Inde britannique / nationalisme indien, Edouard de Ribaucourt / Charles Montchal, Jules Crépieux-Jamin / Graphologie, Ligue Universelle de Francs-Maçons (LUF), Pierre-François Gossin / départements français
La revue « Chroniques d’Histoire Maçonnique »

La revue Chroniques d’Histoire Maçonnique – ou CHM pour les initiés – (publiée depuis 1982) est désormais présentée par le service de presse des Clionautes, dans le cadre de la Cliothèque. Cette revue réunit des travaux de chercheurs français (pour la plupart) sur les évolutions historiques de la Franc-Maçonnerie française, liée à la plus importante obédience française : c’est-à-dire le Grand Orient De France ou GODF. L’abonnement annuel à la revue Chroniques d’histoire maçonnique comprend 2 publications par an expédiées en décembre et juin. Cette revue est réalisée avec le concours de l’IDERM (Institut d’Études et de Recherches Maçonniques) et du Service Bibliothèque-archives-musée de l’obédience du Grand Orient De France (GODF). L’éditeur délégué est Conform Edition.
« Chroniques d’Histoire Maçonniques » n° 81 (Hiver-Printemps 2018) : Franc-maçonnerie, entre mutations et innovations. Ce numéro est composé d’un avant-propos du Comité de rédaction et d’un unique dossier comportant 5 articles. Ce numéro ne comporte donc pas les rubriques habituelles : Études, Portraits et Documents, à l’exception notable du Dossier. Ce premier numéro de l’année 2018 apporte une vraie continuité avec le numéro 80 sur le Tricentenaire de l’émergence de la Grande Loge d’Angleterre. En effet, en présentant les apports de leur thèse, l’une récemment soutenue sur l’étude de la franc-maçonnique coloniale aux Indes britanniques, l’autre en cours d’achèvement sur la genèse de la future Grande Loge Nationale Française, Simon Deschamps et Francis Delon s’intéressent à la franc-maçonnerie britannique et à l’histoire de son implantation en France au début des XIXe et XXe siècles. Ensuite, Irène Mainguy et Denis Lefebvre proposent deux textes, le premier sur la carrière maçonnique du fondateur de la graphologie Jules Crépieux-Jamin, le second sur une organisation maçonnique méconnue (la LUF) née dans le contexte du projet espérantiste, correspondant au moment de rayonnement exceptionnel de la franc-maçonnerie française que fut la période qui va de la consolidation de la Troisième République à la fin du XIXe siècle à sa remise en cause dans les années 1930. Ce numéro s’achève sur le portrait du constituant Pierre-François Gossin qui joua un rôle non négligeable dans la création des départements en 1790, écrit par Serge Piel.DOSSIER : Franc-maçonnerie, entre mutations et innovations

. Le sens de l’engagement maçonnique pour les nationalistes indiens de la première heure dans l’Inde britannique (Simon Deschamps) : pp. 6-22

Le premier article (rédigé par Simon Deschamps) est le résumé de sa thèse de doctorat en Études anglophones intitulée Franc-maçonnerie et pouvoir colonial dans l’Inde britannique (1730-1921), soutenue le 24 novembre 2014 à l’université de Bordeaux 3, sous la direction de Cécile Révauger. Elle s’attache à montrer que, dès 1776 (date de l’initiation dans une loge militaire du premier indien, un prince allié des Britanniques), l’élite indienne trouva très vite de nouvelles fonctions aux loges maçonniques du sous-continent indien. La parité qu’ils y découvrirent, stimula leur désir de faire valoir leurs droits. D’autre part, les loges contribuèrent à structurer le mouvement nationaliste indien au sens où elles permirent parfois de renforcer les liens entre les Indiens qui l’incarnaient. À l’instar de la Société Théosophique, à laquelle elle était étroitement associée, la franc-maçonnerie apporta de la cohésion au mouvement nationaliste indien, tant sur le plan territorial qu’idéologique. C’est donc avant tout dans l’antichambre du mouvement nationaliste indien que l’on peut situer le rôle de la franc-maçonnerie. Comme dans la plupart des bouleversements sociaux auxquels elle est associée, son influence ne fut qu’indirecte et déclina dans les années 1920, lorsque les modalités d’actions du mouvement changèrent sous l’influence de Gandhi, pour passer du réformisme institutionnel d’une petite élite, à un mouvement de masse.

