DVD de l’ECPAD consacré à l’histoire de l’Indochine française
Largement éclipsée par les deux traumatismes majeurs qui l’encadrent, la Deuxième Guerre Mondiale et la Guerre d’Algérie, la Guerre d’Indochine est un objet historiographie hybride à la confluence entre conflit de la décolonisation et confrontation Est-Ouest. Sa genèse et son déroulement restent globalement dédaignés, tandis que ses acteurs ont essentiellement connu l’indifférence ou le mépris. La programmation éditoriale récente de l’ECPAD remédie à ce déni par la sortie de deux DVD complémentaires, consacrés l’un à l’histoire de l’Indochine française et l’autre au sort des prisonniers du Vietminh.

De la colonisation de l’Indochine…

Ce documentaire retrace de façon exhaustive l’histoire de la présence française en Indochine. Découpé selon un fil chronologique très événementiel, il s’appuie sur une illustration variée composée de photos, cartes postales, illustrations d’époque, unes de la presse et éléments cartographiques, relayée par des films d’actualité françaises et de propagande Vietminh. Après un prologue géographique et ethnologique, sont évoqués les antécédents historiques de la venue des Français. Les persécutions antichrétiennes liées à la présence de missionnaires jésuites français justifie l’intervention protectrice de Napoléon III. De Rigault de Genouilly à Francis Garnier, s’amorce par le sud la conquête militaire de l’Indochine. La IIIe République de Gambetta et Jules Ferry impulse l’élargissement de la colonisation vers le Nord au prix de combats contre la Chine. La pacification stabilise l’emprise française, et permet à Galliéni et Lyautey d’expérimenter au Tonkin leur méthode de la « tâche d’huile ». Suit un panorama de la mise en valeur de la « Perle de l’Empire », sous le contrôle de 40 000 expatriés français au maximum. L’organisation administrative et militaire de la colonie, les travaux publics d’infrastructure, l’oeuvre sanitaire (Institut Pasteur de Saïgon, etc), l’essor du réseau éducatif et l’oeuvre archéologique de l’École Française d’Extrême-Orient (qui a notamment à son actif le sauvetage d’Angkor) composent un tableau qui demeure, par effet de source, imprégné de roman colonial. Les fondements économiques d’une colonie d’exploitation rentable, basée sur l’agriculture tropicale d’exportation (riz, canne à sucre, thé, poivre, tabac, coton, hévéa) sont également évoqués. Une lourde fiscalité permet l’autofinancement de la colonie, qui fournit aussi à la métropole des soldats et de la main d’oeuvre durant la 1e Guerre Mondiale.

…A la décolonisation du Vietnam

Mais le tableau idyllique d’une colonie modèle et prospère célébrée par les expositions coloniales et les programmes scolaires dissimule les réalités plus instables d’une agitation nationaliste ancienne et durable. Sont évoquées les conditions de vie de la population, son exploitation, la déstructuration de la société traditionnelle, la répression rigoureuse menée par le colonisateur, l’émergence de partis politiques radicaux, les troubles importants et durement réprimés survenus en 1930. La montée en puissance des communistes, qui combinent nationalisme et projet révolutionnaire, prélude le second conflit mondial. La mise sous tutelle par les Japonais de la colonie restée loyale à Vichy est rapidement brossée, de même que le coup de force qui balaye la présence française en 1944. La description de la situation en 1945-1946 reflète l’analyse des autorités françaises de l’époque, en éludant le jeu équivoque joué par d’Argenlieu, en occultant les menées du Parti Colonial et en réduisant l’action de Hô Chi Minh à une posture de duplicité révolutionnaire. En revanche, la transition de la guerre purement coloniale au confit de Guerre Froide est clairement dépeinte, avec la triple indépendance de 1948-49 et l’aide américaine d’une part, et l’appui de la Chine de Mao à la lutte du Vietminh d’autre part. Les grandes étapes des opérations militaires sont exposées avec clarté : le désastre de Cao Bang, le redressement opéré par De Lattre et la victoire défensive du delta du Tonkin, puis le succès défensif du camp retranché de Na San, que le général Navarre croit pouvoir rééditer à Dien Bien Phu. Le désastre qui en résulte fait l’objet d’une présentation détaillée, liée à bon droit à l’annonce des pourparlers de Genève. La chute de la base le jour où s’ouvre la conférence place les négociateurs français en position de faiblesse. Le rôle de PMF dans la fin du conflit, le sort terrible des PG français, et l’exode vers le sud des catholiques vietnamiens lors du retrait des Français, qui s’achève en 1956, concluent le documentaire.

Il résulte de ce tour d’horizon concis et parfois lénifiant un exercice de vulgarisation honorable et d’une facture très didactique. Bien que le chapitrage soit borné à seulement trois segments, dont le découpage peut se contester (de 1858 à 1940, de 1940 à 1950, et de 1951 à 1954), la construction linéaire adoptée rend possible un usage pédagogique de ce DVD, à l’appui des questions de programme traitant de la colonisation, la décolonisation et des thématiques afférentes.

Guillaume Lévêque.