance conclue entre Israël et la milice chrétienne de Haddad en 1978 puis avec les Forces Libanaises de Gemayel a permis l’instauration d’une zone tampon au sud Liban mais a également ensuite servi à légitimer la résistance orchestrée par le Hezbollah face à l’occupation. Les accords de Taëf de 1989 ne sont pas l’œuvre des seuls Syriens même s’ils les placent en arbitre des communautés, comme le montre l’étude de leur genèse.
Les pages consacrées au Hezbollah sont d’une clarté limpide et permettent de mieux comprendre comment, plus qu’un simple parti ou une milice, ce mouvement s’est incarné spirituellement, religieusement et politiquement dans la société libanaise, sans être le simple suppôt de l’Iran, et ce, pas seulement dans les milieux chi’ites.
La lecture de la guerre de l’été 2006 ou sur le retour de la violence depuis 2005 apporte également un éclairage distancié et salvateur.
L’ouvrage est complété par des encarts qui font le point rapide sur des questions précises comme les différentes communautés (p. 19), le rôle des grandes familles (p. 29) ou sur Michel Aoun (p. 47). On peut regretter l’absence d’une grande carte indiquant les régions évoquées dans le texte. La contrainte du format explique sans doute ce manque.
Cette présentation est un maigre aperçu des préjugés que Daniel Meier remet en cause en les replaçant dans leur contexte. Il ne cherche pas à prendre le contre-pied systématique de ces « idées reçues » mais il veut nous éviter le piège de la simplification. C’était un vrai défi qu’il devait relever : rendre simple et accessible les réalités complexes de ce pays. Défi relevé avec brio. Que vous soyez néophyte ou plus aguerri aux problématiques libanaises, cet essai argumenté et documenté vous donnera envie de vous (re)plonger dans les ouvrages plus denses de Daniel Meier ou dans ceux, par exemple, de Samir Kassir, assassiné en 2005.
@Clionautes.
Identités
— « Les Libanais sont les descendants des Phéniciens. »
— « Le Liban est une création de la puissance coloniale française. »
— « La démocratie communautaire est idéale pour le Liban. »
— « Le Liban fut la Suisse du Moyen-Orient. »
— « Le Liban est un pays magnifique. »
Société et culture
— « Les Libanais sont présents partout dans le monde. »
— « Le Liban est un des pays les plus riches du Moyen-Orient. »
— « Le Liban est un pays très francophile. »
— « La culture libanaise, c’est d’abord sa cuisine. »
Une histoire contemporaine tourmentée
— « Les réfugiés palestiniens sont responsables de la guerre civile. »
— « La guerre civile était une guerre de religions. »
— « Israël a occupé le Sud-Liban pour défendre la Galilée. »
— « L’occupation syrienne du Liban avait pour objectif son annexion. »
Périls et défis de l’après-guerre civile
— « Derrière le Hezbollah, l’Iran. »
— « Rafic Hariri a reconstruit le Liban après la guerre civile. »
— « Le retour de la violence depuis 2005 est dû à la Syrie. »
— « La campagne militaire israélienne de l’été 2006 visait à libérer ses deux soldats capturés