Chacune des quatre parties développe un axe avec un premier article de synthèse suivi dans les chapitres suivants d’étude de cas pris essentiellement en Afrique subsaharienne et quelques incursions en Amérique latine et Asie.
On retrouve au fil des pages une interrogation : Quelle est la bonne échelle d’analyse des évolutions des sociétés rurales des pays du Sud?
Conflits d’espaces : quels compromis territoriaux?
Une synthèse sur l’état de la question par Roland Pourtier introduit six études de cas. Il met en regard pression démographique et conflits sur l’espace dans le contexte de la globalisation. L’augmentation des productions agricoles s’est fait par extension des terres utilisées plus que par gains de productivité mais aujourd’hui se pose la question d’une exploitation raisonnée durable d’une terre « finie » par une population rurale toujours aussi nombreuse même si elle son poids décline par rapport à la population urbaine. Si on peut constater des éléments communs à l’Afrique subsaharienne la diversité des situations domine.
On lira avec intérêt la brève analyse de la crise rwandaise de 1994 et de la situation actuelle au Kivu voisin, crise démographique plus qu’ethnique.
Célestin Kaffo présente l’évolution des structures productives sur les montagnes de l’Ouest-Cameroun; comment la pression démographique a conduit à une mise en valeur des terres d’altitudes et engendrer des conflits entre population de la zone et migrants (urbains de retour au village investissant dans la terre et bergers nomades Bororos et Peuls).
Alain Gascon nous emmène en Éthiopie où les cultures florales pour l’exportation se développent autour de la capitale au détriment des petits paysans (expropriés, employés dans des conditions insalubres et peu payés). Il s’interroge sur la contribution de cette activité au développement agricole et sur les impacts sociaux. Sur ce thème on peut se reporter au reportage de Jean- Michel Rodrigo : « Le business des fleurs »
Au Burkina-Faso Xavier Augusseau propose une réflexion sur le concept de terroir ; il décrit les dynamiques d’occupation du sol et de parcours pastoraux dans un contexte de migrations internes : organisation spatiale des activités et interaction des différents acteurs.
C’est aussi la question de l’élevage au Nord-Cameroun, région de Garoua qui est développée dans le chapitre suivant d’un collectif de contributeurs. Deux modes de gestion des pâturages et de relation éleveurs – agriculteurs, deux réalités amènent à une réflexion sur la notion de territoire : éleveurs sédentarisés Mbororo et élevage sur jachère chez les Tupuri.
Marion Charbonneau et Laurent Gagnol comparent les mobilités et les dynamiques résidentielles dans les espaces pastoraux dans la puna péruvienne et dans l’Aïr au Niger. Deux sociétés pastorales confrontées à des milieux difficiles mais différents : désert, altitude dont l’identité est fortement marquée par leur organisation spatiale en voie de sédentarisation et leur rapport aux ressources naturelles mises en danger par la pression démographique et le changement climatique. Les auteurs montrent les mécanismes de fixation en « villages » sans pour autant voir disparaître le nomadisme dans des logiques socio-spatiales complexes.
Christiane Bouquet pose la question des droits fonciers entre traditions coutumières, arrangements coloniaux et « sécurisation », terme de la banque mondiale, de l’accès à la terre. Il met en évidence les tensions nées de cette volonté de définir la propriété du sol notamment en Côte d’Ivoire, mais aussi accaparement des terres par des non-ruraux et plus récemment l’apparition d’investisseurs étrangers aux dépens des cultivateurs.
Rapports villes-campagnes: quels territoires de référence?
Pour François Bart les paysans des montagnes d’Afrique confrontées à la pression démographique sont à la recherche de nouveaux territoires, il décrit les évolutions de la fermeture sur le terroir à l’ouverture vers les villes à la lumière de trois cas : Rwanda entre 1970 et 1980, Dans la période 1990-2000 Ouganda et Tanzanie. Il s’interroge sur l’horizon de ces sociétés : la colline rwandaise confrontée à l’impasse sur le foncier, front de peuplement et impasse de la grande ville, horizon urbain dans le contexte de l’exploitation caféière sur les flancs de Mont Elgon en Ouganda et intégration du piémont du Kilimandjaro à l’économie ouverte quand l’argent du café joue un rôle moteur.
