Puisque l’on a parlé récemment sur la liste de diffusion H-Français des problèmes de témoignages et de mémoires opposées à propos de la guerre d’Algérie, cette présentation du film de Djamel Zaoui vient sans doute à point nommé. Ce film consacré à une mémoire occultée, mais aussi à une histoire annihilée vient bousculer bien des certitudes imposées sans doute par une certaine mauvaise conscience qui vient maintenant apporter un certain trouble.
Pendant des années, la gauche française avait largement mis au crédit du Front de Libération national algérien le combat pour l’indépendance. De son côté la droite gaulliste pendant un temps discrète sur l’abandon des harkis, préférait passer sous silence, grâce aux lois d’amnistie de 1968 quelques scories de sa propre histoire. Et puis, le temps est passé, les organisations de rapatriés, les mouvements de harkis se sont manifestées avec suffisamment de vigueur pour que le débat revienne sur ceux qui se sont longtemps considéré comme les victimes de cette histoire douloureuse.

De ce fait, en dehors de Benjamin Stora et de quelques autres, l’histoire des premiers temps du nationalisme algérien moderne est longtemps passée sous silence. Pire encore, pendant longtemps ceux qui avaient entendu parler des messalistes pendant la guerre d’Algérie ont longtemps considéré que ces nationalistes étaient des supplétifs des colonisateurs, reprenant en cela les accusations du FLN à leur encontre. Pourtant ceux que l’on appelait les messalistes étaient bel et bien les premiers nationalistes algériens modernes, partisans avec leur chef charismatique d’une indépendance de l’Algérie sans concession mais en même temps respectueuse des droits de toutes les composantes de la société algérienne, européens et juifs compris.

Né en 1962 , conçu en Algérie mais ignorant pourquoi il était venu en France juste après le 19 mars, Djamel Zaoui a eu du mal à découvrir l’histoire de sa propre famille, de son propre père. Peut-être aurait-il pu croire, mais il s’en défend, qu’il était fils de harki avant que peu à peu, il ne découvre la vérité.

Le nationalisme algérien a eu pour origine le mouvement des ulemas organisé autour des mosquées dans les villes, mais il était tout de même limité et ses revendications étaient surtout identitaires. «L’Islam est ma religion, l’arabe est ma langue, l’Algérie ma patrie» était le leitmotiv de ces docteurs de l’Islam cité par Grimal dans son ouvrage sur la décolonisation.

Mais c’est dans l’immigration que se constitue autour du Parti communiste français et de la CGTU, appliquant sans doute les résolutions de la conférence de Bakou que se développe ce nationalisme algérien moderne et à l’origine fortement influencé par le marxisme. Messali Hadj est en 1926 permanent du PCF alors qu’il vient de fonder l’Étoile Nord Africaine…
La trajectoire de ce mouvement l’éloigne peu à peu du PCF étroitement soumis aux ordres de Moscou… L’Étoile nord africaine est dissoute en 1937 mais se reconstitue sous le nom de Parti du Peuple Algérien. C’est ce mouvement qui sera à l’origine des manifestations de Sétif réprimées par l’armée française et qui feront près de 10000 victimes en Mai 1945.

Le film de Djamel Zaoui réunit les témoignages d’historiens comme Benjamin Stora ou Simon qui évoquent ceux dont la parole a été longtemps niée. Cela pour autant ne saurait totalement dédouaner les errements du parti messaliste, appelé aux lendemains de sa dissolution après 1954 le MNA. Le film restitue assez bien, mais avec la parole un peu omniprésente du fils et de la fille de Messali Hadj, l’ambiance de complots et d’intrigues qui a précédé le déclenchement de l’insurrection.
Ceux que l’on a appelé les fils de la Toussaint, les fondateurs du FLN étaient des militants messalistes, qui souhaitaient faire sortir le parti de l’impuissance et des compromissions. Compromissions dont les deux tendances du Parti Populaire algérien avaient tendance à s’accuser mutuellement. Par ailleurs Messali Hadj avait tendance aussi à s’identifier à la nation Algérienne à tel point qu’il laissait ses partisans l’appeler El Zaïm, l’Unique… ( Cité par Yves Courrière dans les fils de la Toussaint)
Le film démonte ensuite la façon dont les cadres du FLN influencés pour partie d’entre eux par Nasser comme Ben Bella, ont mis en route leurs réseaux, choisissant la violence aveugle, notamment en s’alliant avec des membres du milieu d’Alger, comme Yacef Saadi ou Ali la Pointe et cherchant par tous les moyens à s’imposer dans la communauté immigrée en France.
Seul le Nord de la France est resté Messaliste et c’est dans ces régions minières ou du côté de Roubaix que les derniers témoins de cette tragédie peuvent encore égréner leurs souvenirs.

Ce film est dur car il raconte une tragédie oubliée, celle de ces hommes qui croyaient sincèrement que le désir d’indépendance qui unissait la plupart des combattants serait plus fort que les ambitions personnelles de ceux qui se sont par la suite imposés au pouvoir. Il est dur aussi car on se prend à espérer que le destin de l’Algérie aurait été autre si les modérés de tous bord avaient pu se faire entendre et s’imposer.

À la fin de la guerre d’Algérie, les maquis du MNA qui avaient combattu les Français ont été désarmés par le FLN et des règlements de comptes ont eu lieu. Les harkis, victimes eux aussi de ces pratiques ont été dans une certaine mesure reconnus honorés par la France avec quelques décennies de retard. Ces Djounouds un autre mot pour désigner les fellaghas du MNA, eux sont encore enfouis dans un passé qui ne passe pas en Algérie… Et c’est le fils de l’un d’entre eux qui les sort de l’oubli d’État du régime Algérien qui a eu, dès avant l’indépendance des pratiques totalitaires de confiscation de l’histoire et de violence systématique.
Ironie de l’histoire, ce sont ces mêmes pratiques, et notamment les violences aveugles qui ont prévalu lorsque l’Algérie après 1988 a basculé dans la guerre civile.

A ce titre, ce que l’on oublie de dire c’est que la guerre d’Algérie était triple, franco-algérienne, franco-française et algéro-algérienne. Le film de Djamel Zaoui vient montrer la troisième facette. Les historiens seront sensibles à cette démarche du vidéaste qui vient très opportunément faire œuvre de conservation.

Bruno Modica ©