Docteur en histoire, chercheur associé au Centre d’histoire du XIXème siècle, enseignant à l’université de Paris-Dauphine, Grégoire Franconie consacre cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat, à une question historique intéressante : sur quelles bases Louis-Philippe et la dynastie des Orléans ont-ils cherché à établir leur légitimité ? Il s’agit de combiner une légitimité dynastique et une légitimité politique issue de la Révolution de 1830 et de la création d’une véritable monarchie constitutionnelle fondée sur la Charte révisée. Le débat était posé dès la Monarchie de Juillet. Louis-Philippe règne -t-il «parce que Bourbon » (il est l’héritier d’une dynastie royale) ou
« quoique Bourbon « ( il est avant tout un monarque constitutionnel) ? C’est cette question qu’examine l’auteur.

Il montre que si Louis-Philippe a cherché à affirmer sa légitimité dynastique, il est demeuré avant tout un monarque constitutionnel. L’ouvrage permet aussi d’analyser la situation des monarchies européennes ( c’est « l’été indien de l’ Europe monarchique » comme le dit l’historien A.Fahner) et extra- européennes ( l’Empire du Brésil est la seule monarchie d’Amérique latine, une monarchie constitutionnelle de surcroît),les tensions entre les monarchie libérales qui se présentent comme les représentantes de la nation ( c’est le début du règne de Victoria et de la « Welfare Monarchy »,la monarchie représentant le peuple en Angleterre) et les monarchies absolutistes fondées sur la légitimité dynastique et la religion dont l’exemple est l’ Empire d’ Autriche. Il faut aussi souligner que Louis– Philippe et les orléanistes pensaient que la monarchie libérale était à la fois l’aboutissement, la « récapitulation » disait-on à l’époque de l’histoire de France (c’est le sens du Musée de l’histoire de France de Versailles dédié à « toutes les gloires de la France », voulu par Louis- Philippe et inauguré en 1837) et le point de départ d’un régime dynastique et constitutionnel qui assurerait l’ordre et la stabilité du pays.

Il faut se garder d’une illusion rétrospective : nous savons que la Monarchie de Juillet a disparu en 1848, mais pour les contemporains le régime était fait pour durer. Toutefois le fait qu’il s’agissait avant tout d’un régime de notables a conduit à son échec. En fin de compte, l’ouvrage de Grégoire Franconie montre que le régime de Juillet, malgré des tentatives pour fonder une légitimité dynastique, a été avant tout une monarchie constitutionnelle. Trois raisons peuvent l’expliquer. En premier lieu, les idées politiques de Louis-Philippe, combattant à Valmy et Jemmapes et authentique partisan d’une monarchie constitutionnelle libérale. Il ne semble pas avoir souhaité outrepasser ses prérogatives constitutionnelles. Mis à part l’inauguration du musée de de l’histoire de France, sa « politique culturelle » qui aurait pu glorifier la monarchie a été modeste. En second lieu, l’accession au pouvoir de Louis– Philippe en 1830 ( le pouvoir a été proposé au roi par la Chambre et la Charte devient un contrat entre le roi et la nation) limitait ses pouvoirs. Enfin, la méfiance de puissances européennes, et en particulier l’Autriche, mais aussi l’Angleterre, face à une éventuelle politique d’expansion française en Europe, limitaient toute politique étrangère personnelle de Louis- Philippe. En fin de compte, c’est bien le portrait d’une monarchie constitutionnelle dans une France dominée par les notabilités que dresse l’auteur.

« Parce que Bourbon « ou » quoique Bourbon » ?

Louis-Philippe a, dans une certaine mesure, cherché à mener une politique dynastique. Bien que le père de Louis- Philippe, Philippe Egalité, ait été un régicide en votant la mort de Louis XVI, les Orléans cherchent à se rattacher à la dynastie capétienne et à se présenter en victimes de la Révolution. Ces relations sont cependant complexes. Après les émeutes de 1831 Louis- Philippe abandonne les armoiries fleurdelysées de la Maison d’Orléans remplacées par un livre ouvert portant les mots Charte constitutionnelle de 1830. Les fleurs de lys réapparaissent à partir des années 1840, dans une période plus calme.

