Une source majeure pour étudier l’Asie au XVIe siècle

Depuis la publication de son livre sur « l’Empire portugais d’Asie (1500-1700) » en 1999, l’historien indien Sanjay Subrahmanyam rend accessible l’histoire médiévale de l’Océan indien auprès des lecteurs francophones.

A la fin du XVe siècle, les Portugais cherchent à établir de nouvelles routes commerciales entre l’Asie et l’Europe, en évitant de passer par Constantinople, aux mains des Turcs Ottomans depuis 1553. Ils  atteignent le Cap de Bonne-Espérance puis l’Inde. L’arrivée de Vasco de Gama à Calicut en 1498 est un « fiasco diplomatique » (page 14). En 1505, le premier vice-roi des Indes portugaises Francisco de Almeida s’installe dans le Sud-Ouest de l’Inde à Cochin, à la demande du roi Manuel Ier du Portugal. Il encourage le commerce des marchands portugais et établit les premières relations diplomatiques avec les souverains locaux du Gujarat et du Vijayanagar. Tout au long du XVIe siècle, un véritable réseau d’établissements portugais se construit lentement sur les pourtours de l’Océan indien, à la fois en Afrique de l’Est (Sofala et Kilwa en 1505), dans le Golfe persique (Ormuz en 1515), sur la côte occidentale de l’Inde (Goa en 1510, Calicut en 1513, Diu en 1535), et même jusqu’en Extrême-Orient (Malacca en 1511, aux Moluques en 1522, Macao en 1557).

Dans sa préface, Sanjay Subrahmanyam présente d’abord une histoire abrégée de l’expansion portugaise en Asie au XVIe siècle. Il introduit ensuite un document unique, édité en intégralité dans ce livre : le Codex 1889 de la bibliothèque Casanatense de Rome. Datant du milieu du XVIe siècle, vraisemblablement de 1540 selon l’historien Roberto Barchiesi, ce codex est composé de plus de 150 aquarelles peintes par un artiste anonyme, vraisemblablement originaire de Malwa (Inde centrale) ou du Gujarat selon l’historien de l’art Jeremiah Losty. L’oeuvre aurait vraisemblablement été une commande d’un mécène portugais. De nombreux mystères entourent toujours l’auteur et le commanditaire de ce codex.

Analysé par l’historien allemand Goerg Schurhammer en 1956, ce codex se présente sous la forme de feuilles doubles. « Les dessins, très bien peints en aquarelle dans des couleurs vives, représentent en général deux personnes de la même région ou caste, d’un côté un homme, de l’autre, une femme » (page 35). Un moine portugais du collège de Goa, Joao da Costa, l’aurait possédé avant de l’envoyer à Lisbonne puis à Rome.

Il représente les nombreux peuples de l’Orient qui habitent à proximité des comptoirs portugais. Cafres du royaume du Monomotapa en Afrique australe, Maures de l’île de Socotra, Turkmènes habitant en Perse, marchands du royaume de Cambay, brahmanes de la côte de Malabar, métis du Konkan, Calos des îles Maldives ou encore païens de Sumatra, l’auteur dresse un panorama des populations rencontrées sur les littoraux septentrionaux de l’Océan indien.

Les peuples de l’Orient édité par Sanjay Subrahmanyam, Chandeigne, 2022, page 112-113

Ce livre remarquablement illustré de peintures en couleur est accompagnée de notices. A Goa, l’une d’elles présente le rôle des éléphants de guerre dans la conduite de la guerre entre le royaume musulman du Bijapur et le royaume hindou du Vijayanagar. Sanjay Subrahmanyam s’appuie alors sur les écrits d’explorateurs, de soldats et d’administrateurs portugais du XVIe siècle afin d’aider le lecteur à apprécier le contexte.

42. « Eléphant de guerre »

L’usage des éléphants de guerre a fascine tous les visiteurs européens, dès le premier voyage de Vasco de Gama. Cristóvão da Costa est le premier à mentionner la présence et le rôle du cornac.

Garcia da Orta : « ils servent les rois dans les batailles. Il en est qui possèdent mille éléphants, d’autres moins, et d’autre davantage ; on les mène à la guerre harnachés, en particulier sur le front et le poitrail, d’une armure semblable à celle des chevaux ; on accroche des clochettes à leurs flancs, on fixe à leur défense des armes, à la façon des fers de charrue, et l’on installe sur eux des palanquins où vont les Nayars qui les guident, et où ils emportent crochets et guisarmes. A présent et depuis peu, par ici, certains transportent de petits canons et des barils de poudre. Je les ai vus au combat : ils ne causaient d’autres dommage que de provoquer le désordre, et parfois la fuite des gens. On m’a dit que très souvent ils s’enfuient et provoquent plus de dégâts chez les leurs que chez les ennemis, mais cela, je ne l’ai point vu ».

Les peuples de l’Orient édité par Sanjay Subrahmanyam, Chandeigne, 2022, page 188

Les peuples de l’Orient édité par Sanjay Subrahmanyam, Chandeigne, 2022, page 120-121

Remarquablement illustré et édité de façon minutieuse, ce codex plonge le lecteur sur les traces des peuples de l’Océan indien dans le sillage des marins portugais. Une très belle édition à lire et à offrir.

L’auteur du compte-rendu tient vivement à remercier les éditions Chandeigne pour l’envoi et l’autorisation de publier deux planches du livre afin de présenter cette nouvelle publication.

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes