« Les Vingt-et-un du Porthos » est un récit de vie sur les traces des premiers Coréens de France. Document après document, la vie de Li Long-Tsi, son père, se dévoile ainsi que celle d’autres Coréens arrivés dans l’Europe de l’entre-deux-guerres.

Ces jeunes Coréens fuyaient leur pays sous l’autorité japonaise et cherchaient en Europe une modernité qui avait du mal à se faire une place dans une Corée encore très traditionnelle. Le père de l’auteur a choisi de rester en France et d’y fonder une famille.

Antoine Li détaille les moments et moyens de son enquête, menée avec prudence et humilité. Une enquête rendue difficile, car certains documents mêlent langues et écritures coréennes et chinoises. Des photographies de l’album familial n’ont pas de légende et son père n’a que peu parlé à son fils de sa lointaine famille coréenne et des conditions de son arrivée en Europe.

Li Long Tsi est né en juillet 1896 à Hamhung dans l’actuelle Corée du Nord. Il embarque le 7 novembre 1920 dans le port de Shanghai à bord d’un navire français le « Porthos », pour un voyage sans retour.

Exil

L’auteur replace l’embarquement des « Les Vingt-et-un du Porthos » dans le contexte de l’histoire coloniale de l’Extrême-Orient au début du XXe siècle : guerre de l’opium, annexion de la Corée par le Japon. Cette période troublée a mis sur la route des migrants pauvres à la recherche d’un emploi de coolies et des révoltés poursuivis par les autorités.

Ils sont une centaine à bord du « Porthos » en route vers Marseille. Parmi eux quelques étudiants, soutenus par « le Mouvement Travail-Etudes », une association franco-chinoise qui payait la traversée et organisait l’accueilCette association a notamment permis à Deng Xiaoping de venir étudier en France. Il y avait aussi une vingtaine de jeunes étudiants coréens, munis de passeport chinoisCe départ est organisé par le gouvernement de Syngnnan Rhee en exil, installé dans la concession française de Shanghai. Sera ensuite premier président de la république de Corée du Sud de 1948 à 1960. .

À partir d’un petit carnet laissé par son père, l’auteur décrit le voyage avec l’arrivée à Marseille, puis Paris à partir d’une photographie de groupe qui permet de mieux connaître ce groupe de jeunes Coréens désireux d’étudier pour moderniser leur pays au retour.

En 1983, Li Long Tsi s’était confié dans un entretien avec Alexandre Guillemoz Une transcription est disponible sur internet sur le site de la Revue Tangun, spécialiste de la Corée. Le film de Han Kyung-mi : «  Un tigre en exil » fut aussi une source importante pour l’auteur. Il peut ainsi décrire l’enfance dans une famille plutôt pauvre mais lettrée, les études, puis la rencontre avec un jeune étudiant impliqué dans la manifestation du 1er mars 1919 à Séoul. Enfin, il racontre son engagement contre l’occupation japonaise, la répression, la décision de partir et le long et périlleux voyage jusqu’à Shanghai.

Le récit des premières années en France est un peu difficile à suivre car il est reconstitué à travers divers documents. On y apprend que Li Long Tsi est resté en France, contrairement à plusieurs des « Les Vingt-et-un du Porthos » qui sont partis étudier en Allemagne à Würzburg. Il a participé au déblaiement des ruines entre la Chemin des Dames et l’ArgonneUne plaque à Suippes en témoigne., puis il a exercé divers métiers plus ou moins rudes en province, de retour à Paris, il poursuit des études tout en étant domestiqueIl fut notamment le valet de chambre du cinéaste Marcel L’Herbier comme nombre de ses compatriotes.

Accueil

La fréquentation de la Sorbonne, où Li Long Tsi étudie, permet à l’exilé de sortir de son isolement. Au « Cercle international de jeunesse », il fait de nombreuses rencontres, des amis pour la vie.

Le récit se fait plus intimiste, l’auteur ayant lui-même connu ces personnes. C’est dans l’entourage du Cercle, qu’à l’été 1935 Li Long Tsi rencontre Madeleine Koechlin qui devient son épouse l’année suivante.

L’auteur montre les débuts du jeune couple avant guerre. Madeleine est institutrice. C’est Li Long Tsi qui s’occupe d’Anne-Marie, leur premier enfant, bientôt suivi par PierrePierre Li est né le 18 janvier 1938 à Paris ; assistant opérateur de cinéma puis journaliste à l’Humanité ; militant communiste à Paris jusqu’en 1978..

L’auteur décrit une vie peu conventionnelle de père au foyer à Paris, puis à Sceaux durant la Seconde Guerre mondiale.
La défaite du Japon en 1945 n’a pas permis à Li Long Tsi de rentrer en Corée. La guerre qui a suivi a été un drame pour lui.

L’après-guerre à Sceaux correspond à une vie sans confort dont se souvient l’auteur.

Héritage

Le récit prend des allures de témoignage sur la vie d’une famille française dans les années 1950-1960 : l’installation en banlieue dans un petit pavillon travaux de finitions et de jardinage, puis le début du confort.

L’homme au foyer n’a cependant pas renoncé à apprendre, à se cultiver. Après la guerre, Li Long Tsi a suivi le séminaire de linguistique de Gustave Guillaume à l’Ecole pratique des hautes études. Il a contribué à l’histoire des littératures, publiée sous la direction de Raymond Queneau. Il a rédigé quelques textes dont une présentation géographique de la CoréeReproduite p. 226 à 233.

Mais l’exilé avait choisi de ne pas transmettre la culture coréenne (Croquis de Corée : un guide illustré de la culture coréenne, Elodie Dornand de Rouville, Benjamin Joinau, Atelier des cahiers, 2017, 232 pages) à ses enfants. Leur réussite comme jeunes Français était pour lui, sans doute, une revanche.

Il n’a jamais oublié la Corée comme en témoigne un article qu’il signe en juillet 1950 dans L’ObservateurRetranscrit p. 242-243, sur la partition de son pays, une situation difficile pour lui sans nouvelles de sa famille en Corée du Nord. Le récit d’un court voyage à Berlin-Est en 1963 permet de montrer combien la question des papiers d’identité d’un migrant peut être source de difficultés.

Il est décédé en 1986.

L’ouvrage se termine sur la transcription de la traduction en français du carnet qui ouvre ce récit. Longtemps espérée, cette traduction montre un départ sans espoir de retour et l’amertume d’un homme sensible face au racisme de l’Occident rencontré, dès les premiers jours sur le « Porthos »

Ce livre est un bel hommage d’un fils à son père.

Cette histoire d’une migration peu connue, ce récit de vie est aussi une plongée dans l’histoire du XXe siècle. Les parallèles qui viennent à l’esprit avec d’autres exils plus contemporains (Iraniens, Afghans, Syriens…) invitent à une réflexion sur ce que peut être l’exilDissident Club – Chronique d’un journaliste pakistanais en exil, Taha Siddiqui et Hubert Maury, Glénat, 2023, 264 pages.