Louis-Philippe valorise la continuité dynastique, comme le montre le célèbre tableau d’Horace Vernet de 1846 représentant Louis- Philippe et ses cinq fils sortant à cheval du château de Versailles. C’est dans le domaine de la politique matrimoniale que se manifeste le plus clairement la politique dynastique de Louis- Philippe. Il conçoit les mariages dynastiques comme des alliances entre princes souverains. Les enfants royaux doivent épouser des membres de familles princières. Louis Philippe y est d’autant plus attaché que sa famille fait l’objet de ce qu’il nomme un « blocus matrimonial », les Habsbourg ou les rois de Prusse se montrant hostiles à certains mariages qui renforceraient la puissance française en Europe. Le choix d’une famille princière importe d’avantage que la religion du futur conjoint. Deux enfants de Louis- Philippe épousent des protestants et des cérémonies à la fois catholique et protestante ont lieu lors des mariages. Les mariages relèvent parfois de la haute diplomatie.

En 1843 lorsque l’on envisage le mariage de la reine d’ Espagne Isabelle II, Louis- Philippe et la reine Victoria décident que le duc d’Aumale n’épousera pas la reine d’ Espagne pour ne pas accroître l’influence française en Europe. Il épouse en fin de compte une princesse de Bourbon-Sicile, mais l’un de ses frères épouse une infante. Enfin, Louis -Philippe noue des relations amicales avec des monarques libéraux comme le roi des Belges Léopold qui épouse une fille du roi des Français ou l’empereur du Brésil. Avec le Royaume-Uni, les relations sont plus complexes. Louis-Philippe rencontre la reine Victoria à Eu en 1843 et dès cette époque, on parle dune » Entente cordiale « voulue par Guizot. Cependant, les relations franco-britanniques sont aussi marquées par des tensions. Les relations avec les autres souverains ne sont pas purement dynastiques. Elles cherchent à renforcer le rayonnement de la France et le rôle des monarchies libérales en Europe.

Il ne faut cependant pas exagérer l’autonomie de Louis-Philippe qui demeure avant tout un monarque constitutionnel. Louis- Philippe bénéficie d’une liste civile annuelle de 12 millions de francs allouée par le Parlement, ce qui représente plus de la moitié de son revenu annuel de 20 millions de francs. Les relations entre l’Eglise et la monarchie illustrentégalement le caractère constitutionnel et laïcisé du régime. Louis-Philippe à titre personnel était un catholique sincère, mais il souhaitait séparer le domaine politique du domaine religieux. Contrairement à la période de la Restauration où le catholicisme était religion dEtat ,la Charte révisée de1830 dispose que le catholicisme est « la religion de la grande majorité des Français » comme sous le Consulat. Louis-Philippe cherche surtout à maintenir de bonnes relations avec la papauté et à gagner à sa cause une partie du haut clergé demeuré largement fidèle à la Restauration. Les relations avec le haut clergé ne sont pas exemptes de conflit.

En 1831, lors de la mort de labbé Grégoire ancien évêque constitutionnel, l’archevêque de Paris interdit que lui soient administrés les derniers sacrements. L’extrême onction lui est malgré tout administrée par l’abbé Guillon, sans doute à la suite d’une intervention du roi. Louis-Philippe parvient malgré tout à rallier certains membres du clergé et Grégoire Franconie cite l’exemple de l’abbé Guillon ( 1759-1847).L’ abbé Guillon, remarqué pour son éloquence , proche de la Cour avant 1789,hostile à la Constitution civile du clergé, vivant caché sous la Terreur, puis rallié à Bonaparte en 1803, rallié aux Bourbons en 1814 , devient ensuite aumônier de la reine Marie-Amélie, et un « orléaniste enthousiaste », ce qui provoque des conflits avec le haut clergé. Les stratégies matrimoniales des Orléans, ne sont pas seulement dynastiques ; elles sont perçues comme une défense de l’intérêt national et ne s’opèrent pas sans le soutien ou l’accord du gouvernement ou de certains ministres, en particulier de Guizot Ce sont des diplomates qui négocient les futures alliances matrimoniales.