Face aux incertitudes des années 80 pour les cultures de rentes les Tanzaniens des Poroto Mountains ont choisis le développement de l’agriculture vivrière pour approvisionner la vile. C’est cette évolution et le système multiscalaire des flux : produits, acteurs, informations qu’étudie Sylvain Racaud.
Hélène Mainet et Jean-Charles Edouard étudient le rôle d’interface des petites et moyennes villes entre monde rural et grandes cités dans les montagnes de l’Afrique de l’Est : nouvelles territorialités, capacité d’innovation des acteurs, migrations de la grande ville trop chère vers les villes moyennes. Ils évoquent une « privatisation de développement.
L’ouverture des campagnes de l’Ouest-Cameroun fournit à Martin Kuete le cadre de son étude. Comment les innovations et les modes de vie venus de la ville se diffusent en milieu rural? Il s’intéresse en particulier aux limites spatiales des projets de développement, au niveau d’intervention des ONG, coopératives agricoles quand la campagne objet d’un développement volontariste devient un enjeu de pouvoir. En matière d’électrification, de développement des communication (téléphone cellulaire et internet) la ville domine la campagne.
Le cas des îles Kiribati (océan pacifique) à retenu l’attention d ‘Esmeralda Longépée et Virginie Duvat. On assiste ici à une recomposition territoriale, on passe d’un modèle territorial passé reposant sur l’adaptation aux ressources et contraintes environnementales à une occidentalisation du mode de vie et une augmentation de la vulnérabilité en particulier sur l’atoll de Tarawa qui accueille 48% de la population sur 2,2% du sol.
La construction des systèmes de ressources
Bénédicte Thibaud propose une synthèse de l’évolution récente des sociétés rurales des pays du Sud, si elles restent majoritaires elles sont néanmoins en contact avec les effets de la globalisation. L’agriculture de subsistance sur le terroir villageois en rapport étroit avec les atouts et contraintes de l’environnement doit faire face à deux défis: croissance démographique et ouverture des échanges. Ces sociétés sont confrontées à la recherche de nouvelles sources de revenu, tentées par la migration vers des fronts pionniers, soumises à des tensions sur le foncier et la disponibilité en eau. cet article introduit cinq études de cas.
Un groupe de contributeurs présente les facteurs de la mise en place d’une gestion participative de la ressource en eau dans le Parc national de la Sierra Nevada (Venezuela). L’étude porte sur le rapport entre maraîchage intensif et environnement, les conflits d’usage et l’évolution des représentations à l’intérieur de la zone du Parc.
Une autre communication collective décrit la communalisation et la gestion intgrée de l’eau dans le bassin de Niararle (Burkina Faso). Développement des réservoirs de surface, problèmes techniques, difficultés de gestion, complexité de la politique de décentralisation entre communes et région, redéfinition des autorités compétentes, des chefs coutumiers aux communes, sont les éléments des enjeux socio-économiques dans ce secteur proche de la capitale. L’étude porte sur la gouvernance locale d’une ressource, pôle de développement et changement social.
Toujours à propos de la question de l’eau au Burkina Faso, Élodie Robert mesure les impacts sur le territoire rural du barrage de Bagré. Comment cet équipement a des effets sur la situation sanitaire des populations, permet le développement de nouvelles activités (pisciculture, riziculture, réorganisation de la zone pastorale, éco-tourisme).
Le chapitre suivant de Laurien Uwizeyimana et Gillian Ngefor Sanguv nous ramène au Cameroun avec un projet d’adduction d’eau qui a conduit à un déplacement des populations vers cet équipement, avec des effets sur l’économie locale, une concurrence sur les usages de l’eau conduisant à des tensions sociales entre autochtones et migrants. Une étude de cas qui devrait intéresser les ONG qui œuvre dans ce domaine.
