La France en territoires, en voilà un titre accrocheur ! Et déjà, prof d’histoire-géo que vous êtes, vous vous réjouissez. A première vue, vous avez raison ! Ce Dvd vous propose huit documentaires calibrés pour un visionnage en classe. Huit petits films travaillant des notions du nouveau programme. Huit moyens de diversifier votre cours et de l’agrémenter. Pourtant, le premier visionnage des documents va calmer votre enthousiasme !
« Pour mieux utiliser cette ressource et en comprendre les choix, il est nécessaire de lui appliquer un regard critique. » Ainsi commence l’introduction du livret d’accompagnement. Et puisqu’on nous y invite, entamons une analyse critique de cet objet vidéo ! Même si, un plus bas dans le texte, l’auteur du livret nous prévient que cette posture sera inutile pour l’objet qui nous intéresse : « Les films ici présentés, de par leur caractère didactique, visent toute l’objectivité possible ». En gros, on nous dit, soyez critique mais pas avec nos documentaires ! Etrange, d’autant plus que le texte de l’introduction s’appuie sur des références majeures dans le domaine de l’analyse documentaire : Jacques Rancière et Jean-Luc Lioult.
Cet avertissement ne va pas nous empêcher de faire une analyse critique et argumentée de l’objet cinématographique proposé ! Le concept, développé ici, est intéressant. Des films documentaires assez courts (entre 12 et 20 minutes) sont proposés. Ce format se prête potentiellement à un visionnage en classe. Un chapitrage est inclus pour chaque documentaire. L’auteure du script et du livret (Cécile Llantia, SCEREN-CNDP) a eu le souci de proposer des sujets variés. Il est ainsi possible d’aborder les notions suivantes : métropolisation (à partir du cas de Rennes), technopole (Sophia-Antipolis), intercommunalité (L’Antonnière, une communauté de communes à proximité du Mans), ville mondiale (Paris), littoral touristique (Royan), aire protégée (Parc national des Pyrénées)… Les documentaires se composent d’images de paysage (souvent image-prétextes) qui alternent avec interviews d’acteurs des territoires présentés. Ces derniers n’ont pas toujours le vocabulaire approprié pour un public d’élèves et plus particulièrement de collégiens. Par ailleurs, le choix des acteurs comporte des biais. Issus des collectivités territoriales, des entreprises, ils ont très souvent tendance à présenter le bon côté des choses et à oublier les problèmes. Résultat : ces documentaires ressemblent davantage à des films de promotion qu’à des documentaires objectifs, comme annoncé en introduction !
Ainsi, le film consacré au parc national des Pyrénées donne la parole aux pro-parcs (directeur du parc, agriculteur, maire, garde…) qui vantent les mérites de la mise en place de ce périmètre de protection. Périmètre d’ailleurs difficile à comprendre puisqu’aucune carte n’aide à localiser le territoire dont il est question. Le seul opposant au parc et à la rénovation du zonage dans le cadre de la loi de 2006 est le président de la société de pêche au discours peu convaincant. La question de l’ours n’est évoquée à aucun moment dans ce court-métrage alors qu’elle représente un moyen efficace d’expliquer aux jeunes en quoi consistent les conflits d’usage. La bibliographie sur ce sujet laisse apparaître des références datées (Bernard Kalaora, 1998) et n’a pas été actualisée avec les travaux de Lionel Laslaz (2008, 2012) ou de Farid Benhamou (2009).
Malgré tout, quelques documentaires tirent leur épingle du jeu en raison, notamment, des acteurs sollicités qui ne masquent pas la réalité des phénomènes affectant le territoire concerné. Ces courts-métrages sont d’ailleurs ceux qui proposent des cartes de localisation (précaution non inutile pour comprendre de quoi on parle !). Ainsi, les 15 minutes consacrées à Sophia-Antipolis ne sont pas seulement consacrées à la promotion de la technopole mais aussi à montrer les problèmes de l’implantation d’un pôle de technologie liée à l’informatique et aux communications en périphérie. 35 000 salariés et 1500 entreprises sont présents sur le site. Des problèmes de mobilité sont soulevés (embouteillages aux heures de bureau, quartier mal relié par les transports en commun à l’agglomération, mixité fonctionnelle peu variée sur le site). La renommée du site est mise en avant en tant que première technopole en France mais les limites de celle-ci sont bien montrées. Que pèse Sophia (c’est ainsi que disent les locaux) face à Bangalore avec ses 180 000 emplois ? Même l’université de Sophia-Antipolis a du mal à tenir face à la concurrence des grands pôles universitaires français !
Au final, il y a fort à parier que ces documentaires, qui se veulent didactiques, ne remportent pas l’adhésion des élèves du secondaire. Il semble nécessaire de les compléter par l’étude d’autres documents et d’amener les élèves à adopter une démarche critique vis-à-vis de l’ensemble. Mais, n’est-ce pas le propre de l’enseignement des sciences humaines ?
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes