Sur les 37 millions de logements que compte la France, 20 millions sont des pavillons. Fort de chiffre qui n’a rien d’anodin, Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, professeurs de sociologie, respectivement à l’université de Bourgogne et à l’université de Lorraine, brossent un portrait de ce mode d’habiter au succès non démenti et que l’actualité récente de la pandémie de Covid-19 a remis en scène lors d’un télétravail ayant concerné 8 millions de salariés, soit le tiers d’entre eux.

Le premier chapitre expose les ressorts de cette préférence pour le duo maison individuelle avec jardin (si possible avec le statut de propriétaire) que l’on n’hésite pas à adopter même s’il faut aller jusqu’à 30 minutes de temps de trajet pour se rendre au travail. Deux symboles sont mis en exergue : le barbecue (qui concerne toutes les couches sociales) et la piscine qui, a priori, pourrait concerner les plus riches mais qui se démocratise (sur 3 millions de piscines privées en France, on note une répartition pour une moitié des piscines enterrées et pour l’autre, des piscines hors sol) et qui permet un entre-soi précieusement entretenu.

Le chapitre 2 se veut plus historique. Politiquement, on note une dissociation entre les souhaits pavillonnaires des populations et l’offre étatique qui développe l’habitat collectif. Les forts besoins de logement de la reconstruction l’exigent mais on peut remonter au XIXème siècle pour évoquer l’amélioration des conditions de vie des ouvriers pour justifier cette attirance vers le pavillonnaire. Mais bien qu’individuels, les pavillons des banlieues sont tristes, peu équipés et ne tardent pas à se dessiner comme un « anti modèle ». Et donc, l’habitat en immeuble collectif apparait comme symbole de modernité. L’accession à la propriété sera facilitée par la libéralisation du crédit à partir des années 1970. Arrive ensuite la maison individuelle groupée pour stopper le développement pavillonnaire anarchique, non sans influence américaine. La voiture est le complice de cet asservissement (la distance domicile travail passe de 13 kms en 1982 à 35 kms en 2010). Ce modèle apparait lui aussi contesté : esthétiquement (une certaine France « moche » de ces lotissements uniformisés) et environnementalement (artificialisation des sols, fortes émissions de C02 du fait du recours à la voiture – quoi que les périurbains ne sortant pas toujours le week-end et, ayant une offre de proximité pour faire leurs courses, ils ne polluent pas plus que les urbains purs qui partent au vert dès que possible, parfois en avion). La réponse est-elle à chercher dans la densification qui, au départ, était vu négativement, responsable de la dissémination des maladies ? On a aussi payé l’image négative des grands ensembles. On a tenté de créer d’autres pavillons sur les parcelles existantes (processus dit « BIMBY » : « build in my backyard »).

Le chapitre 3 lance le concept « d’habitant total » qui n’a pas la charge positive de « l’acteur » ou du « sujet » ni la charge négative de « l’agent ». On reparle ici d’espace conçu (le dessin idéalisé de la maison), d’espace vécu (les représentations des habitants, leurs expériences et leurs imaginaires) et d’espace perçu (les pratiques quotidiennes, sensibles). Le pavillon offre du temps libre, des « coins », une connexion au monde jamais entravée avec ses multiples prises, des routines, des possibilités de « se réaliser », seul ou en famille. Le jardin a une importance cruciale. L’expérience du confinement a imbriqué les identités professionnelles et personnelles et a généré des conflits d’espace et de temporalité, on s’est « offert » au regard des personnes de son foyer, non sans trouble.

Partant du constat que la France pavillonnaire n’est pas uniforme, le chapitre 4 expose différents types de pavillons « enchantés » :

  • Le pavillon sécurisé à l’image des enclaves résidentielles et des ghettos de riches qui gagnent la France un peu comme aux Etats-Unis.
  • Le pavillon clubbisé pour qui la sélection sociale d’habitants est aidée par une dispersion forte des zones d’habitats où l’on peut justement se regrouper. Les élus renforcent cette tendance au nom de la préservation du cadre de vie. L’engagement des habitants n’y est hélas pas citoyen mais juste consommateur.
  • Le pavillon gentrifié : l’analyse diffère de la gentrification classique qui nécessite un stock de catégories populaires au départ pour justement « aller vers le haut ». Ici, on est sur de la construction d’un meilleur standing mais aussi de la réhabilitation.
  • Le pavillon écologique : en plus des matériaux savamment choisis, on a ici des habitants qui font attention aux circuits courts, au caractère cultivable du jardin, aux eaux de pluie, au compost…mais avec un éloignement des centres, il y a toujours consommation d’essence…est-ce donc si durable ?
  • Le pavillon convivial : il est basé sur des travaux faits main après la construction, l’entraide entre voisins, manuelle mais pas seulement (sociabilité de l’apéro, jardins partagés…).

Le chapitre 5, dans la veine du précédent, expose le pendant des réussites avec des exemples de pavillons « désenchantés » souffrant de travaux interminables, d’une dépendance totale à l’automobile, de rapports de voisinage tendus…

  • Le pavillon inachevé : par manque de temps, d’argent, grevé par les tensions intrafamiliales et le repli social.
  • Le pavillon insociable : il est ici question de compétition entre voisins pour exhiber son niveau de richesse. Les bruits et nuisances olfactives sont une gêne lorsque les parcelles sont petites et cela rappelle finalement l’habitat collectif qu’on avait voulu fuir.
  • Le pavillon excentré : loin de polarités urbaines mais aussi loin des centres-bourgs, il oblige à un usage quasi-total de l’automobile et génère des navetteurs en carence de relations sociales.
  • Le pavillon inadapté : l’effet « boomerang » de l’âge apparait ici. Ce qu’on a souhaité jeune (indépendance, discrétion des voisins…), on le voudrait en vieillissant mais on ne l’a pas cultivé…sans compter les cas où les aménagements pour le vieillissement physique peuvent s’avérer difficile et coûteux (surtout pour les veufs et veuves).

Accompagné d’un petit cahier central d’illustrations colorées et d’encarts réguliers pour faire le point sur tel ou tel aspect de la question, nous avons là un ouvrage très agréable et facile d’accès sur un trait de société partagé par beaucoup.