Avec la nouvelle édition augmentée de L’incroyable histoire de l’Église, Olivier Bobineau, sociologue et politologue spécialiste des religions, et Pascal Magnat, dessinateur au ton libre et « irrévérencieux », livrent une fresque monumentale : plus de deux mille ans d’histoire du christianisme racontés avec érudition, humour et profondeur. De la prédication de Jésus en Galilée jusqu’à la fin du pontificat du pape François, en passant par sa rencontre symbolique avec J.D. Vance la veille de sa mort, l’ouvrage se clôt sur l’élection du pape Léon XIV, annonçant un nouveau pontificat dans un contexte de fractures internes et internationales.
Cette bande dessinée, inscrite dans la collection L’incroyable histoire de…, relève le pari audacieux de conjuguer savoir universitaire et esprit critique, rigueur historique et humour décalé, pour rendre accessible à tous la complexité de l’histoire de l’Église catholique.
Une traversée de vingt siècles d’histoire religieuse et politique
Dans cette nouvelle édition, Olivier Bobineau et Pascal Magnat proposent une véritable épopée de la foi et du pouvoir. Le récit s’ouvre sur les origines du christianisme, à travers la figure de Jésus de Nazareth, un homme de son temps, enraciné dans la culture juive, petit, basané, aux cheveux crépus, loin des représentations caucasiennes des icônes occidentales. Son message d’amour universel, l’agapè, révolutionne son époque : il prône la fraternité entre les hommes, la dignité des femmes, le refus du marchandage religieux, la pauvreté comme richesse spirituelle et la séparation entre pouvoir temporel et autorité divine. Mais très vite, les premières communautés chrétiennes se divisent : Paul, Pierre et Jacques débattent déjà de la fidélité à la Loi juive, signe des premières tensions entre la mystique du message et la structuration politique d’une Église naissante.
Cette tension entre spiritualité et pouvoir traverse tout l’ouvrage. L’auteur montre comment, dès les premiers siècles, l’Église se construit sur des compromis théologiques et des rapports de force : Ignace d’Antioche établit la primauté d’un seul évêque, Constantin reconnaît le christianisme, puis Théodose en fait la religion officielle de l’Empire romain. Le pouvoir papal se théorise autour de l’an 500, lorsque les papes deviennent à la fois gardiens du salut des âmes et arbitres du destin des rois. Olivier Bobineau rappelle les excès de cette sacralisation du pouvoir : le concile, au IXᵉ siècle, où le pape Étienne VI fit juger le cadavre de son prédécesseur ; la corruption du clergé dénoncée par la réforme grégorienne.
Elle évoque aussi les croisades et leurs violences, qui mêlaient foi, politique et ambitions territoriales, et la création des ordres mendiants, porteurs d’une spiritualité tournée vers la pauvreté et le service des plus fragiles. Elle explore la richesse de la scolastique médiévale, où théologie et philosophie tentaient de comprendre l’ordre du monde, ainsi que les complots et légendes entourant les Templiers. La bande dessinée aborde aussi les mutations religieuses et politiques, comme la naissance du gallicanisme, la Réforme protestante de Luther et les bouleversements de la Contre-Réforme, le jansénisme, jusqu’à la position de l’Église face aux Lumières et à l’expansion coloniale et missionnaire. Loin d’un simple récit religieux, c’est une plongée dans l’histoire politique, sociale, économique et artistique de l’Europe et du monde, où l’Église apparaît à la fois comme force de civilisation et source de conflits, un lieu où s’affrontent la lumière de la grâce et l’ombre du pouvoir.
Au XXᵉ siècle, le catholicisme a été confronté aux défis de la modernité ainsi qu’à l’émergence de nouvelles idéologies. Les grandes doctrines politiques de cette époque, comme le nazisme et le communisme, ont contraint l’Église à adopter des positions variées à leur égard, allant de la confrontation ouverte à des formes plus nuancées de compromis. Sur le plan social et culturel, l’Église a dû réfléchir à sa place dans un monde industrialisé et en mutation : elle oscillait entre intégrisme, défense des valeurs traditionnelles, et pensée sociale, incarnée dans ses encycliques sur le travail, la justice et la solidarité.
Cette tension révèle un catholicisme qui cherche à conjuguer fidélité à sa doctrine et adaptation aux bouleversements du monde moderne, dans un équilibre fragile entre conservatisme et engagement pour le bien commun.
L’ouvrage s’achève sur les bouleversements contemporains : les papes du XXᵉ siècle, les crises internes de la Curie, la confrontation à la modernité et à la sécularisation ou les transformations internes, notamment les réflexions théologiques et pastorales qui ont abouti au concile Vatican II, marquant un tournant dans sa manière d’aborder la modernité et le dialogue avec le monde contemporain. L’ouvrage n’oublie pas d’aborder la place des femmes et la question du progrès scientifique. Les dernières pages, inédites, conduisent le lecteur jusqu’à la fin du pontificat de François, à sa rencontre avec J.D. Vance la veille de sa mort, et à l’élection de Léon XIV, symbole d’un nouvel âge du catholicisme, partagé entre renouvellement spirituel et fractures géopolitiques.
Une œuvre érudite, tendre et parfois déroutante
L’incroyable histoire de l’Église impressionne par la densité de son travail documentaire et la qualité de sa synthèse. Olivier Bobineau condense vingt années de recherches universitaires en un récit clair et accessible, capable de faire dialoguer les sciences humaines et la théologie. Véritable « petite encyclopédie politique, religieuse et culturelle », la bande dessinée donne à comprendre les multiples dimensions de l’institution ecclésiale : spirituelle, sociale, économique, artistique, mais aussi profondément humaine. Ce travail de fond, d’une rare précision, en fait un outil précieux pour quiconque s’intéresse à la manière dont le message évangélique a traversé les siècles et s’est parfois transformé en système de pouvoir.
Cette ambition encyclopédique avec sa profusion d’informations, toutefois, peut parfois alourdir la lecture. Mais, le talent de Pascal Magnat réussit à alléger l’ensemble. Son dessin vif, mordant et résolument humoristique agit comme un contrepoint salutaire à la gravité du propos. L’artiste use de la caricature et de la provocation pour bousculer une institution souvent perçue comme rigide. Les papes, les empereurs, les moines ou les théologiens deviennent des personnages hauts en couleur, tour à tour ridicules et sublimes. Cette distance ironique ne cherche pas à ridiculiser la foi, mais au contraire à souligner l’écart entre l’idéal du Christ et les dérives humaines de l’Église.
En définitive, L’incroyable histoire de l’Église est une œuvre d’une grande érudition et d’une profonde humanité. Elle réussit à conjuguer la rigueur d’un traité universitaire et la légèreté d’une bande dessinée grand public. Entre humour et réflexion, entre mystique et politique, Olivier Bobineau et Pascal Magnat livrent une fresque salutaire : celle d’une Église faite d’ombres et de lumières, de saints et de pécheurs, de foi et de pouvoir.


