Atlas de la Nouvelle-Calédonie, IRD éditions, Marseille, 2012
C’est un ouvrage important qui est sorti fin février sur les étagères commerciales calédoniennes. Ce nouvel atlas aux dimensions impressionnantes (42X30), au poids conséquent (3 kilos, beau bébé) et au fond fourni (60 planches, 260 pages) « remplace » le précédent sorti en 1981 par l’ORSTOM, devenu depuis 1998 l’IRD (Institut de Recherche et de Développement). Autant dire une éternité en termes d’histoire et de géographie calédonienne : avant les « événements », avant les accords de Nouméa, avant l’insertion dans le Pacifique sud. Attention : cet atlas n’est édité pour le grand public qu’en 2000 exemplaires.
DIVISIONS GÉOGRAPHIQUES, DIVISIONS ÉCONOMIQUES
Comme le précédent, il est thématique et pas seulement géographique, ce qui prouve une fois de plus que les cartes peuvent expliquer bien des choses, ce n’est pas Roger Brunet qui ira me contredire. Mais, à tout seigneur tout honneur, l’atlas commence (passé une intéressante mise en perspective de l’île dans le contexte géopolitique du Pacifique suivie d’une histoire de la cartographie locale) par 18 planches sur les milieux : géomorphologie, hydrographie, reliefs, climats, sols, faune et flore. On se souvient alors du destin inhabituel de ce morceau d’Australie parti à la dérive vers l’Est, qui s’est enfoncé un temps dans les couches inférieures de la terre pour émerger plus tard, ramenant par la même occasion à la surface ses affleurements de nickel. Les planches sur l’orohydrographie, la bathymétrie et l’hydrologie font bien ressortir l’originalité calédonienne : « grande terre » avare en plaines cultivables, culminant à 1629 mètres (mont Panié) et traversé du nord au sud par la « chaîne » qui n’est que le sommet émergé d’une ride du Pacifique. A l’Est de la terre on plonge brusquement à 2300 mètres de profondeur d’une centaine de kilomètres de long pour remonter sur la ride des îles Loyauté, constituées de récifs marins calcaires soulevés, avant de s’enfoncer de nouveau dans les 7000 mètres de profondeur de la fosse du Vanuatu.
Pauvre en longues rivières navigables , la Calédonie est parsemée de nombreux fleuves côtiers (parfois appelés « creeks ») dont le plus grand, le Diaot, affiche à peine plus de 50km de long.
La planche sur les précipitations fait bien ressortir l’antagonisme entre un Est montagneux et arrosé (5000 mm cumulés par an) et un Ouest plus plat et plus sec (on arrive parfois à descendre autour de 400 mm cumulés). Cet antagonisme géographique s’accompagne d’un antagonisme économique et politique : l’ouest est dominé par les Européens, ce sont des zones d’élevage et de cultures économiques tandis que l’est est kanak, avec moins de cultures commerciales et un élevage confidentiel.
UNE ÎLE, PLUSIEURS PEUPLES
La seconde grande partie de l’ouvrage traite des populations et de leur histoire, avec des planches sur le peuplement austronésien, les espaces coutumiers (cartographie inédite à ma connaissance des « chemins des morts » établie par Emmanuel Tjibaou), les langues kanak et les caractéristiques de l’ensemble culturel kanak apparu vers 1000 de notre ère, après les périodes Lapita (premières poteries, 1100-800 avant JC environ), Koné (-800/200 après JC) et Naïa (200-1000). Une excellente occasion de se pencher sur les systèmes d’exploitations agricoles kanak constitués de tarodières irriguées en terrasse et de cultures horticoles en billons.
Sur l’histoire européenne, on retiendra les instructives planches 23 et 24, avec en particulier un effort remarquable et synthétique sur la période des « événements » (qui tiennent en fait lieu à la fois de guerre civile, de guerre d’indépendance et de guerre coloniale) avec ses 70 morts entre 1981 et 1989, parmi lesquels on retrouve un bon nombre de leaders de l’Union Calédonienne (branche majeure du FLNKS avec le Palika) : Pierre Declercq (1981), Eloi Machoro (1985), Yéiwéné Yéiwéné et Jean-Marie Tjibaou (1989). Force est de constater qu’aucun leader loyaliste notable ne fait parie des victimes.
