Arte, La fin des Ottomans (2/2)
Arte, La fin des Ottomans (2/2)

Fin des Ottomans et naissance des problèmes du Proche et du Moyen-Orient

Le documentaire s’ouvre sur la commémoration annuelle de la mort de Mustafa Kémal Atatürk le 10 novembre 1938. Il fait suite à un premier épisode consacré principalement au retrait des Ottomans en Europe puis à la guerre des Balkans dans un contexte de montée du mouvement jeune-turc. Ce second et dernier épisode est consacré au Proche et au Moyen-Orient, dénominations récentes puisque, pour la presse européenne des années 1920, les Balkans étaient situés au Proche-Orient. L’ensemble du matériel utilisé pour ce documentaire laisse largement la parole à une riche distribution d’historiens de tous horizons : Eugen L. Rogan (Université d’Oxford), Hamit Bozarslan (EHESS), Salim Tamari (Université de Bir Zeit), Nawaf Salam (politologue et ambassadeur libanais à l’ONU), Menachem Klein (Université de Bar Ilan), Saad Eskander (Archives nationales d’Irak), Jürgen Angelow (Université de Potsdam), Maya Arakon (Université de Suleyman Sah), François Georgeon (EHESS) et Mark Mazower (Université de Columbia). D’emblée, on annonce qu’en quatre ans, l’Empire ottoman s’écroule à la suite de la Première guerre mondiale. Le montage assez clair permet de comprendre qu’il en résulte des États et des frontières.

Des Jeunes-Turcs à Daesh

Le récit, partiellement chronologique, présente d’abord le mécontentement arabe contre les Turcs, malgré la tentative ottomane d’appeler au jihad pour unir les musulmans contre les pays de de l’Entente. Des photos racontent l’exécution d’autonomistes arabes au printemps 1916 sur ordre de Jemal Pacha, l’un des trois dirigeants du Comité « Union et Progrès ». L’affaire pousse ainsi les nationalistes arabes de Syrie dans les bras du dynaste hachémite Hussein qui règne dans la péninsule et appelle à la révolte avec l’aide britannique. La suite est connue des collègues : en décembre 1917, Allenby est à Jérusalem et Fayçal, fils de Hussein, s’installe à Damas, à la tête d’un gouvernement provisoire dont les Français finissent par le chasser. Parmi les points les plus importants traités ici, on rappelle la volonté du gouvernement ottoman de juger ceux des Jeunes-Turcs responsables du génocide arménien afin d’échapper aux tribunaux alliés. Un retour en arrière permet d’aborder la question des accords franco-britanniques dits « Sykes Picot », expliqués par des cartes simples. À propos de Jérusalem, Menachem Klein évoque le rôle des Britanniques dans la division en quartiers. On aurait pu rappeler que cette division fort discutable est imputable à la fantaisie d’un cartographe allemand du XIXe siècle. On évoque également le rôle des Britanniques dans l’introduction de la mention de la religion sur le passeport. Le film souligne en outre le rôle de l’agent britannique Gertrude Bell. On reste stupéfait que l’État irakien mis en place en Mésopotamie pour Fayçal, chassé de Damas, soit si artificiel qu’il n’ait même pas d’hymne national : le roi monte sur le trône au son de « God Save the King ». Le fil du récit met clairement en évidence le lien entre l’échec d’Enver Pacha (CUP) dans le Caucase, soldé par la mort de nombreux soldats ottomans touchés par le typhus, le choléra et la faim et le génocide des Arméniens, accusés d’avoir servi l’Empire russe. La suite a lieu sous les yeux de l’État-major allemand…

Un document pédagogique attractif et de bon niveau pour introduire la question en terminale

On peut certes toujours regretter que telle ou telle information n’ait pas été mentionnée. Ainsi, il eût été intéressant de préciser que les Britanniques comme Gertrude Bell distinguent « Arabs » (l’ensemble des Arabes parmi lesquels les populations de Syrie-Palestine réputées arabisées) et les « Arabians » (habitants de la péninsule jugés plus authentiquement arabes parce que bédouins). Le document ne saurait poursuivre au delà des années 1920 mais Daesh apparaît en fin de récit, dans sa volonté de détruire les frontières héritées des accords Sykes-Picot. La question kurde est également abordée avant la lutte de l’armée turque contre le traité de Sèvres (1922)et le massacre des Grecs de Smyrne. Le montage est plutôt satisfaisant et fort d’un équilibre entre entretiens, cartes, vidéos et photos. Le texte est un véritable récit événementiel et non une série d’ennuyeux et incompréhensibles commentaires pseudo-poétiques sur coussin d’airs lus par un genre d’esthète littéraire (et chers à un ancien ministre). On n’échappe pas à une scène montrant Peter o’Tool attaquant un train dans un extrait du Lawrence d’Arabie de David Lean (1962). Mais pouvait-il en être autrement ? Si l’auteure se fait plaisir (et l’enseignant aussi), le lycéen s’accrochera à ces images de fiction judicieusement utilisées pour évoquer la guerre de Fayçal et T. H. Lawrence contre les Ottomans. Pour l’histoire en terminale, ce film peut servir à la nécessaire imprégnation ou constituer une accroche des cours. Un problème technique demeure, celui de l’utilisation d’un produit VOD en cours.

Dominique Chathuant © Clionautes