Christian Amalvi auteur de nombreux ouvrages dont « De l’art et la manière d’accommoder les héros de l’histoire de France », ou plus récemment, « Les lieux de l’histoire », travaille depuis longtemps sur la mémoire et les aspects scolaires de l’histoire. Il livre cette année un ouvrage qui entre en résonance avec beaucoup de débats actuels. Dans l’introduction, l’auteur rappelle d’ailleurs les enjeux de mémoire autour de l’histoire. Il n’est pas la peine de s’appesantir sur ce point tant l’actualité donne des exemples régulièrement. Le livre est à destination du grand public. Son propos ? : il s’agit d’envisager qui sont les héros des Français, depuis quand, et pourquoi, bref quels sont les usages et quels poids dans la mémoire nationale ?
La fabrique des héros
L’auteur choisit de distinguer plusieurs provenances pour les héros. Il choisit de cerner d’abord ceux liés à la religion, puis les laïcs qui forment notre panthéon. Dans une troisième partie, il se propose d’aborder d’autres héros en considérant s’ils suscitent ou non la polémique. On peut discuter ce classement qui a pourtant l’avantage d’organiser la litanie des noms. S’il est une période cruciale sur le moment et dans le souvenir qu’elle propage, c’est bien la Révolution française. L’auteur dresse donc en quelques pages l’historiographie du sujet. Pour chacun des personnages abordés, Christian Amalvi essaye de dresser les raisons de leur célébrité, mais aussi distingue les époques de renommée de chacun. L’ouvrage prend parfois appui sur les livres scolaires et l’on déplore d’autant de ne pas voir les images associées, ce qui oblige l’auteur à nous les décrire parfois. (p. 67 par exemple quand il évoque Catherine de Médicis). Il est frappant de constater combien des figures ont pu jouer un rôle et apparaissent oubliées parfois aujourd’hui. Un des intérêts de l’ouvrage est donc de nous faire redécouvrir parfois certains personnages comme celui d’Etienne Marcel ou même de Gambetta. S’il est bien représenté dans les rues, il est peut-être moins connu pour les détails de son itinéraire.
Un panthéon religieux réduit
Parmi les notices proposées, on peut proposer un florilège avec par exemple Clovis. De façon très synthétique, Christian Amalvi distingue ainsi quatre temps forts dans le mythe Clovis. D’abord utilisé et réactualisé par Charles X, il devient ensuite un modèle de l’Ordre moral. En 1896, le quatorzième centenaire de son baptême se déroule dans un contexte particulier où les catholiques sont encore loin d’avoir rallié la République. Enfin, la figure de Clovis réapparait avec le venue de Jean-Paul II en France en 1996. Désormais Clovis est vu comme un exemple d’intégration « réussie d’étrangers », message d’une forte portée symbolique alors. Le livre n’hésite pas à aller jusqu’à aujourd’hui en abordant par exemple la figure de Jean-Paul II. Le panthéon religieux apparaît en tout cas assez réduit ce qui est assez logique au regard de l’histoire de France qui a toujours entretenu un rapport compliqué entre politique et religion.
Un panthéon laïque fourni
Christian Amalvi concentre son propos sur les figures et notamment celle de Vercingétorix. Celui-ci est placé dès le début sous l’angle de la résistance légitime à l’oppression, ce qui est logique en cette fin du XIXe siècle. Ensuite, il est promu par les instituteurs de la IIIe République. Le cas de Victor Hugo est particulièrement intéressant : il est un homme statufié de son vivant et on remarque l’importance des commémorations régulières. On découvre des aspects moins connus comme avec la triple biographie des Monod entre Gabriel et la construction d’une histoire scientifique, Jacques et la recherche des origines de la vie, et enfin Théodore le « globe-trotter » de la science.
Le livre d’or : des indiscutables aux controversés
L’auteur fait remarquer que dans cette première catégorie, on retrouve rarement des souverains : comme les figures de référence ont été constituées notamment au XIXe siècle, il y a beaucoup de militaires ou de guerriers. Les femmes font un retour en force aujourd’hui et il faut noter que celles qui sont mises en exergue, quelles que soient les époques, partagent des caractéristiques communes : de Germaine Tillion à Lucie Aubrac, elles sont des passeuses de mémoire. Un peu moins consensuelle apparaît la figure de Charlemagne. Il incarna le modèle impérial au temps de Napoléon Ier, mais après 1945 il incarne une sorte de saint patron de la construction européenne. On pourrait être étonné de trouver dans cette même catégorie Henri IV tant ce personnage semble incontournable aujourd’hui. En réalité, on constate que cette image a varié au cours du temps. De la même façon, on trouve Jean Moulin. En effet, de 1945 à 1964 son souvenir est essentiellement local, puis il y eut le rôle des réseaux familiaux amicaux et professionnels qui ont contribué à le faire reconnaître.
Le salon des contestés
On retrouve, comme on pouvait s’y attendre, Jeanne d’Arc à laquelle Colette Beaune a consacré une éclairante biographie. A l’occasion, on retrouve la méthode de Christian Amalvi car il nous apprend qu’en cherchant dans la base Opale, il a repéré de 1790 au début du XXIe siècle plus de 800 biographies qui lui sont consacrées. La controverse est en tout cas grande productrice d’ouvrages. Quant à Napoléon, il aurait été l’objet de plus de 80 000 livres ! Son exemple est particulièrement éclairant pour constater que les commémorations connaissent, selon les moments, une grande ou pas du tout de publicité. Ainsi celle de 2005 d’Austerlitz a été particulièrement discrète et a même donné lieu à un bal des évitements de la part des politiques. On retrouve aussi le général De Gaulle : s’il fut évidemment contesté de son temps et juste après, il est vrai en tout cas que les choses ont changé depuis 1990, période marquée par la patrimonialisation de la mémoire gaulliste.
Le retour aux sources
L’auteur livre enfin une centaine de documents en complément pour valider et conforter son analyse. Par exemple, on trouvera une intéressante confrontation sur Louis XIV entre Pierre Goubert et François Bluche. Doit-on invoquer Joël Cornette comme médiateur ? « on le croyait tout puissant, à la tête d’un état centralisé. Le roi Soleil pratiquait en fait l’art du compromis et la recherche du consensus ». De la même façon, plusieurs documents nuancent l’image de Jeanne d’Arc. Le tout est complété d’intéressantes statistiques comme le panthéon des noms des établissements scolaires.
L’ouvrage est très analytique et les nombreux paragraphes facilitent grandement la lecture de l’ensemble. On pourrait discuter ponctuellement l’intérêt ou les limites de telle ou telle catégorie, mais en même temps, lorsqu’on est surpris sur le classement d’un personnage, Christian Amalvi remonte le fil et démontre la validité de son raisonnement. On assiste donc à un efficace tour d’horizon des personnages de l’histoire de France, toujours éclairant en des temps actuels où l’histoire et la mémoire restent des enjeux essentiels et dont la conjugaison est parfois problématique.
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