Voici une bande-dessinée écrite à six mains. Charli Beleteau, Christian de Metter et Marguerite Abouet mettent en commun leur art pour le premier tome d’un série dont on ne connaît pas encore le nombre des futurs volumes.
Parmi les auteurs, on trouve l’excellente Marguerite Abouet Abouet Marguerite, originaire de Côte d’Ivoire, vit en France et continue à écrire des BD. Elle a créé une association qui a pour but de donner accès à des livres de qualité à des jeunes marocains, guinéens et maliens . Plus d’informations : http://www.livrespourtous.org/ qui nous a bien fait rire avec les aventures de Aya de Yopougon (pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore, courrez chez votre libraire!). Elle collabore ici, avec un ancien complice : Charli Beleteau. En effet, les deux scénaristes ont déjà travaillé ensemble pour la série «C’est la vie», une sorte de version sénégalaise de «Plus belle la vie». Au dessin, c’est Christian de Metter, auteur de nombreuses Bd (dont, en 2015, de l’adaptation du roman Au-revoir là haut qui aborde la vie de deux poilus Goncourt 2013, Au-revoir là haut est un roman de Pierre Lemaître qui s’intéresse à la vie d’après des poilus, soit la période de la démobilisation, tout juste après l’armistice. Il a également été adapté au cinéma en 2017 (de et avec Albert Dupontel). ).
La série s’intitule Terre gâtée et le premier tome Ange, le migrant.
On ne sait pas au juste où se situe l’intrigue mais on devine un territoire quelque part dans la bande saharo-sahélienne, quelque part entre les villes de Tombouctou, Kidal et Agadez. Un village au milieu du désert est le point central de l’histoire. De ce village, il ne faut pas s’éloigner : «jamais personne ne revient du désert!» car «le désert c’est l’enfer».
Dans ce désert vivent «les Errants», sorte de nomades à cheval qui mènent des opérations de guerre au village. Les «Natifs» sont ceux qui vivent au village. On y trouve essentiellement des prostituées, des travailleurs pour le chantier de la route de l’ouest. Quelques mercenaires (plutôt des escrocs) offrent leurs bras pour assurer la sécurité des convois qui traversent le désert. De fait, dans ce village, il n’y pas d’avenir pour les jeunes qui rêvent de «traverser le désert» pour ensuite «traverser l’océan», c’est leur «rêve européen».
Cependant, un beau jour, un jeune homme revient du désert, c’est un jeune qui a échoué dans sa tentative de migrer, c’est Ange, le migrant. On comprend qu’il s’agit de Keita, un errant amoureux de Grace, une native. Toute le monde pense qu’il est mort, comme son ancienne petite-amie qui, entre-temps, s’est mariée avec le propriétaire du chantier de la route, un jeune Européen. Mais personne ne le reconnaît…Dans la présentation de la bd, Alain Mabanckou Alain Mabanckou est un romancier né au Congo et auteur d’un trentaine de romans dont Mémoires de porc-épic. parle ici d’un western. Pour lui, les «auteurs bousculent les canons du genre et exportent le lieu de l’action dans une Afrique fantasmée». C’est effectivement le cas : nous avons ici le début d’un western situé dans un territoire sans frontière, un territoire en proie à un conflit entre les Indiens- ici les Errants-, et les Natifs qui ont scellé un accord avec les Européens. Le territoire sauvage des Errants est peu à peu grignoté, comme le montre la métaphore de la construction de la route de l’ouest. Des bagarres entre Natifs et Errants, des crapules / escrocs à travers les mercenaires complètent ce tableau de western. Mais c’est également un western ancré dans la réalité actuelle de cette Afrique qui offre aux jeunes, comme seule possibilité d’avenir, l’exil vers une terre fantasmée, la terre européenne.
Les décors de ce western sont très réussis et on s’immerge complètement dans ce Sahara au milieu de nulle part entre les errants, sorte de Touaregs défendant leur Azawad face aux natifs, de jeunes maliens désœuvrés. Les couleurs sable, ocre, les différents tons de l’orange dominent, exploitant les clichés du désert comme les films de western exploitent les clichés du Far West.

Ce premier tome de Terre gâtée semble intéressant. Toutefois, il se peut que cela ne captive pas trop nos élèves; ou s’ils venaient à être séduits, ce seraient des élèves du cycle terminalD’un point de vue pratique, acheter des bd en plusieurs tomes pour un CDI amène toujours des complications (du type : «il manque un tome!»).. Il me paraît ainsi difficile qu’un élève puisse y faire ici le parallèle avec la situation actuelle de la bande saharo-sahélienne. Malgré l’histoire d’amour classique entre deux êtres de deux peuples différents, les nombreux groupes de personnages risquent de désarçonner les jeunes lecteurs, justement car cette bd nous donne à lire et à voir un «nouveau western» Selon Alain Mabanckou..

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Marie-Aline Tresson, pour Les Clionautes