Dès les premières pages, le lecteur est spectateur des bombardements russes en cours sur une ville qui semble être Kyiv (en ukrainien), autrefois dénommée Kiev (en russe), et il va suivre le personnage principal, une jeune femme se réfugiant dans un abri anti-bombardement plus éloigné de son habitation. Le sentiment d’inconfort et le caractère anxiogène de la situation sont très bien retranscrits à la fois par le trait des dessins et l’usage du noir, du blanc et du orange. Les planches sont “composées” en utilisant tout l’espace à disposition, les dialogues sont relativement rares, mais les textes sont nombreux et très descriptifs. Les auteurs ont véritablement réalisé un récit historique illustré plus qu’une bande dessinée très scénarisée. 

Au début de la bande dessinée, ils décrivent l’Holodomor entre 1932 et 1933, qui touche le peuple ukrainien. En effet, inclus dans l’économie soviétique de l’URSS, les paysans ukrainiens sont sommés de participer à la collectivisation des terres agricoles et surtout des productions. Les dirigeants soviétiques ont décidé que l’URSS devait devenir, à marche forcée, une puissance industrielle. L’Ukraine, aux terres agricoles fertiles, notamment aux céréales, devait donc « nourrir » l’URSS. Les paysans ukrainiens vont s’opposer à rejoindre les kolkhozes et à accepter un tiers du prix pour leurs denrées agricoles. Les responsables politiques d’alors vont créer la dénomination de « Kourkouls », une classe de « riches paysans » refusant la collectivisation. Un nombre important de paysans ukrainiens (les auteurs les estiment à 300 000) seront déportés au Kazakhstan et en Sibérie. Ils auraient souvent abattu leurs troupes ou détruit leurs récoltes pour ne pas se soumettre au pouvoir soviétique. Certains vont fuir vers les villes. Viatcheslav Molotov et Lazare Kaganovitch vont faire augmenter les objectifs de production agricole ukrainienne de 27 % à 38 %, objectifs complètement irréalistes. Ainsi, on estime qu’environ 3,3 millions d’Ukrainiens vont mourir de déportations, mais surtout de famine, entre 1932 et 1933. Il convient de rappeler, avec les auteurs de cette BD, que le créateur du concept de « génocide », Raphael Lemkin, activiste et avocat polonais d’origine juive, considère que l’Holodomor fait partie du génocide du peuple ukrainien, puisque la famine est la conséquence directe d’une politique délibérée des dirigeants soviétiques. (Celui-ci sera reconnu par le Parlement ukrainien en 2006 (p. 22.)).

De façon surprenante, les auteurs vont introduire un développement de quelques pages concernant la Rus’ de Kyiv comme une entité territoriale (dénommée ainsi par les historiens du XIXᵉ) entre le Xᵉ et le XIIIᵉ siècle. Ils insistent sur la conversion au christianisme de Volodymyr le Grand en 908, faisant stratégiquement basculer ce royaume dans une alliance avec d’autres royaumes chrétiens. Finalement, on s’aperçoit que l’intrigue du début de la BD n’est qu’un prétexte à développer des petites capsules ou des petits développements illustrant dans l’histoire la conflictualité entre l’Ukraine (même lorsqu’elle n’est pas encore définie comme telle) et la Russie. Ainsi, le sous-titre de l’ouvrage est capital pour comprendre la démarche et les partis-pris. Cela crée, à notre avis, deux problèmes majeurs à l’historien : la contextualisation et le choix des périodes et des événements choisis pour illustrer cette conflictualité. Ainsi, le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire a mis en garde contre, justement, une « prise à partie » des recherches historiques, souvent au mépris du recoupement des sources et de la méthode historique, et d’un antagonisme fréquent entre mémoires, engagements et « science historique ».
Il est ainsi fait allusion aux Cosaques, qui seraient liés à la culture ukrainienne. Ils constituent un symbole de libertés, de courages et de prouesses militaires (p. 40). Il est précisé que l’impératrice Catherine II de Russie, en novembre 1764, contraint le dernier hetman d’Ukraine à abandonner son bâton de commandement.

Puis les auteurs font un bond dans le temps pour décrire en détails la « révolution orange » de 2004. On comprend ainsi aisément le recours à la couleur orange, en addition au noir, au blanc et aux différentes nuances de gris. Alors que Viktor Iouchtchenko, favorable à un rapprochement de l’Ukraine avec l’Union européenne, semble le favori des sondages ; il est tout d’abord victime d’un empoisonnement à la dioxine. Il se qualifie avec 53 % des voix face à Viktor Ianoukovytch (plus fidèle à la Russie et à Vladimir Poutine) qui récolte 44 %. Pourtant, au second tour de la présidentielle, Viktor Ianoukovytch est annoncé gagnant avec 49,5 % contre 46,9 % pour Viktor Iouchtchenko. 200 000 personnes se rassemblent alors sur la place de l’Indépendance pour dénoncer cette manipulation du résultat du scrutin. Ensuite, ce sera un demi-million de personnes qui défileront dans les rues de Kiyv. Après la pression de la rue, relayée par une partie des dirigeants politiques européens, les manifestants obtiennent l’annulation des résultats truqués par la Cour suprême d’Ukraine. À la suite de nouvelles élections, Viktor Iouchtchenko remporte celles-ci avec 52 %. Les Ukrainiens veulent mettre fin à l’influence des oligarques sur la politique nationale. Le nouveau président reconnaît le génocide du peuple ukrainien et soutient la création du musée national de l’Holodomor.

