CR par Stéphane Moronval, professeur-documentaliste au collège de Moreuil (80)

Relative exception dans un paysage éditorial français qui reste encore frileux en ce qui concerne une thématique pourtant aujourd’hui bien réhabilitée, les éditions Économica ont le mérite de consacrer à l’histoire-bataille la collection « Campagnes et stratégies ». Celle-ci compte aujourd’hui plusieurs dizaines de titres, dont certains consacrés à des sujets peu abordés ; l’une de ses dernières publications s’attache ainsi à l’étude de la bataille de Mohács, en août 1526. Cet affrontement entre les forces menées par le roi de Hongrie Louis II et l’armée ottomane du sultan Soliman Le Magnifique, dans un paysage de plaines et de collines situé sur la rive droite du Danube, à quelques 180 km au sud de Budapest, s’avéra décisif et lourd de conséquences : se soldant par une lourde défaite des Hongrois et la mort du roi, il devait rapidement entraîner pour le pays la perte de son indépendance, pendant près de trois siècles et demi. Ce volume est rédigé par deux auteurs particulièrement qualifiés : János B.Szabó, conservateur au Musée Historique de Budapest, spécialiste de la cavalerie légère, est déjà auteur de récents travaux en hongrois sur le sujet ; Ferenc Tóth, professeur à l’université de Hongrie occidentale de Szombathely, a étudié à la Sorbonne sous la houlette de Jean Bérenger et a récemment donné le récit d’une autre bataille livrée en Europe centrale contre les Turcs, celle de Saint-Gotthard en 1664 (on se permettra ici de renvoyer au compte-rendu de ce livre dans la Cliothèque : http://www.clio-cr.clionautes.org/spip.php?article1686).

Soliman met la Hongrie à terre

Comme celui-ci, le présent ouvrage s’articule classiquement en 6 parties éclaircies par des intertitres et qui s’enchaînent logiquement. « La Hongrie médiévale et l’Europe » (p.1-24) brosse un tableau rapide de l’histoire du royaume jusqu’à l’avènement de Louis II, montrant en particulier la montée en puissance de la menace née de l’expansionnisme ottoman à partir de la fin du XIVème siècle. Un premier coup sérieux est porté lors de « la campagne de 1521 » (p.25-38) : les troupes du nouveau sultan Soliman parviennent à s’emparer de Belgrade et Szabács, s’assurant le contrôle de points de passage indispensables sur la Save. Dans les années qui suivent, la diplomatie hongroise tente d’obtenir des secours des autres Etats chrétiens d’Europe ; mais « les relations internationales au début du XVIème siècle » (p.39-48) sont telles que ceux-ci restent limités. Une nouvelle offensive de Soliman ouvre « la campagne de 1526 » (p.49-88) ; pour la contrer, Louis II concentre ses forces à Mohács. C’est là qu’a lieu, le 29 août, « la bataille sur le champ de Mohács » (p.89-125) : dans l’après-midi, les Hongrois se lancent à l’assaut, espérant prendre de court les Ottomans plus nombreux avant qu’ils ne soient réunis. La résistance du corps d’armée turc de Roumélie et l’arrivée sur le champ de bataille des troupes d’Anatolie et de l’escorte du Sultan mettent en échec leurs héroïques attaques ; la journée s’achève dans la déroute et les massacres. « Les conséquences de la bataille » (p.127-141) sont de grande portée pour la Hongrie et l’Europe : Soliman s’empare de Bude, la capitale, le 12 septembre ; le roi disparu, la noblesse hongroise elle-même décimée se divise entre deux prétendants au trône, l’archiduc d’Autriche Ferdinand de Habsbourg et le voïvode de Transylvanie Jean Szapolyai, dont la rivalité favorise l’occupation par les Ottomans de tout le centre du pays. Ottomans et Habsbourg ainsi renforcés restent finalement face à face dans l’ouest et le nord du pays, ce qui favorise, par hostilité aux seconds, la mise en place d’une coopération diplomatique et militaire novatrice et discutée de la France avec le Sultan.

Une bonne mise au point

Avec cet ouvrage spécialement destiné au lecteur français, les deux historiens hongrois offrent donc une mise au point claire et assez agréable à lire des événements. Le récit, linéaire, offre toutefois quelques analyses (par exemple sur la composition des deux armées) qui, sans être forcément exhaustives, n’en sont pas moins pleines d’intérêt ; il permet de bien saisir les fondements et les réalités de la bataille. Les auteurs s’appuient en effet sur un travail de recherche conséquent, faisant appel aux sources d’époque (on trouve ainsi en annexe, avec un troisième datant du XIXème siècle, deux récits contemporains de la bataille : l’un tiré du Journal de Soliman, l’autre dû à l’archiduc Ferdinand, dans une lettre à sa tante Marguerite, régente des Pays-Bas) et à divers travaux historiques. Utilisant, entre autres, des sources jusqu’ici négligées (telle la relation de la bataille rédigée l’année suivante par le chancelier Brodarics), et les résultats des recherches archéologiques menées sur le site, ils apportent maints éclaircissements et compléments sur des points qui ont pu faire l’objet de controverses ou d’approximations, particulièrement au sein de l’historiographie hongroise. Ainsi, on observera que la défaite d’une Hongrie déclinante était sans doute inéluctable, à court ou moyen terme, devant un empire ottoman en pleine expansion ; que l’armée de Louis II n’était pas constituée que de cavaliers et de levées féodales, mais comprenait aussi moitié de fantassins, et beaucoup de troupes soldées ; et, plus inattendu encore, qu’elle alignait de nombreux combattants polonais et tchèques…
Correctement complété d’une chronologie des conquêtes de l’empire ottoman, d’une bibliographie, d’un index et d’une table des matières, le texte est par contre desservi par la quasi-absence de cartes (2 en tout) et la pauvreté des illustrations qui, peu légendées, semblent souvent avoir une valeur plus esthétique que réellement informative.

Il n’en reste pas moins que l’ouvrage ne manquera pas de passionner le lecteur intéressé par la connaissance d’un événement qui devait grandement contribuer à façonner l’histoire ultérieure de l’Europe centrale.

© Stéphane Moronval