Il existait déjà un Atlas historique du monde méditerranéen, de Gérard Chaliand, Jean-Pierre Rageau et Catherine Petit, paru en 1995, mais il est actuellement épuisé. Ce nouvel Atlas, réalisé avec une équipe de l’université Saint-Joseph de Beyrouth, couvre une très large période, depuis les « origines », celles de l’apparition de l’homme, de l’art puis de l’agriculture et l’écriture, jusqu’à la période la plus récente : le dernier chapitre, « Guerre et paix », évoque la création de l’Etat d’Israël et les guerres du Proche-Orient, mais aussi les questions très contemporaines de pollution des littoraux, de migrations sud-nord et de partenariat euroméditerranéen.
Espace de taille réduite, pratiquement fermé, doté d’un arrière pays souvent difficile, mais d’une étonnante fécondité tant en civilisations, berceau des trois monothéismes, des premiers cunéiformes comme de l’art de cultiver la terre, lieu d’inépuisables confrontations, affrontements, guerres meurtrières, lieu qui fut longtemps le centre du monde, la Méditerranée reste une « énigme » que les auteurs de l’ouvrage avouent ne pas avoir la prétention de résoudre. Tout au plus espèrent-ils aider à sa compréhension, plaidant avec optimismpase en faveur de son « unité, plus nécessaire que jamais » pour le droit de chacun à l’existence et la disparition de « ses guerres picrocholines sanglantes …et inutilement destructrices pour tous ».

De Sumer aux IDH du XXI e siècle

Le parcours proposé fait voguer le lecteur, au gré de ses feuilletages, à travers une Méditerranée comprise au sens large, puisqu’elle peut s’étendre sur certaines cartes, jusqu’au golfe persique et au nord de l’Europe. On ira ainsi de la naissance des villes en pays de Sumer jusqu’aux différentiels nord-sud de l’indice de développement humain, en s’arrêtant aux empires gênois et vénitiens, aux clivages religieux au moment du schisme de 1054. Les auteurs insistent sur les rencontres, échanges et confrontations entre chrétiens, musulmans et juifs dans cet empire. On en regrette d’autant plus que la Méditerranée au XIIe siècle disparaisse des nouveaux programmes d’histoire de seconde, (en tout cas dans la version préparatoire disponible à l’heure d’écrire ces lignes…)
Toutes les cartes sont présentées en couleur, sont globalement très soignées, claires et bien lisibles : sur chaque double-page de l’album au format « paysage », la cartographie fait face à un texte consistant qui rappelle dans un langage très accessible dates, personnages et enjeux importants. Outre les cartes que le grand public ou le professeur d’histoire-géographie a l’habitude de fréquenter (par exemple, celles de la colonisation grecque en Méditerranée, de la conquête musulmane après l’Hégire, ou celles des croisades …), il aura le plaisir d’en découvrir de plus rarement montrées : l’expansion normande au XIIe siècle, de l’Angleterre de Guillaume le conquérant à la principauté d’Antioche de Bohémond de Tarente, l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492 et les communautés constituées ensuite en Orient, l’empire de Soliman le magnifique, la guerre d’Espagne replacée dans le contexte européen et méditerranéen, avec les trajets de l’or espagnol en fuite et les destinations des exilés républicains, ou encore la guerre froide vue de la Méditerranée. L’ensemble reste d’un grand classicisme ; on est donc assez loin ici des Atlas de la série « Autrement » à la mise en page éclatée, jouant allégrement avec les échelles, et n’hésitant pas à insérer tableaux, graphiques et schémas fléchés à côté des cartes habituelles.
On regrettera de plus quelques insuffisances : dommage que chaque carte ne soit pas dotée de sources précises (même si la bibliographie en fin de volume est abondante et variée); dommage encore que le texte accompagnant les cartes reste à quelques reprises fâcheusement inachevé (page 72, 104 et 108 notamment) ; le lecteur aurait d’autre part apprécié des cartes plus approfondies pour l’histoire contemporaine : le conflit israélo-palestinien et sa complexité méritaient sans doute plus que deux double pages, une sur la création de l’Etat juif, et l’autre présentant, à plus petite échelle, les Etats du Proche-Orient ayant été en guerre ou pas avec lui. Pour une autre période, l’Antiquité, on aurait souhaité que l’histoire biblique tienne compte des progrès de l’archéologie et de la critique textuelle récentes : or, on doit se contenter d’une chronologie depuis longtemps remise en cause par les historiens (Abraham quittant Sumer en – 1760, ou l’Exode présenté pratiquement comme un événement historique…).
Tel quel, cet Atlas représente un bon instrument de travail, dont on n’attendra cependant rien de très novateur.

Nathalie Quillien