Pierre Lagayette, Directeur du Centre de Recherches « L’Ouest américain et l’Asie/Pacifique anglophone » et Professeur de littérature et civilisation américaines à l’Université de Paris IV, nous offre à travers la publication de cet ouvrage qu’il a dirigé de nombreuses avancées de la recherche sur l’Histoire constitutionnelle des Etats-Unis. L’actualité éditoriale autour de cette question de l’Exécutif est importante. Elle est liée à l’inscription de cette thématique aux concours du CAPES et de l’Agrégation d’Anglais. Au-delà de dette considération, il s’agit avant tout de se poser avec lui la question de savoir quels sont les rapports qu’entretiennent entre eux les différentes branches institutionnelles de la Présidence, au Congrès en passant par la Cour Suprême depuis que Franklin D Roosevelt a promu l’exercice d’une présidence moderne.

En fait comme le rappelle l’auteur dès l’introduction citant William H Seward, secrétaire d’Etat de Lincoln :« We elect a king every four years and give him absolute power within certain limit, which after all he can interpret for himself ».
Ce système a été forgé dès l’origine par les premiers présidents de Washington à Jefferson. Ce dernier, pourtant peu coupable de fanatisme présidentialiste, allant jusqu’à dire que les limites imposées du pouvoir présidentielles pouvaient être repoussée pour le bien du peuple. Le principe d’une présidence impérial, entretenu par les différentes présidences de Washington qui impose en 1793 la neutralité américaine dans les guerres européenne, prérogative du Congrès, à Monroe qui en 1823 délimite les contours de la politique extérieure américaine, est acquis. Arthur Schlessinger en tira le titre d’un livre majeur « The Imperial Presidency » qui aujourd’hui encore fait référence.
JC Vinel en montre l’importance dans son article consacré à F. D. Roosevelt. Il explique parfaitement les enjeux de ce nouveau type de présidence : personnalisation du pouvoir, retrait du législatif et combat avec la Cour Suprême sur les lois du New Deal. Depuis son arrivée au pouvoir en 1932, le président est le principal moteur de la redéfinition des pouvoirs et des responsabilités de l’Etat. Le passage d’un système politique caractérisé par la prééminence des tribunaux et des partis à une forme de modernité institutionnelle reposant sur le renforcement des capacités fonctionnelles de l’Etat Fédéral est acquis.
Quatre élément essentiels à la présidence de l’époque moderne sont analysés avec brio :la capacité à gouverner de manière indépendante, la capacité à faire adopter des lois, la visibilité du président dans les médias et la construction de ressources administratives et fonctionnelles soutenant le président dans son nouveau rôle. On aura de cesse d’alterner les lectures pour aller compléter cette approche liée à la communication dans la troisième partie et en montrer l’importance extrême au regard des événements récents. Le 4ème pouvoir en est-il vraiment un ?
Ainsi, JC Vinel explique fort bien ce qui fait l’originalité de la présidence Roosevelt. Roosevelt. Ce dernier n’a jamais cherché à créer un état bureaucratique et centralisé sur le modèle européen, sa réussite est ainsi d’avoir imbriqué un Etat administratif et social dans la structure de la constitution américaine : c’est bien une « constitution administrative » qui est née du New Deal sur laquelle les présidents pourront s’appuyer si le Congrès fait obstruction à sa volonté.

Cette dernière caractéristique est parfaitement illustrée par A Rudalevige et M. Antoine qui démontrent de manière magistrale que les moyens de gouverner pour un président sont multiples, à travers les « Executive orders » ou bien les « signing statements ». Il s’appuie aussi sur son administration qui va acquérir au fur et à mesure des présidence du New Deal à la Grande Société de L. Johnson un poids de plus en plus grand.