. Édouard de Ribaucourt, Charles Montchal et le rétablissement du Rite Écossais Rectifié en France (1910-1911) / (Francis Delon) : pp. 23-49

Le deuxième article (écrit par Francis Delon) est le résumé d’une partie du projet de thèse de doctorat en Histoire contemporaine intitulée La Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies Françaises (1913-1948), en préparation depuis le 23 novembre 2011, à l’université de Bordeaux 3, sous la direction de Cécile Révauger. En effet, cet article retrace le cheminement du rétablissement du Rite Écossais Rectifié en France (1910-1911).
Par sa volonté de rétablir « la Maçonnerie de Tradition » en France, Édouard de Ribaucourt (membre de la loge Les Amis du Progrès du G.O.D.F.) se tourne vers le Rite Écossais Rectifié qui avait disparu du paysage maçonnique français, depuis le premier tiers du XIXe siècle, mais qui s’était maintenu en Suisse sous l’égide du Grand Prieuré Indépendant d’Helvétie (G.P.I.H.). C’est pourquoi Édouard de Ribaucourt prend contact et se rapproche du Grand Prieur du G.P.I.H., Charles Montchal, en mars 1910 (mars-juin 1910). Dans le cadre du réveil du Rite Écossais Rectifié en France, s’ensuit un imbroglio diplomatique entre le Grand Prieuré Indépendant d’Helvétie (G.P.I.H.) et le Grand Orient de France (G.O.D.F.) (1910-1911) qui passe par la création de la Commanderie de Paris, en juin 1910, puis la dénonciation de l’ingérence G.P.I.H. par le G.O.D.F., en juillet 1910. Devant l’impossibilité d’une conciliation, un Traité d’Alliance et d’Amitié est quand même conclue entre le G.P.I.H. et le G.O.D.F., le 18 avril 1911, permettant la reconnaissance ainsi que le rétablissement par le G.O.D.F. du Régime Écossais Rectifié en France, par la reconstitution de la Loge rectifiée Le Centre des Amis, à l’Orient de Paris, qui avait cessé ses activités en 1838. Cependant, l’échec d’Édouard de Ribaucourt et de sa Loge Le Centre des Amis (1911-1913) devient patent au fil des mois. Cela conduit Édouard de Ribaucourt à former La Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière (GLNIR), en 1913, en raison de l’opposition du Grand Orient de France à la présence d’un rite chrétien, le Régime Ecossais Rectifié.

. Jules Crépieux-Jamin (1858-1940) : fondateur de la graphologie et franc-maçon : (Irène Mainguy) : pp. 50-59

Le troisième article (rédigé par Irène Mainguy) retrace la vie du fondateur de la graphologie, le Frère Jules Crépieux-Jamin (1858-1940). Tous les graphologues s’appuient sur les travaux de Jules Crépieux-Jamin qu’ils considèrent unanimement comme l’autorité de référence. C’est à la fin des années genevoises que Jules Crépieux devint franc-maçon. En effet, il fut reçu apprenti, en 1888, à la loge Les Amis fidèles, à l’Orient de Genève. Il y passe compagnon, en 1889, avant son départ à Rouen. Dans cette ville, il fréquente la loge La Persévérance couronnée à laquelle il se fait affiler, le 13 juin 1900. Il y est élevé à la maîtrise le 13 février 1901, puis y fait l’essentiel de sa carrière maçonnique. En 1902, il remplit la fonction d’Orateur, puis celle de Vénérable Maître de 1905 à 1907. Sur sa fiche de Vichy, il n’y a aucune mention de démission de sa loge, ce qui donnerait à penser qu’il est resté en activité jusqu’à son passage à l’Orient éternel, en 1940. Le 25 octobre 1910, il démissionne de sa loge mère suisse qu’il n’a plus la possibilité de fréquenter et reste ensuite fidèle à sa loge rouennaise.
Bien que la découverte de la graphologie soit pour Crépieux le fruit du hasard, il en devint très vite une référence incontestée et un expert en écritures en mettant au point une théorie générale pratique de codification et de classification synthétisée dans son volume L’ABC de la graphologie, qui est devenu le manuel de référence de tous les graphologues. Crépieux met ainsi au point une méthode pédagogique à caractère scientifique fondée sur l’observation et la précision d’un inventaire technique sérieux des significations des qualités graphiques, étayées par des connaissances de psychologie générale. Il en a fait une science d’observation selon une méthodologie précise, cohérente et scientifique. Jules Crépieux-Jamin fut donc intéressé par de nombreuses activités que ce soit l’horlogerie, la musique, l’apiculture, la chirurgie-dentaire, la graphologie. Toute sa vie, il resta fidèle à ses centres d’intérêts, les approfondit et fit œuvre de novateur avec précision, excellence et perfection. Grâce à sa méthode, la graphologie est étudiée désormais comme une branche sérieuse de la psychologie. Libre penseur, franc-maçon, antimilitariste et anticlérical, Jules Crépieux-Jamin passa à l’Orient éternel, à l’âge de 8l ans, le 24 octobre 1940, dans l’indifférence totale en raison de l’Occupation et en dépit de sa renommée mondiale en tant que graphologue.

