Il ne saurait être question de faire ici un compte-rendu détaillé des Paroles de poilus. Rappelons seulement que cette anthologie essentielle est organisée en six saisons, depuis le « premier été » jusqu’au « dernier printemps », et que, si l’émotion est présente à chaque page, à chaque ligne, à chaque mot, la perspective donné par Guéno et Laplume, tous deux issus de Radio-France, ne laisse jamais échapper la dimension historique du propos le plus touchant. Ici, la lettre replacée dans un contexte même minime enseigne autant qu’elle touche.
Mon Papa en guerre ne saurait échapper à une comparaison avec les Paroles de Poilus. Ce film, réalisé par Jean-Pierre Guéno et Axel Clévenot, reprend à grands traits l’esprit et le matériau de l’anthologie. On pourrait, dans un premier temps, être gêné par ce qui pourrait apparaître comme une simple illustration un peu figée de quelques lettres lues. On se laisse pourtant bien vite porter par la qualité de ce documentaire. Là encore, il est très difficile de s’attarder sur une expérience plutôt que sur une autre, tant chacune est riche. On pourra cependant retenir le parcours de Lazare Silbermann, juif roumain d’origine, prêt à mourir pour son pays d’adoption, qui décèdera après la guerre de la grippe espagnole dont la veuve sera gazée à Auschwitz en 1942. La lettre qu’il adresse à son épouse à son départ pour la guerre en août 1914 met en place un parcours humain particulièrement intéressant, hésitant entre reconnaissance et abnégation, tristesse et sens de l’honneur. Le léger accent avec lequel est lue cette lettre (par ailleurs à retrouver dans Paroles de poilus p.138-139) peut sembler superflu, alors que les documents iconographiques (cartes postales, portrait photographique de famille, plans sur l’original de la lettre) suffisent. On pourra aussi retenir le cas de Marin Guillaumont qui, alors qu’il vient d’apprendre la naissance de sa fille en décembre 1914, témoigne déjà de pulsions pacifistes, se réjouissant qu’ « elle ne soit pas appelée à voir les horreurs qu’un homme peut voir » (P.P., p.115-118). Enfin, mais cela n’est qu’un choix très arbitraire, on pourra résumer ce « 52 minutes » par une phrase que Joseph Thomas adresse à son fils Armand, alors âgé de 15 mois : on le trouve dans ce DVD « en compagnie de beaucoup de papas qui ont laissé, comme moi, de petits anges chez eux ». C’est en effet bien la relation entre le soldat et son enfant qui est l’objet du documentaire et il est aisé, par la sobriété de la mise en images, d’utiliser ce lien comme fil conducteur d’une étude sur la Première Guerre Mondiale.
Le second DVD obéit à une toute autre problématique. Il s’agit là davantage de saisir la vie du soldat dans ce que ces expériences combattantes ont eu de bouleversantes pour ceux qui s’y trouvèrent plongés. Là encore, les auteurs se fondent sur les lettres du front. Le départ à la guerre semble se résumer aux seules impressions de fierté du devoir à accomplir et de joie de l’armée en marche. Bien vite, la peine commence à apparaître dans la tête des combattants au point que le jeune Willy demande à ses parents de lui envoyer des graines de plantes, tant le paysage de guerre qui lui est donné de voir l’attriste. C’est ce désespoir naissant qui pousse à la fraternisation de Noël 1914. Cet épisode n’occupe que le dernier quart d’heure du documentaire mais la construction du propos est excellente. Lentement, le récit utilise le doute du soldat comme fil rouge aboutissant à la fraternisation. Celle-ci se verra censurée, à l’exception de la presse anglaise qui en fera cas. Ce Premier Noël dans les tranchées est un modèle du genre, même si les images de docu-fiction n’apportent rien à son propos. Conseillé en particulier par Rémy Cazals et Jean-Pierre Guéno, le réalisateur Michaël Gaumnitz sait mettre en valeur les images d’époque. Le DVD est par ailleurs enrichi d’une petite introduction disponible sur Internet et surtout d’un bonus de 13 minutes contenant un entretien avec Marc Ferro, répondant à quelques questions simples sur cette fraternisation des tranchées.
Ce coffret peut porter à critiques : certaines images sont peu utiles, on se perd parfois entre réalité et fiction et surtout l’émotion est omniprésente. L’actualité montre combien les professeurs d’Histoire-Géographie se méfient de la corde sensible utilisée pour elle-même. Certes, mais ici, la chose est différente. L’émotion n’est qu’un des moyens pour retenir l’attention nécessaire à la compréhension de ces expériences complexes. Ce coffret est vivement à recommander, en espérant seulement qu’il échappe à l’attention de quelque people…
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