Enfin un groupe de chercheurs relate à partir d’un fait divers environnemental: la surmortalité des poissons du lac Naivasha au Kenya les études conduites sur le bassin versant de ce lac, une occasion de poser la question du choix des échelles et temporalités. On a là un historique de la mise en valeur de la région depuis le début du XXème siècle jusqu’au développement récent le la culture sous serres des roses et du tourisme. Ce lac est à la rencontre de deux logiques : développement économique et préservation de l’écosystème, l’eau devient le révélateur des conflits entre pêcheurs, petits paysans des plateaux, grandes exploitations post-coloniales des bords du lac, conflits accentués par la médiatisation et la politisation du débat. Une belle étude de cas.
Effets territoriaux des logiques d’action : quel espace pour de nouveaux agencements identitaires
Hervé Rkoto Ramiarantsoa pose la question du rapport entre politiques publiques et recompositions territoriales. Il constate un certain désengagement des états au profit d’une gouvernance partagée entre société civile et ONG. qui conduit de fait à une nouvelle attention portée à l’échelle locale et aux questions environnementales.
Stéphanie Lima traite de l’exemple malien en particulier dans la région de Kayes : le développement d’une intercommunalité en relation avec l’aide apportée par les associations des migrants et désormais impulsée par l’État pour définir une échelle territoriale pertinente. Elle décrit la mise en place de ces découpages et regroupements.
Mathilde Joncheray examine la relation dynamiques globales et enjeux locaux dans le cas des entreprises forestières et des multinationales minières au Congo-Brazzaville. Comment après une période destructrice liées aux conflits internes du pays les entreprises forestières notamment asiatiques et les prospecteurs miniers influencent l’implantation des infrastructures, la gestion de la main-d’œuvre face à l’État et surtout aux revendications des populations locales notamment conflits salariaux et environnementaux.
Les systèmes agroforestiers à base de café sont étudiés par François Bétard au Serte brésilien. Sont-ils plus économiques et écologiques qu’une monoculture de plein soleil?
L’auteur décrit les conditions physiques et historiques du massif humide du Baturite. Les premiers essais d’agroforesterie datent ici des années60 dans le cadre de la relance de la production caféière. Il étudie aussi les conflits entre producteurs et protecteurs de l’environnement, l’intervention de l’État et les jeux des acteurs. Son analyse détaillée des services environnementaux et socioéconomiques de l’agroforesterie est intéressante quand ce système d’exploitation se développe aujourd’hui et pas seulement en milieu tropical.
Marianne Blache nous emmène au Laos pour une étude de rapport des riziculteurs Akha avec la modernisation et les politiques territoriales. Quels risques de perte d’identité territoriale face à l’introduction par l’État d’un nouveau modèle de développement qui s’accompagne de déplacements de population vers la plaine ? L’auteur décrit un modèle traditionnel d’usage de la pente qui a conduit à une culture spécifique et étudie les conséquences de déplacement des villageois de Ban Nammat Maï.
C’est à Mayotte que Lara Benetti présente les mutations des territorialités rurales villageoises. D’une exploitation traditionnelle de l’espace avec continuité terre-mer basée sur l’agriculture, l’élevage et la pêche à la modernisation très rapide des modes de vie depuis les années 80 associée à une forte pression démographique : modification des activités, recul voire abandon de certaines pratiques de pêche dans le lagon, augmentation de la consommation de produits alimentaires importés, développement du salariat mais aussi développement de la pêche en haute mer et du tourisme côtier.
C’est aussi au mode de gestion de l’environnement et ses conséquences qu’est consacré ce dernier chapitre.
Benoit Antheaume conclut l’ouvrage sur une réflexion plus épistémologique: du « terroir » au « territoires ».