La plupart des mariages ne provoquent pas de débats, mais en 1846-1847, les « mariages espagnols » (un des fils de Louis- Philippe épouse une infante espagnole tandis que la reine d’Espagne épouse un autre Bourbon), provoquent une détérioration des relations franco-britanniques, les Britanniques étant hostiles à une trop grande influence française en Espagne, et suscitent des débats à la Chambre et au-delà. Flaubert y fait allusion dans « L’éducation sentimentale » et Lamartine, qui déplore la détérioration des relations franco-britanniques au profit des alliances dynastiques, publie un article sur le sujet dont le titre « Voulons- nous être une nation, voulons-nous être une dynastie ? » résume bien l’enjeu du débat.

Sacralité dynastique ou monarchie nationale ?

Louis- Philippe cherche à conférer un caractère sacré à la monarchie, à créer ce que l’historien Alphonse Dupront nomme « une recharge sacrale ». Cette sacralité s’organise principalement autour de la nécropole de Dreux, préférée à Saint-Denis. Les Orléans en font leur nécropole familiale. Elle consacre Louis-Philippe à la fois comme l’héritier des dynasties qui l’ont précédé, mais aussi comme le fondateur d’une lignée royale. La chapelle royale est construite en style néogothique, très en vogue au XIXème siècle. Pour les tombeaux, Louis- Philippe renoue avec le modèle du gisant qui n’était plus en usage depuis la Renaissance. Les funérailles des enfants royaux parmi lesquels Marie d’Orléans dont l’ouvrage nous apprend qu’elle était sculptrice, donnent lieu à des cérémonies. Il n’est pas sûr cependant que Louis- Philippe ait pu créer autour de sa dynastie un sentiment de sacralité.

C’est en effet le caractère moderne et national de la monarchie qui l’emporte. Louis -Philippe semble avoir éprouvé une réelle répulsion pour la peine de mort et il fait usage de son droit de grâce pour commuer environ un quart des condamnations. Victor Hugo, qui par ailleurs qualifie Louis- Philippe de » roi de plein jour », salue cette politique dans « Les Misérables ». En 1837, lors du mariage du prince royal, Louis -Philippe amnistie les prisonniers politiques. Il ne dédaigne pas les rencontres avec la population, mais les nombreux attentats dont il est la cible ( le plus meurtrier est l’attentat de Fieschi en 1835 qui fait dix-huit morts et des dizaines de blessés) limitent la présence royale. Autre signe du caractère national de la monarchie Louis- Philippe valorise la garde nationale.

Une « politique culturelle « relativement modeste renforce le caractère national de la monarchie. La réalisation la plus importante est la création, voulue par Louis-Philippe, du Musée de l’histoire de France à Versailles en 1837, mais on peut également citer l’inauguration de la colonne de Juillet, place de la Bastille en1840. Certains évènements tragiques viennent renforcer le caractère national de la dynastie. En 1842, Ferdinand dOrléans, l’héritier du trône, meurt dans un accident de cabriolet. Ses funérailles sont l’occasion de célébrer le « prince– soldat » ( il a participé à la conquête de l’ Algérie). Le mariage des enfants royaux est aussi l’occasion de renforcer le caractère national de la monarchie. Sous la Restauration, les invités des mariages royaux appartenaient en grande partie à la noblesse d’Ancien Régime Sous la Monarchie de Juillet, ils appartiennent à la société bourgeoise : parlementaires, ministre, hauts magistrats, peintres, écrivains. En 1846 le prince de Montpensier avait dit à Alexandre Dumas : » Venez à mon mariage. Il est important que vous et M. Hugo soyez à une fête nationale ». Toute une série d’objets ( porcelaines, médailles) relaient ces commémorations. Cependant, la monarchie de Juillet est d’avantage une monarchie nationale qui s’adresse aux notables, aux corps constitués qu’une monarchie populaire.