. Ligue Universelle de Francs-Maçons (LUF) : une histoire peu connue (1905-1940) : (Denis Lefebvre) : pp. 60-88

Ce quatrième article (écrit par Denis Lefebvre) est consacré à La Ligue Universelle de Francs-Maçons (LUF). Cette structure originale, née sous les auspices de l’espéranto, a été confrontée, dès le début des années trente, à la montée des nationalismes, de l’extrémisme et à des divisions au sein de la Maçonnerie elle-même. En août 1905, à Boulogne-sur-Mer, se tient le premier congrès mondial espérantiste. Les frères participant à ce congrès décident de se regrouper dans un groupe espérantiste maçonnique dénommé Esperanto Framasona, convaincus qu’une langue neutre et universelle permettrait de favoriser la compréhension mutuelle et des relations internationales plus fraternelles. De 1906 à 1912, Esperanto Framasona n’apparait qu’à l’occasion des congrès espérantistes mais, en 1913, elle se structure en ligue ouverte à tous les frères (mais pas aux sœurs) régulièrement initiés, sans distinction d’obédience ou de rite, afin de créer les meilleures conditions pour que des frères se connaissent à titre individuel. Désormais l’espéranto devient un but secondaire.
La Première Guerre mondiale désorganise les activités maçonniques dans bien des pays et, bien sûr, les interrompt au niveau international. La reprise est très lente après 1918 : la guerre a laissé trop de rancœurs de part et d’autre. De nouveau, les congrès espérantistes universels permettent aux frères de la LUF de se retrouver, de 1920 à 1925. Le congrès de 1926, à Vienne (Autriche), constitue le véritable redémarrage de la LUF qui réaffirme sa neutralité politique et confessionnelle mais qui prend, surtout, une série de décisions importantes (rédaction de statuts, lancement d’une revue en espéranto La Heroldo qui paraîtra qu’en 1931, constitution à Vienne d’un bureau destiné à centraliser toute la documentation maçonnique, etc…), confirmées par l’assemblée générale annuelle, lors du premier congrès de la « nouvelle » LUF, en 1927, à Bâle (Suisse). Outre les relations compliquées avec l’AMI (Association Maçonnique Internationale) constituée en 1921, la LUF fait face à la dureté des relations internationales liées à la montée du nazisme en Allemagne et en Autriche, à partir du 7e congrès d’août 1932 jusqu’à celui d’Amsterdam, en août 1939. Malgré la guerre, un noyau de la LUF est maintenu en Suisse, pays neutre, qui liquida les affaires courantes et assuma avec les Frères libres de la LUF un rôle d’aide aux enfants des pays envahis par la Wehrmacht. La LUF se reconstituera en 1947, lors du congrès de Bâle (Suisse), qui reprendra le flambeau de l’entente entre les Frères, de nouveau confrontée à la division maçonnique internationale, à la sortie de la guerre…

. Pierre-François Gossin (1754-1794), père des départements et franc-maçon résigné : (Serge Piel) : pp. 89-94

Ce quatrième article (écrit par Serge Piel) est consacré à Pierre-François Gossin qui, après des études de droit, devient avocat au Parlement de Nancy et, après son mariage en 1787, est nommé Lieutenant Général Civil et Criminel du bailliage de Bar, prenant ainsi la suite de son beau-père. Pierre-François Gossin est initié à la Loge L’Amitié en 1789 qui, en raison des événements révolutionnaires, doit suspendre ses activités. Le 1er avril 1789, le Tiers-État du bailliage de Bar élit Pierre-François Gossin député à l’Assemblée Constituante. Il devient alors un personnage public, prend part à de nombreuses et importantes réformes, en jouant notamment un rôle de premier plan dans la création des départements français.
A la veille de la Révolution française, l’organisation territoriale du royaume est d’une extrême complexité. La France est découpée en circonscriptions administratives (les Généralités), en circonscription militaires (les Gouvernements militaires), en circonscriptions ecclésiastiques (les diocèses), en circonscriptions judiciaires et fiscales (les Sénéchaussées ou Bailliages). Bien sûr Généralités, Diocèses et Bailliage ne se recoupent pas et bien souvent même ils se chevauchent. Cette structure est le résultat de la multiséculaire histoire des Provinces et répond à des représentations historiques et linguistiques. Le 4 décembre 1789, l’ensemble des paroisses du royaume deviennent juridiquement des communes. Avec Pierre-François Gossin à la tête du comité de la réforme administrative, le 4 mars 1790, la liste des 83 départements français est définitivement adoptée. Il est également l’auteur d’un rapport sur les Archives Nationales et rapporteur de la motion pour la création d’un jury populaire en matière criminelle. C’est sur sa proposition que le corps de Voltaire est transféré au Panthéon. Le 30 septembre 1791, son mandat prend fin avec la séance de clôture de la Constituante. Le citoyen Gossin rentre en Lorraine. Il est élu Procureur Général Syndic de la Meuse. Mais, durant la Terreur, Pierre-François Gossin est traduit devant le Tribunal Criminel Extraordinaire qui l’accuse (de manière fallacieuse) de compromission avec le roi de Prusse, lors de l’invasion de la France par l’armée austro-prussienne, en août 1792. Le 22 juillet 1794, il est condamné à mort et guillotiné, dès le lendemain (23 juillet 1794). Aujourd’hui, la place d’accès au Conseil Départemental de la Meuse porte son nom.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour la Cliothèque)