Documentaire réalisé avec les images du procès des dirigeants nazis à Nuremberg.
Symbole inaugural de la justice internationale, le procès de Nuremberg est un des épisodes les plus célèbres du dénouement de la Seconde Guerre Mondiale. Si connu qu’on peut s’étonner finalement d’en avoir si peu visionné les images. Elles existent pourtant. Par volonté d’exemplarité et de publicité, les moments forts du procès ont en effet été filmés sous la prestigieuse supervision du réalisateur John Ford, mobilisé dans la marine américaine. La plupart de ces bobines étaient pourtant demeurées inédites. Elles constituent la matière première de la saisissante restitution de l’atmosphère et de l’évolution des débats proposée par ce documentaire. Long de 90 mn et chapitré en huit séquences, il s’appuie sur des images dont la qualité visuelle souffre un peu de ne pas avoir bénéficié d’une restauration technique, mais dont la force d’évocation demeure intacte.

L’avènement d’une justice internationale

Il fallait une justice équitable pour que Nuremberg échappe à l’anathème d’incarner les représailles arbitraires d’un nouveau Vae victis. La procédure accusatoire à l’anglo-saxonne adoptée sous l’influence des Américains enrôla les accusés dans son appareil légal. Leur coopération légitima finalement la validité du procès, dont le verdict, balancé, dément d’ailleurs toute caricature dénigrant la loi arbitraire des vainqueurs.

C’est dans une salle bondée de juristes, traducteurs, journalistes et délégations des pays alliés que se tient, dix mois et demi durant, sous la houlette d’une cour internationale où siègent les magistrats des quatre pays vainqueurs, le procès de Nuremberg. Les lieux ont été spécialement aménagés pour permettre la projection, inhabituelle dans un tribunal, de films étayant l’accusation par la présentation des atrocités du nazisme. La procédure est lourde, tant du fait du volume des pièces présentées aux parties que des contraintes de traduction, écrite et verbale. Réunies avec beaucoup de rigueur (jusqu’à l’élaboration d’un organigramme complexe de l’archipel du pouvoir hitlérien), des pièces à conviction émanant de l’ordre bureaucratique nazi lui-même établissent les responsabilités dans les crimes du régime déchu.

A l’exception de Goering et Keitel, la construction du documentaire estompe les cas particuliers des accusés et leurs efforts de défense. Elle se polarise sur la mécanique de l’accusation et sur le rôle clé du procureur américain Robert Jackson dans les choix de celle-ci. Tout en soulignant l’innovation juridique représentée par l’introduction des catégories nouvelles de Crime contre la paix et de Crime contre l’humanité, la narration met en valeur l’évolution des enjeux au fil des débats. L’accent initialement mis sur la notion de Complot tend à s’étioler, tandis qu’émerge la prise de conscience du processus génocidaire perpétré contre les Juifs. Les témoignages retenus par le réalisateur Christian Delage se concentrent sur cette thématique. Comparaissent ainsi les anciens responsables SS Otto Ohlendorf (chef d’un Einsatzgruppe), Dieter Wisliceny (adjoint d’Eichmann) et Rudolf Höss (commandant d’Auschwitz), tandis que l’ex-déportée Marie-Claude Vaillant-Couturier s’exprime au nom des victimes. Interviennent aussi ponctuellement, avec le recul des décennies, plusieurs protagonistes survivants du procès : un interprète et un procureur américain, un assistant de John Ford, et un ancien déporté d’Auschwitz présent à Nuremberg en qualité de journaliste.

L’optique adoptée par le réalisateur tend à rendre le verdict relativement accessoire. On perd de vue la plupart des condamnés, rapetissés en simples silhouettes anecdotiques dont les rôles et responsabilités demeurent indéterminées pour qui n’est pas un tant soit peu familier de la période. L’ellipse totale du cas de Katyn peut aussi laisser un petit regret. Les contraintes de format horaire justifient assurément ce parti-pris. Mais la démarche de Christian Delage, très cohérente, trouve avant tout son sens dans le spectacle de la justice qui s’en dégage. Dans ses lenteurs et sa dignité, sa rigueur et ses hésitations, ce droit qui s’impose constitue une belle démonstration des potentialités souveraines d’une justice internationale.

Les bonus

En contrepoint, un intéressant entretien avec Robert Badinter conjugue l’éclairage du juriste au point de vue du grand témoin. Long de 22 minutes, il est chapitré en sept séquences thématiques visionnables séparément. Celles-ci abordent successivement le processus d’élaboration du procès de Nuremberg, la composition de la cour et la procédure retenue, l’analyse de la notion de Crime contre l’humanité, la prouesse de la mise en place rapide du procès dans le respect des règles du droit, la postérité de Nuremberg à travers l’émergence de la CPI et des TPI, la nécessité documentaire de l’enregistrement des procès pour l’Histoire et l’Histoire du droit, et enfin le cas Barbie comme exemple du « triomphe du droit ».

L’édition se compose d’un double DVD. Le second contient trois documentaires. Un court-métrage américain d´actualité (10 mn) conçu par l’équipe de John Ford annonce de manière très didactique le procès prévu à Nuremberg. Il met en évidence la forte empreinte de la culture juridique anglo-saxonne sur cet événement. S’y ajoutent deux films projetés comme preuves lors du procès de Nuremberg. Le premier (58 mn) est américain et visite une dizaine de sites concentrationnaires nazis libérés par les américains et les britanniques (dont Mauthausen, Buchenwald et Bergen-Belsen). Le deuxième (59 mn) est d’origine soviétique. Il déroule une accablante litanie d’atrocités perpétrées sur les « citoyens soviétiques » en URSS, puis présente des lieux de détention libérés par l’Armée Rouge (notamment les camps d’extermination de Majdanek et Auschwitz). Choix politique ? Le génocide y émerge si peu en tant que tel que le mot Juif n’est employé qu’une fois, noyé au milieu de la longue liste des nationalités captives à Auschwitz. Conçus comme des procès-verbaux, ces deux documentaires alliés se composent de séquences véritablement éprouvantes : ah, l’atroce besogne des bulldozers de Bergen-Belsen, ou les cadavres d’enfants des charniers d’URSS… On comprend à quel point cette vision a pu frapper les esprits durant les débats à Nuremberg. Cet impact demeure : il parait délicat d’en montrer les images dans un cadre scolaire. Enfin, un livret d´accompagnement de 12 pages complète le coffret. Il récapitule l’essentiel à retenir.

Il n’en demeure pas moins que le documentaire sur le Procès, à la fois poignant et rigoureux, retrace de façon marquante l’étape ultime – celle du dévoilement et du jugement – de la barbarie nazie. Les amateurs d’Histoire exigeants et les passionnés de la Seconde Guerre Mondiale sauront apprécier la qualité du propos autant que la puissance des images. L’œil professionnel de l’enseignant sera sans doute sensible également à la construction très didactique de ce film. Sous réserve des restrictions légales, il y a là matière à illustrer avec profit, au moins sous forme d’extraits, les programmes scolaires du Second Cycle, notamment en Première et en Terminale.

Enfin, au-delà de la valeur pédagogique, historique, juridique voire cinématographique propre à ces images, une leçon fondamentale se dégage d’une telle immersion dans le Procès de Nuremberg : elle confirme à quel point la civilisation a pour socle la force conférée au droit.

*voir le site de la Compagnie des Phares et balises

http://www.phares-balises.fr/

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