C’est un ouvrage passionnant que les Presses de sciences po réeditent en 2009. La première édition étant parue en 2001, sous le titre, Cambodge, une tragédie de notre temps.
En effet, ce petit territoire de 181 035 Km², avec une population de 13.8 millions d’habitants actuellement n’a échappé à aucune des convulsions du siècle.
Ce pays a vu passer guerres et espoirs, celui de la décolonisation, de l’échec du communisme, la tentative, vaine, d’échapper à la logique des blocs. Ce territoire et ses habitants ont été les enjeux de la guerre froide, mais aussi de la rivalité entre la Chine et l’URSS. Deux guerres d’Indochine, la française (1946-1954) et l’américaine (1961-1973), ont également contribué à la destruction du pays.
Enfin, ce territoire a subi un des génocides du siècle, avec les Khmers rouges entre 1975 et 1979, une occupation militaire vietnamienne, entre 1979 et 1989, et l’installation d’un régime qui est loin d’être démocratique depuis, avec Hun Sen.
C’est dire l’importance de cet ouvrage qui permet, dans un volume de 213 pages, riche d’annexes, de cartes et de références, de connaître, au-delà des clichés et des raccourcis, l’engrenage d’une tragédie, maintes fois répétée.

Une grande histoire

L’histoire du Cambodge est celle d’un peuple, qui a connu entre 1181 et 1227 une apogée. L’Empire khmer atteint alors sa plus grande expansion territoriale, englobant une grande partie de la Thaïlande et du Laos actuels. Les temples d’Angkor, les travaux hydrauliques, des routes et des hôpitaux sont des vestiges de cette époque qui a laissé d’ailleurs de très nombreuses traces en Thaïlande, (Royaume du Siam.)
Mais les Empires sont mortels, et cette puissante construction politique était en réalité fragile. L’irruption des Mongols au Nord de la péninsule indochinoise vient entrainer la décadence de l’Empire khmer. Les attaques extérieures, les conflits internes, la lente dégradation du système hydraulique sophistiqué qui avait permis de nourrir une population nombreuse portent le coup de grâce à cette construction politique. En 1431, la prise d’Angkor Thom par les Siamois place le Cambodge dans un état de vassalité. Peu à peu, les Vietnamiens, commencent à peser sur l’évolution du territoire et seule la colonisation par la France, avec le Protectorat de 1863, évite au pays de disparaître par une sorte de partage entre le Royaume de Siam et l’Empire du Hué. (Vietnam).
La décolonisation du Cambodge a eu lieu 1953, par la négociation. Paris, confronté à la guerre d’Indochine (1946-1954), a dû composer pour éviter une guerre sur plusieurs fronts. Des nationalistes Khmers avaient, dès 1940, choisi de combattre le colonialisme. (Khmers dits issarak -libres)
Cet ouvrage permet également de comprendre la genèse de la tragédie Khmer rouge. Les Khmers dits issarak (libres) se sont rapprochés de ceux qui ne s‘appellent pas encore les Khmers rouges. Hostiles au régime du roi Sihanouk, quelques anciens étudiants khmers revenus de Paris – parmi lesquels le futur Pol Pot qui s’appelle encore Saloth Sar – et quelques jeunes Cambodgiens, déjà membres du Parti communiste indochinois (PCI), se fixent comme objectif l’installation d’un régime socialiste.
Le Prince Norodom Sihanouk arrive à maintenir pendant un temps un équilibre fragile, notamment en faisant référence à un refus de s’engager dans la seconde guerre d’Indochine, la guerre américaine (1963-1973). En témoigne d’ailleurs la volonté de renouer des liens forts avec la France, concrétisée par le discours de Phnom Penh, du Général de Gaulle.

http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF94060215/discours-du-general-de-gaulle-de-phnom-penh-accueil-et-fete.fr.html

Cependant, à compter de 1967, les difficultés de vie des paysans, l’autoritarisme du régime, l’extension des combats au Sud-Vietnam décident (ou obligent) les principaux opposants à prendre la brousse, les uns après les autres. Déjà la guerre américaine du Vietnam (1961-1973) a débordé sur le royaume : d’un côté s’aggravent les bombardements de l’US Air Force, qui poussent bien des Cambodgiens dans les bras des Khmers rouges; de l’autre s’amplifie la présence des Vietcongs dans leurs « sanctuaires » du Cambodge.

Et une grande tragédie

En 1970, le roi Sihanouk, décide de quitter ses fonctions de chef de l’État. Il permet au Général Lon Nol, pro-américain de s’emparer du pouvoir. Déchu, exilé à Pékin, Et le « 17 avril glorieux » (1975), les Khmers rouges entrent à Phnom Penh et imposent au peuple cambodgien un calvaire strictement inimaginable dont le monde entier (ou presque) ignore longtemps la violence et l’absurdité criminelle (chapitre 1). Mais tout au long de leur conquête du pouvoir, ces tueurs qui avaient reçu un appui des communistes vietnamiens, du moins aussi longtemps que ces derniers s’étaient opposés aux Américains n’avaient, en effet, empêché le réveil de la vieille querelle qui, au cours des siècles et par intermittence, a opposé les Khmers aux Vietnamiens. Ces derniers décident, en 1979, de pénétrer au Cambodge en se posant en libérateurs du régime khmer rouge…
L’occupation du Cambodge n’est pas la fin du régime khmer rouge. Elle transforme le royaume en champ de bataille de la guerre froide et, encore davantage, de la querelle sino-soviétique.
Toutefois, l’antisoviétisme amène à d’étonnants rapprochements. Les Khmers rouges représentent pendant dix ans le Cambodge aux Nations Unies. L’épuisement des combattants et la décision de leurs « parrains » d’éteindre ce foyer qui gêne la détente ouvrent, à l’issue d’interminables négociations, la porte à une intervention massive des Nations unies en 1991 (chapitre 3).

Pour s’imposer, la paix doit encore attendre que les dirigeants khmers rouges se rallient au nouveau pouvoir, et que, après avoir été condamné par les siens, Pol Pot meure…
Enfin revenue, la paix est souvent encore ébranlée par les rivalités d’ennemis d’hier, associés aujourd’hui à la conduite des affaires. Royalistes et anciens Khmers rouges (dont ceux hissés au premier rang par les armes des Vietnamiens!) n’hésitent pas, en effet, à employer toutes sortes de manœuvres, y compris le recours aux armes pour éliminer leurs partenaires-adversaires (chapitre 4).

Aujourd’hui, le Cambodge renaît difficilement à la vie (chapitre 9). Il fait partie de l’ASEAN; toutefois, c’est plutôt vers l’aide des grandes puissances qu’il se tourne pour survivre (chapitre 8). Et notamment vers la Chine, comme à l’époque des Khmers rouges…

L’intérêt pour le Cambodge s’est réveillé avec l’ouverturedu procès de Douch, ancien professeur de mathématiques, devenu l’un des grands criminels du régime khmer rouge, directement responsable de la torture et de la mort d’environ 16 000 personnesdans le tristement célèbre Tuol Sleng (S 21).
Aujourd’hui un pouvoir d’apparence démocratique, a été mis en place (élections régulièrement tenues), avec quand même un homme fort et l’omniprésence de dirigeants largement corrompus.
Un développement économique non négligeable est en cours mais une exploitation forcenée l’accompagne – et largement illégale – de richesses patrimoniales (forêt et demain peut-être le pétrole) et d’appropriations des terres par de grandes familles liées à des protecteurs étrangers, du Japon, d’Australie et bien entendu de Chine.

© Bruno Modica