Le monde paysan perdu, voilà le sous-titre qui aurait pu accompagner le documentaire de Dominique Marchais, sorti en salle en février 2010. A l’aide d’un format long (2h03), le réalisateur dresse un état du monde paysan actuel. Paysages et interviews alternent pour faire prendre conscience au spectateur des enjeux économiques et paysagers que connaît l’agriculture. Une très belle photographie est mise au service d’une démonstration qui se déroule séquence après séquence. Ce que propose Dominique Marchais n’est pas une réflexion prête à consommer. A l’aide d’un rythme lent, il laisse le temps au spectateur de se poser des questions par le biais de la contemplation du paysage.

L’essentiel de la réflexion tourne autour du paysage et de ceux qui le transforment. Ce dernier ensemble ne se limite pas aux paysans puisque les urbains, à travers l’image qu’ils ont d’un beau paysage et paradoxalement par l’intermédiaire de l’étalement urbain, sont des acteurs à part entière de cette transformation.

L’ensemble est très pédagogique même si le rythme empêche à priori une exploitation avec des élèves (Difficile de trouver un extrait qui concentre les enjeux). Les différentes formes de paysage (openfield, bocage) sont abordées. Les guides sont des agriculteurs qui commentent le paysage qu’ils ont sous leurs yeux. Dans l’Yonne, un agriculteur – boulanger montre une parcelle de 50 ha issue du remembrement de 15 plus petites. Il explique que si l’on a perdu en diversité paysagère mais aussi animalière (un grand champ est semblable à un désert pour une perdrix), l’agriculteur a gagné en productivité. Le bocage est abordé par le témoignage d’un éleveur de vaches limousines, venu de Lorraine il y a 30 ans. La question de la fermeture du paysage n’est pas oubliée. La Corrèze mais aussi le Causse noir sont sujets à ce phénomène. C’est par le biais de la présentation d’une exploitation en Loire atlantique par son gérant que l’étalement urbain est chiffré : moins 2000 ha/an au détriment des meilleures terres.

Force est de constater que les interlocuteurs du réalisateur sont âgés et nombreux sont ceux qui présentent une vision nostalgique du « bon vieux temps ». La séquence où sont repris des chants de la JRC en témoigne. Les jeunes apparaissent seulement par le biais de deux personnes antinomiques : un éleveur intensif de brebis qui possède une belle maison neuve avec piscine et un gentil barbu qui vante les mérites de l’agriculture bio. La dénonciation de l’agriculture intensive est très présente tout au long du film. L’interview du couple Bourguignon, des microbiologistes des sols appelés dans une exploitation viticole en Champagne, dresse un constat affligeant de l’état des sols. A force d’engrais, de pesticides, de fongicides, on a tué les sols qui sont épuisés et ne produisent plus. Ils préconisent le recours à l’épandage de bois raméal fragmenté pour ramener dans le champ des champignons, des microbes, une vie organique qui va permettre, sans avoir recours à la chimie, de régénérer le sol.

Un agronome montre que l’agriculture du XXe siècle a vécu une rupture incroyable par rapport à ce que l’on faisait jusque là depuis le Néolithique. Une formidable biodiversité existait à la suite de la sélection de plantes par les agriculteurs. Le fait que cette sélection soit passée aux mains des agronomes a tout changé. L’agriculture s’est artificialisée. On a standardisé les semences et leurs usages sans tenir compte des sols. Pour compenser les écarts entre les besoins de la semence et le sol, il a été nécessaire d’avoir recours à des insecticides, des fongicides et des engrais. Pour sortir de ce cercle infernal, il faut comprendre que l’objet de l’agriculture n’est pas la terre ou les animaux mais l’écosystème. On ne peut pas modifier une chose sans qu’elle ait un impact sur l’ensemble. Cela nécessite de totalement revoir les méthodes et les contenus de l’enseignement dans les lycées agricoles et pour cela, il faudrait former les profs aux méthodes traditionnelles !

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Seconde recension par Bruno Modica

Les Clionautes par les actions de La Cliothèque et Ciné HG ont mis en place un partenariat avec Zéro de conduite – L’actualité éducative du cinéma. Les rédacteurs et critiques auront en charge les analyses des documents et supports fournis par notre partenaire. Par ailleurs, nous participerons, autant que possible aux projections presse et avant- premières des sorties de films et documentaires en salle. Ces présentations seront mises en ligne de façon spécifique sur Ciné HG et dans la rubrique supports multimédias de la Cliothèque.

http://www.zerodeconduite.net/Doté d’un dossier pédagogique disponible avec l’achat du DVD, ce film de Dominique marchais s’inscrit dans une démarche particulièrement intéressante pour traiter les programmes de seconde et de première en géographie.

Géographie Seconde Thème 2 :

  • Gérer les ressources terrestres : Nourrir les hommes (étude de cas mise en perspective)
  • Croissance des populations, croissance des productions
  • Assurer la sécurité alimentaire
  • Développer des agricultures durables ?

Géographie Première Thème 2 :

  • Aménager et développer le territoire français : Les dynamiques des espaces productifs dans la mondialisation
  • Les espaces de production agricole en lien avec les marchés européens et mondiaux.
  • Par extension, le film recoupe les thèmes « Acteurs et enjeux de l’aménagement des territoires », « Valoriser et ménager les milieux » et « Entre attractivité urbaine et nouvelles formes de développement : les espaces ruraux ».