Les planches 28 et 29, sur l’organisation administrative et politique et sur la population sont aussi riches en enseignements, notamment une anamorphose qui illustre le rôle politique prépondérant du Grand Nouméa, à la fois métropole locale et fief loyaliste, une orientation compréhensible puisque sur Nouméa, Païta, Dumbéa et Mont-Dore les Kanak sont moins nombreux en pourcentage qu’ailleurs et cohabitent avec des communautés traditionnellement loyalistes : Européens de souche caldoche, Métropolitains, Wallisiens, Tahitiens ou Asiatiques. Sur l’évolution de la population entre 1989 et 2009 (planche 29) on remarquera que les îles Loyauté se vident au profit du Grand Nouméa ou de la zone VKP (Voh/Koné/Pouembout). Les Drehu de Lifou, Nengoné de Maré et Iaai d’Ouvéa sont ainsi plus nombreux dans ces ensembles urbains et péri-urbains que dans leurs îles d’origine.
«MA PETITE ENTREPRISE, CONNAIT PAS LA CRISE»
On passe ensuite à la partie économie. On savait que la Nouvelle-Calédonie était un territoire riche dans le Pacifique, mais il est quand même surprenant de voir que le PIB/hab y est supérieur à celui de la Nouvelle-Zélande et que l’écart entre le PIB/hab métropolitain ne cesse de se réduire : 50% en 1960, 20% en 2009. D’autant plus surprenant que le poids des transferts de l’État dans le PIB, même si leur augmentation quantitative et très nette, ne cesse de diminuer depuis 1985 (37% du PIB en 1985, 15% en 2009). Le taux de chômage moyen est élevé (14%, et non 4,8% comme on peut le lire sur Wikipédia) mais l’économie, largement tertiarisée (73%) et soutenue par un secteur minier et industriel dynamique ( 13%) permet au territoire d’avoir une croissance supérieure à 2% (2,4 en 2011). Ces chiffres cachent cependant une grande disparité locale : la majorité des emplois sont dans le Grand Nouméa et le triangle VKP. Ailleurs, et surtout en terre kanak, les taux de chômage sont très forts. On notera enfin la faible influence du tourisme calédonien qui cumule les facteurs d’éloignement, de prix élevés, d’infrastructures insuffisantes et surtout d’une concurrence forte de la mine qui attire plus les travailleurs que le tourisme, forcément aléatoire. Au sujet de la mine et du nickel, les amateurs pourront se reporter sur les nombreuses planches à ce sujet, et en particulier celles très détaillés des usines Vale-Goro au sud et Koniambo au nord.
DISPARITÉS SOCIALES POST-COLONIALES
Les seize dernières planches sont consacrées à « vivre en Nouvelle-Calédonie » et intéresseront moins le grand public. Une place importante est donnée à toutes les communes du territoires (planches 50 à 60). Toutefois les cartes sur les temps de parcours (planche 44) sont intéressantes pour un lecteur extérieur car elles montrent bien la difficulté d’atteindre Nouméa pour les territoires du Nord et de l’Est. La planche 46 sur l’éducation retient l’attention sur trois points essentiels : la scolarisation est en augmentation, et le niveau général aussi. En revanche, l’offre est très inégale et le système reste sélectif et mal partagé. L’avenir de l’enseignement calédonien est aussi évoqué avec le transfert progressif des compétences et l’adaptation des programmes scolaires aux réalités calédoniennes et océaniennes. Je terminerai ici par la planche 49 qui indique les emplacement des squats et les types d’habitats à Nouméa où l’opposition entre un Sud-Sud Est aisé et européen et un Nord-Nord Ouest plus précaire et océanien est flagrante.
UN MANIFESTE INDÉPENDANTISTE ?
Comme on peut le voir, il y a beaucoup à lire et à regarder dans cet ouvrage majeur. Les enseignants de DNL apprécieront les résumés écrits dans la langue des Monty Python à la fin de chaque planche. Maintenant, une petite remarque politique quand même : le ton, les planches, les données de cet ouvrage sont, à mon avis, clairement dans une optique pro-indépendantiste, ou plutôt pro-indépendance-association. Beaucoup de choses semblent être présentées pour montrer qu’au sein du Pacifique sud une Calédonie indépendante, insérée dans un ensemble géopolitique favorable, n’est pas une idée insensée. On est loin des réalités vanuataises (archipel du Vanuatu devenu indépendant en 1980 et très pauvre). On rejoint ici des courants de pensée fréquents au Congrès, que ce soit du côté des indépendantistes historiques de l’UC et du Palika ou du côté d’une frange des loyalistes du RUMP (UMP local) qui semblent avoir fait leur deuil et militent désormais pour une indépendance de type anglo-saxon, à l’image des voisins Australiens et Néo-Zélandais.
Mathieu Souyris, collège de Plum, Mont-Dore, NC.
http://nouvelle-caledonie.ird.fr/toute-l-actualite/evenements/carte-blanche-a-l-atlas
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