Bien qu’indéniable, la possibilité pour le président des EU de légiférer seul, par décret-lois, ne saurait cependant être assimilée à un pouvoir d’ordre impérial. Le contrôle réciproque des composantes du gouvernement prévu par la Constitution s’est adapté aux formes de pouvoir que la Maison Blanche a su conquérir, notamment à la faveur des guerres, ouvertes ou larvées. Bien qu’ils soient peu pressés de le faire, si le Congrès ou la CS le décide et trouve le moyen de réagir à des initiatives jugées scabreuses, le président est susceptibles d’essuyer des revers spectaculaires.

On retiendra avec jubilation les deux contributions de Anne Deysine (dont deux de ses ouvrages ont été recensés par nos soins 1 et 2) et de François Vergniolle de Chantal. La première nous donne à réfléchir sur les relations entre la présidence et la Cours Suprême. Anne Deysine nous entraîne dans les méandres des principales contestations de la Cour contre le pouvoir présidentiel. En règle générale, des ennuis de F D Roosevelt à faire passer ses lois à Nixon et les affaires des « Pentagon Papers » et du « Watergate », la Cour Suprême ne plie pas devant l’Exécutif et parfois s’y oppose. Un dernier exemple développé à deux reprises dans l’ouvrage est celui consacré à la politique de « War on Terror » initiée par GW Bush. La commission présidée par le très conservateur Chief Justice Rehnquist a surpris tout le monde : elle a finalement accepté de se saisir de plusieurs affaires de nature plus politique, touchant au fonctionnement des institutions. Elle a envoyé un message fort à la présidence avec des décisions de 2004 à 2006 qui ont infligé de sévères camouflets à l’administration. La Cour Suprême a accepté trois affaires liées à Guantanamo en 2003 puis l’affaire Hamdan en 2005. Elles touchent au rôle des juridictions fédérales en matière d’Habeas Corpus, à la légalité des commissions militaires et au pouvoir de la CS d’interpréter les conventions internationales.
François Vergniolle de Chantal quant à lui souligne le « divided government » qui exprime la division du gouvernement quand le Congrès et la Présidence n’ont pas la même couleur politique. Il insiste sur le 104ème Congrès, à majorité républicaine, durant la présidence Clinton. Avec Clinton, c’était l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de responsables politiques. C’est essentiellement ce changement de génération qui faisait de Clinton une figure extrêmement polarisante aux yeux de la droite conservatrice. . La nouvelle majorité sous le contrôle du Speaker de la Chambre des Représentants, Newt Gringich, se lança dans une attitude de pure confrontation, très largement idéologique et utilisa le moindre prétexte pour faire chuter la présidence de Clinton. Les questions de personne, le « character issue », ont donc été au cœur de la vie politique de cette décennie. L’arrivée à la tête du législatif d’une majorité républicaine fut originale en ceci qu’elle était ordonnée autour d’un véritable programme de gouvernement, les dix propositions du « Contrat avec l’Amérique ». cette innovation impulsa une logique parlementaire à la vie politique américaine. L’impeachment qui a menacé la présidence Clinton a amené Arthur Sclessinger à écrire que « la présidence impériale s’est effondrée » dans les colonnes du International Herald tribune en 1998.

Qu’apporte de plus cet ouvrage par rapport aux autres ? C’est avant tout une approche diversifiée, les articles étant écrits par des Universitaires français et américains, mais aussi la variété des thématiques envisagées qui en fait la richesse. On lira avec passion certains passages qui donnent du sens à une actualité que nous avons regardé de loin sans vraiment la comprendre. Les informations de grande qualité permettent aussi de mieux appréhender les enjeux de pouvoirs entre les différentes institutions et l’importance de la figure centrale de la présidence ainsi que sa personnalisation. Mais, c’est dans la nature même de la Constitution voulue équilibrée par les Pères Fondateurs que réside les contradictions qui se font jour pour ceux qui suivent l’actualité américaine, loin d’un antiaméricanisme certain mais malheureux qui est largement le fruit d’une méconnaissance profonde de ce pays tout à la fois fascinant et dérangeant. Cet ouvrage est donc un complément indispensable pour tous ceux qui souhaitent mieux comprendre les Etats-Unis, au-delà des considérations rapides et peu fondées à l’épreuve des faits.

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