Organisé en chapitres facilement identifiables il est d’une utilisation aisée en classe et permet de traiter les différents thèmes à partir d’exemples régionaux.
Seule absence, et on comprendra que l’auteur de ces lignes se soit un peu senti frustré, le monde viticole méridional est singulièrement absent de ce film. Ce qui est quand même un peu surprenant, pas seulement pour des raisons de sensibilités particulières à ces questions, mais parce que cette région, même si elle n’est pas la seule, est ouverte aujourd’hui à un phénomène de mondialisation majeur avec l’irruption de nouveaux produites et des vins du nouveau monde, ainsi que de nouveaux consommateurs.

A travers l’observation des paysages ruraux et les récits de nombreux acteurs du monde rural, ce film pose de multiples questions à l’agriculture française : comment fonctionne-t-elle aujourd’hui ? Quels sont ses liens avec l’économie et la science, mais aussi avec la politique, l’histoire, l’urbanisme, les mentalités ?
Que lui a apporté la révolution agricole, avec quelles limites et quelles perspectives d’avenir ?
Ainsi, ce film constitue une étude dense et complète, dans l’esprit des nouveaux programmes de géographie.

Le séquencier qui est présenté dans le dossier pédagogique, qui comporte également des exercices à partir de questionnements est particulièrement bien conçu. Il fait référence directement aux questions des programmes.

A titre d’exemple, cette première série de questions

Observez les images des deux premiers extraits, et décrivez les caractéristiques de l’agriculture dans ces deux exemples (moyens
techniques de production, taille des parcelles et des exploitations, nombre d’agriculteurs, résultats en terme de production, consommateurs visés/but de la production/liens avec l’industrie). En quoi peut-on parler d’une agriculture intensive* ?

Avec le Vocabulaire et notions à utiliser et acquérir : mécanisation, monoculture, productivité/rendement*, filière agroalimentaire/IAA/agrobusiness*, agriculture commerciale*

Permet de mesurer très concrètement les mutations de l’agriculture, la façon dont les hommes de la terre envisagent leur métier, les dérives aussi que cette agriculture productiviste a pu entraîner.

On est par exemple très surpris, lorsqu’un éleveur de brebis travaillant pour Roquefort se qualifie lui même de « producteur de minerai », valorisé par un industriel. Le lien avec le cycle des saisons, celui de l’agriculteur nourricier est ainsi distendu.
Loin de favoriser une nostalgie néo-rurale, ce film pose le problème d’une réorganisation à l’horizon + 15 ans, des filières agricoles.

Cela est aisément démontré par une étude des sols, des territoires qui ont été dégradés par près d’un siècle d’apports artificiels.
La question qui est posée est bien entendu celle de la capacité, d’une autre agriculture, à nourrir des populations en hausse. Sans doute faudra-t-il s’interroger sur les transports de produits agricoles, sur leur impact environnemental, et sur les liens de dépendance que ces derniers entraînent.

Au passage, le cas français est d’autant plus intéressant que cette agriculture est vraiment à la croisée des chemins. Le choix des circuits courts et de la qualité à partir d’un ensemble de terroirs uniques ou la valorisation des espaces, intégrés dans la mondialisation.
C’est d’ailleurs ici que la présentation de la viticulture languedocienne aurait pu prendre toute sa place.
Issue d’un vignoble de masse produisant de gros volumes de « vin aliment » pour une population en hausse, la viticulture languedocienne après avoir fait un choix de qualité est aujourd’hui confrontée à une production agro-industrielle des groupes viti-vinicoles souvent australiens ou canadiens, capables de fournir un produit standardisé, avec de très gros volumes et avec des efforts marketing considérables.
Les revendications du monde viticole méridional tournent justement autour de cela, faire sauter les blocages hérités de la viticulture de qualité, à partir des appellations d’origine contrôlée, por s’engager dans une compétition avec les « vins du nouveau monde ». Ce choix est-il pertinent ?

Dans d’autres régions, celles-ci évoquées dans le film de Dominique Marchais, les agriculteurs et autres spécialistes de l’agronomie s’interrogent. faut-il favoriser l’engraissement des bovins avec des céréales ou la valorisation des herbages, mais quelles seront les conséquences sur les prix, sur les consommateurs.

Les circuits courts sont-ils un modèle généralisable à grande échelle ?

Parmi les points peut-être les plus intéressants de ce documentaire et qui devraient sans aucun doute apprendre beaucoup de choses aux enseignants, avant même les élèves, on évoquera ce questionnement:

Face aux excès de l’agriculture productiviste, des propositions de solution sont avancées afin de continuer à produire tout en favorisant l’équité sociale entre producteurs et consommateurs et en ne dégradant pas l’environnement. Quelles propositions d’agricultures dites durables émergent en France ?

Étude de 3 extraits :

  1. 01h16’08-01h20’33 : Faire revivre les sols par le biais des haies et de la forêt
  1. 01h22’47-01h27’05 : Réhabiliter l’écosystème, dans l’enseignement et dans la pratique
  1. 01h28’11-01h30’26 et 01h32’37-01h36’31 : Mettre un terme à l’objectif « Nourrir la France, nourrir le monde ».

Les arguments des microbiologistes sur les reconstitution de sols sont il est vrai assez convaincants, et les effets pervers du remembrement ont rarement été aussi bien présentés avec autant de clarté et de rigueur scientifique.

Au final, on ne pourra qu’encourager nos collègues à faire de toute urgence l’acquisition de ce film et des droits de diffusion associés. Ils pourront le compléter avec une étude sur leur espace proche, si ce dernier ne se trouve pas dans le film lui-même mais en dehors du cas particulier cité plus haut, on y trouvera largement matière à faire réfléchir nos élèves sur ces questions vitales à tous les sens du terme.

Bruno Modica