CR par Emmanuel Bain

L’Europe médiévale en 50 dates : voilà un projet ambitieux et, bien évidemment risqué, car aisé à critiquer, ne serait-ce que dans le choix forcément discutable des dates. Et, de fait, dès le premier regard, ce livre a de quoi laisser sceptique. Un rapide survol signale la présence de coquilles assez fréquentes (notamment dans l’emploi des majuscules : église au lieu d’Église, état pour État ou des majuscules pour les adjectifs de nationalités). La présentation de l’auteur en quatrième de couverture prête à sourire plus qu’elle n’inspire la confiance : « féru d’histoire », Jacques Bloeme doit l’aborder « avec les outils pédagogiques de l’enseignant, la rigueur du juriste et la précision du militaire » ! La lecture de la bibliographie ne rassure guère : il n’était probablement pas indispensable de citer l’autorité de gens comme G. Bordonove !

Malheureusement, l’introduction vient rapidement confirmer nos craintes. L’ «Européen convaincu » (4ème de couverture) qu’est J. Bloeme commence par affirmer que « l’Europe, comme chacun sait, s’arrête (…) aux détroits des Dardanelles et du Bosphore, et, vers l’Est, aux Monts Oural » (p. 7). Le professeur de géographie croyait pourtant que ces limites, “comme chacun sait”, sont purement conventionnelles et arbitraires… Mais nombre d’autres passages du livre laissent clairement entendre que l’auteur ne verrait pas d’un bon œil l’entrée de la Turquie dans l’UE.

La suite de l’introduction présente davantage d’intérêt puisque J. Bloeme y expose son sujet : il va traiter de « ceux qui font l’histoire » c’est-à-dire ceux qui portent les couronnes, la tiare et le turban. Tant pis pour ceux qui croyaient que les peuples eux-aussi faisaient l’histoire : des paysans qui sont l’essentiel de la population, des marchands qui parcourent le monde, des moines qui défrichent et bâtissent de nouvelles abbayes, des clercs qui prêchent ou enseignent tous les jours, et même des seigneurs et des chevaliers – de tous ceux-là, il ne sera pas question.

Et il vaudrait mieux passer sous silence la fin de l’introduction qui regrette que les papes médiévaux n’aient « pas tous eu la dimension spirituelle ni le sens politique de l’immense Jean Paul II récemment disparu » (p. 11).

On l’aura compris, ce livre s’inscrit dans une façon d’écrire l’histoire qui n’est plus celle d’aujourd’hui, que ce soit par le style ou par le choix des thèmes étudiés. Le style peut parfois amuser quand se trouvent évoqués « la douce et pieuse Agnès de Poitiers » (p. 235) ou « le faible Pascal II » (p. 237), mais aussi agacer à force d’utiliser le futur pour parler du passé et de recourir aux stéréotypes (p. 317 : « le tempérament, teuton, de ces nouveaux arrivants était trop différent de celui des Francs méridionaux d’Orient »). Espérons qu’il ne s’agit que d’une maladresse d’expression quand il évoque la condamnation à mort du Christ par les juifs …

Le contenu du livre est fidèle à l’introduction : il y est presque uniquement question de l’histoire politique et militaire. Sont ainsi passés sous silence des phénomènes sociaux fondamentaux comme l’incastellamento, le développement des villes, l’essor du commerce ou même la féodalité. Même traitement pour une partie essentielle de l’histoire de l’Église qui n’est lue qu’au prisme de la papauté, ce qui laisse de côté le monachisme, le rôle des évêques, les ordres mendiants etc… Et, bien évidemment, la vie intellectuelle et artistique ne sert guère qu’aux illustrations.

Toutefois, à condition d’être conscient de ces limites, cet ouvrage présente tout de même un intérêt. Il faut d’abord reconnaître à l’auteur un réel souci pédagogique : chaque entrée est accompagnée de schémas et surtout d’une ou plusieurs cartes simples, probablement un peu approximatives mais très lisibles et très commodes pour se repérer et qu’il n’est pas toujours facile de trouver, du moins avec autant de clarté.

De plus, la plupart des entrées replacent la date étudiée dans un contexte politique et militaire qui remonte largement en arrière et se terminent par une ouverture qui va bien en avant. À travers cinquante dates, c’est donc toute l’histoire politique de l’Occident qui est ainsi balayée. Le souci d’exhaustivité (dans le cadre historiographique qui est le sien) est d’ailleurs étonnant : la facilité aurait consisté à passer d’un roi “important” à un autre, tandis que J. Bloeme s’efforce de les présenter tous, tout en fournissant de grands repères par le choix des cinquante dates.

Ainsi cet ouvrage aidera grandement à pallier des lacunes dans l’histoire événementielle et dynastique du Moyen Âge. Son aspect historiographiquement très daté constitue paradoxalement son intérêt majeur car il apporte des connaissances et des repères qui ne nous ont pas été enseignés et constituent un soubassement que nous ne maîtrisons pas toujours.