L’ukrainien devient également langue officielle de l’Ukraine (celle-ci avait été réprimée au XVIIᵉ au XVIIIᵉ siècle). Les auteurs rappellent qu’en 1720, Pierre Iᵉʳ interdit la version ukrainienne du slavon d’église et que l’Église orthodoxe et ses écoles religieuses imposent une russification systémique. En 1863-1864, l’Empire russe, se sentant menacé par l’insurrection polonaise, produit une circulaire, dite circulaire Valouïev, qui interdit tous les livres religieux, à caractère éducatif ou didactique en ukrainien (la production littéraire ukrainienne de l’époque étant déjà très minoritaire). Les auteurs nous apprennent également que les dirigeants soviétiques vont éliminer 80 % de l’intelligentsia ukrainienne entre 1920 et 1930 : de cette génération culturelle et artistique, dénommée « renaissance fusillée », on ne décomptera que 36 survivants sur 259 écrivains ukrainiens. (p. 60).
Par la suite, ce sera Viktor Ianoukovytch qui deviendra président de l’Ukraine ; il modifie la Constitution et lui donne un tournant autoritaire. Il se retire soudainement de l’accord d’association avec l’Union européenne. Il est également accusé d’avoir en même temps détourné 70 milliards sur des comptes personnels à l’étranger et d’instaurer un régime d’austérité pour la population et de plonger le pays dans la faillite. Le 21 novembre 2013, les Ukrainiens mécontents descendent de nouveau dans la rue et occupent la place de l’Indépendance rebaptisée Euromaidan (place en ukrainien et Europe). Le 30 novembre 2013, le président Viktor Ianoukovytch ordonne aux forces spéciales de disperser brutalement un campement étudiant. Le lendemain, un demi-million d’Ukrainiens est dans les rues de la capitale : c’est le début de ce qui sera dénommé « révolution de la dignité ». En janvier, puis en février 2014, la répression sera sanglante et une unité spéciale de police, Berkout, va même tirer à vue sur la foule (Centurie céleste illustration p. 68).

Le 21 février 2014, Viktor Ianoukovytch fuit vers la Russie, et dans le même temps, Vladimir Poutine déclenche l’invasion russe de la Crimée. C’est une région stratégique pour le Kremlin, puisque stationne à Sébastopol toute la flotte russe de mer Noire. Une propagande russe a préparé cette invasion et la revendication territoriale de la Crimée depuis les années 1990. Elle s’appuie sur une « nécessaire » défense de la population russophone de Crimée, face à un nouveau gouvernement « fasciste » ukrainien.
La situation politique étant instable suite au mouvement Euromaidan, Vladimir Poutine tente de déstabiliser d’autres régions de l’Est de l’Ukraine comme le Donbass en favorisant la création de « républiques populaires » de Donetsk et Louhansk prétendument pro-russes. De nombreux Ukrainiens vont alors rejoindre l’armée pour défendre leur territoire avec le soutien de la société civile. Les accords de Minsk en septembre 2014 entraînent un cessez-le-feu entre septembre 2014 et janvier 2021. Durant cette période, on estime les morts à 13 300, entre 29 500 et 33 500 blessés et plus de 1,6 million de personnes ayant fui leur domicile. Le 24 février 2022, c’est une guerre à grande échelle contre l’ensemble du territoire et de la population ukrainienne qui est décidée par Vladimir Poutine.

On est surpris de n’avoir aucun détail et aucune référence à Volodymyr Zelensky (sauf un dessin où il semble être en compagnie de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen p. 86). Le personnage principal déclare (p. 96) : « J’aimerais que les gens se rappellent que ce n’est pas la guerre d’un seul homme. » » Poutine ne fait que poursuivre une politique agressive historique, car les attaques contre ses voisins font depuis longtemps partie intégrante de l’existence du pays. »

Si graphiquement cette bande dessinée n’est pas très originale et qu’elle comporte très peu de dialogues ou de scénarisation, elle peut être définie comme un récit historique illustré. Son discours et sa composition sont décousus, la chronologie est malmenée, notamment à cause des nombreuses ellipses et allers-retours à différentes périodes et dans différents contextes historiques. Elle est engagée et assume un parti-pris évident. Elle reste tout de même un bel essai de vulgarisation, au service d’une histoire peu connue, notamment en France.