Voici un étonnant catalogue d’une exposition qui s’est tenue à la Bibliothèque de la ville de Genève de février à mai 2011. Étonnant par sa forme, un leporello i.e. un livre qui se déplie comme un accordéon, comportant à gauche un vrai catalogue d’exposition avec des descriptifs précis associés à des illustrations et sur le coté droit, des références bibliographiques très complètes.
Etonnant également par son contenu qui concerne l’apprentissage de la géographie d’après des ouvrages destinés à la jeunesse, appartenant à la collection de Bernard Huber, spécialiste de l’histoire des ouvrages de géographie pour les enfants.
Le titre de l’ouvrage provient de celui de Henriette Suzanne Brès, Mon premier tour du monde, publié vers 1904, qui décrivit les pays avec un texte alliant géographie physique, géographie économique et climats aux enfants qui en regardaient les images. Cette femme auteur avait une représentation moderne de l’égalité des peuples et l’étendue des connaissances géographiques à faire connaitre aux enfants. Des citations de cette auteure, des extraits d’ouvrages ponctuent avec humour cette publication.
Il s’agit bien de présenter un tour du monde non exhaustif des ouvrages publiés en Europe depuis le XVIe siècle jusqu’au début du XXe siècle, voyage dans le temps et l’espace que les enfants ont fait en tournant les pages. On assiste à la naissance de la pédagogie de la géographie dès le XVIe siècle avec comme outil, des cartes rassemblées dans des portefeuilles, ancêtres des atlas, des cartes à jouer, des abécédaires géographiques ou des jeux de l’oie cartographiques.
Le ladin des Dolomites
Sont présentés des ouvrages décrivant la Suisse et notamment le canton de Neufchâtel, avec une carte en relief d’Eduard Beck datant de 1853, qui montre clairement l’évolution de la représentation des croupes jurassiennes qui n’étaient en 1694 que des taupinières ombrées au sud-est sur la carte de David François de Neufchâtel. Un extraordinaire ouvrage en langue ladine des Dolomites, idiome actuellement parlé par 28 000 locuteurs, la plus petite langue vivante d’Europe, présentait sous forme d’abécédaire les beautés du Val Gardena et de sa culture locale. Oui, les terres irrédentes ont tenté une utilisation scolaire de leur langue en 1948. Mais qui, en France, enseigne encore les terres irrédentes ?
Dans le même ordre d’idée, en 1943, un éditeur publia un alphabet géographique centré sur la Turquie en caractère latin et non plus arabe comme le souhaitait Mustafa Kemal. Où est le centre en géographie ?
Les ouvrages rassemblées sont tous d’une grande rareté bibliophilique comme le livre rédigé et imprimé par Louis XV âgé de huit ans, Cours des principaux fleuves et rivières de l’Europe. On y découvre également l’ouvrage de Papillon de la Ferté, intendant des Menus Plaisirs de Versailles, qui a rassemblé des Elemens de géographie en 1782. La tentative didactique de Bouis, son Parterre géographique et historique (1753) présenté là dans un ouvrage aux armes de France, est fascinante : l’enfant se dessine le monde en se le représentant dans le jardin de ses parents, ici, les Tuileries. Un monde aux pieds de l’enfant avec des tentatives de changement d’échelle et d’orientation, toujours si problématiques en géographie.
Le travail des enfants déjà…
Ces livres sont essentiellement des livres de curiosité et non pas d’enseignement. Ouvrages d’abord destinés à l’aristocratie, ils sont déclinés pour la bourgeoisie quand celle-ci découvre le monde pour ses affaires, comme cet abécédaire géographique bilingue franco-allemand « orné de jolies gravures représentant les principaux peuples de la terre et les animaux qui appartiennent aux différents climats » qui énonçait déjà en 1820, ce qu’affirma à la chambre Jules Ferry soixante cinq ans plus tard, l’européocentrisme associé à la mission civilisatrice de l’Europe. Petite géographie vivante ou Géographie parlante, les livres présentent vers 1824 ou 1841, l’Afrique comme une terre exotique peuplée de nomades ou d’esclaves et non pas d’êtres humains comparables aux européens. Cette exposition ne montre pas le changement culturel apporté par les véridiques (et rares) récits de voyage destinés aux enfants.
Bernard Huber donne cependant quelques indications sur la fabrication d’images illustrées. Les enfants pauvres dans un atelier, colorient chacun avec une couleur, les planches des ouvrages des enfants riches à qui on offre ces livres comme ceux de la maison Emery qui publie alors à Paris de captivants récits de voyage.
Les illustrations indiquent la volonté de rendre lisibles les ouvrages avec un choix clair de frontispices, des polices de caractères facilement déchiffrables, des planches hors textes finement illustrées, d’abord rehaussées à l’aquarelle puis colorisées suivant les progrès de l’imprimerie. Cependant, si la forme de ces ouvrages destinés à la jeunesse est belle, parfois le contenu témoigne des ignorances du tournant du XIXe siècle : deux cartes de l’Amérique de 1783 ou de 1827 ont encore du mal à distinguer l’Amérique septentrionale de la Russie tandis que l’anthropophagie caractérise les descriptions géographiques des continents au delà de la mer de l’Ouest (Pacifique). De quoi effrayer les enfants et faire naître des fables de la géographie sur les terra incognata!
Ce bouquet de livres de géographie correspond au goût d’un collectionneur. Il indique clairement la variété de supports pédagogiques envisagés pour enseigner la géographie. En cela, ce catalogue peut être utile à ceux qui s’initient à l’épistémologie de la géographie. Il peut séduire tous ceux que les livres d’enfant font rêver.
Cet ouvrage est original comme son contenu qui illustre parfaitement les évolutions de la représentation cartographique et une forme de la littérature de jeunesse. Vous pouvez consulter quelques images sur le site :
http://www.ville-ge.ch/bge/presse/2011-02-bernard-huber/images.pdf
Pascale Mormiche