En ce moment même, la sonde Voyager 1, lancée en 1972, franchit l’héliosphère, zone d’influence magnétique du Soleil et se trouve à près de 17 milliards de km de la Terre. Jamais un engin construit par l’Homme ne s’est trouvé aussi loin de notre planète…

Les sondes Voyager et Pioneer ont été lancées pour explorer le Système solaire et en particulier les quatre planètes gazeuses que sont Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune.
André Brahic, astrophysicien français de renom, fut de cette aventure humaine aux confins du Système solaire pour analyser les données envoyées par ces explorateurs du XXe siècle.
Observer de plus près ces géantes d’une grande diversité, c’est étudier la naissance du Système solaire mais également celle de la Terre. Ainsi, a-t-on appris que la présence de Jupiter fut indispensable à l’éclosion de la Vie sur Terre…
C’est à la rencontre de ces mondes fascinants et intrigants et auxquels on doit beaucoup que nous invite André Brahic au travers de ce beau livre, au sens premier du terme.

L’invitation au voyage de Socrate

« L’homme doit s’élever au-dessus de la Terre, ainsi seulement pourra-t-il comprendre tout à fait le monde dans lequel il vit », Socrate.
L’invitation au voyage de Socrate lancée il y a près de 2 500 ans, n’a été relevée il y a seulement un peu plus de 30 ans avec l’envoi dans l’espace des sondes Voyager et Pioneer. Déjà, au XVIème siècle, la lunette de Galilée avait quelque peu précisé ces points lumineux dans le ciel se déplaçant avec la Terre, mais il faut attendre l’ère des robots radiocommandés pour enfin approcher ces astres étranges.
C’est en 1973 que des sondes « kamikazes », Pioneer 10 et 11, furent envoyées aux abords de ces géantes gazeuses afin de tenter de franchir la barrière d’astéroïdes et de tester le puissant champ magnétique de ces planètes. L’exploration du Système solaire marque alors un tournant comparable, dans l’histoire de l’humanité, aux voyages de Christophe Colomb et Magellan, selon André Brahic.

Ce sont les sondes Voyager qui, lancées en 1977, ont survolé en premier Jupiter, Uranus, Neptune et Saturne deux ans plus tard.
Puis, le satellite Galileo fut mis en orbite autour de Jupiter en 1995, Cassini tourne, lui, autour de Saturne depuis 2004. Enfin, en 2005, le module de descente Huygens a touché la surface de Titan, satellite de Saturne.
Aujourd’hui, les sondes Voyager, telles des bouteilles lancées à la mer, ont quitté le Système solaire et errent désormais dans l’inconnu, l’immensité et l’obscurité du milieu interstellaire…

La Terre est là grâce à… Jupiter

Cette exploration des huit planètes qui accompagnent la Terre dans la valse stellaire autour du Soleil nous permet de jeter un regard nouveau sur notre Terre et son histoire.
Ainsi, les astronomes ont pu reconstituer la genèse du Système solaire.
A l’origine, une nébulosité constituée de gaz s’est effondrée sur elle-même et a donné naissance à notre Soleil. Ensuite, la force de gravité a fait le reste. Des éléments solides (carbone, silicium, aluminium…) sont apparus à proximité du Soleil et se sont fondus pour former les quatre planètes telluriques que nous connaissons. Les gaz (hydrogène et hélium), eux, ont été rejetés vers l’extérieur du disque tournant autour de notre jeune étoile et se sont agglomérés pour constituer les géantes gazeuses.
Par l’exploration récente du Système solaire, les astronomes ont compris l’importance de Jupiter, formée bien avant les planètes telluriques. Son influence gravitationnelle aurait ainsi permis à notre jeune Terre de se développer en lui envoyant de la matière résiduelle.

Les géantes, un monde atmosphérique turbulent

Le monde des planètes géantes ne ressemble à rien de ce que l’on connaît : Elles sont des centaines de fois plus grandes que la Terre, elles n’ont pas de sol et leurs couleurs sont d’une grande diversité à l’image de la richesse dont elles témoignent.
Constituées de gaz d’hydrogène, elles comportent une atmosphère très souvent tourmentée, lieu de violents phénomènes météorologiques tels des tempêtes, cyclones, orages… Leur étude est fondamentale car elle nous fournit des informations sur les ingrédients présents lors de la création du Système solaire et que leur atmosphère a emprisonné, mais elles constituent également un laboratoire grandeur nature de phénomènes atmosphériques puissants que nous ne connaissons pas sur Terre.
En effet, sur Terre comme à la surface de ces géantes gazeuses, l’atmosphère est soumise à d’intenses mouvements de gaz. Cependant, ces mouvements sont très différents et dépendent de nombreux facteurs comme la quantité de rayonnement solaire reçu, la place de l’eau, la composition des gaz ou la vitesse de rotation de la planète. Cette diversité peut nous permettre de mieux comprendre les évolutions d’une atmosphère planétaire. Ainsi, on comprend aujourd’hui aisément les 450° de température qui règne sur le sol de Vénus dont l’atmosphère est composée de gaz à effet de serre…
Les fameuses bandes parallèles qui strient l’atmosphère de ces géantes sont dues aux mêmes mouvements de convection que sur Terre, sauf qu’ils peuvent générer des vents de plus de 2000 km par heure ! La fameuse tâche rouge de Jupiter, grande comme deux fois la Terre, est un anticyclone (en d’autres termes, une colonne de gaz) de plus de 200 km de hauteur !
Monde turbulent donc, mais aussi extraordinairement coloré. Si nous ne connaissons sur Terre que des nuages blanc-gris, ces géantes arborent d’épais manteaux aux couleurs riches et variées, du jaune au bleu en passant par le rouge… Ces couleurs reflètent la composition de l’atmosphère des planètes, chaque molécule de l’atmosphère (eau, ammoniac, méthane…) réagissant différemment avec la lumière du Soleil.

Les géantes, un monde de disques

Ces géantes sont, cependant, surtout connues pour leurs anneaux qui ceinturent leur équateur. Les disques avec les sphères constituent la forme la plus commune dans l’Univers. Cela s’explique aisément par la force de gravité.
Ces anneaux offrent aux astronomes de formidables laboratoires de physique. Ces quatre systèmes d’anneaux enserrant les géantes sont différents mais possèdent des points communs. Ils ne sont ni solides ni liquides mais sont constitués de petits corps (poussière, cailloux, rochers…) et s’étendent sur des distances considérables, au moins une centaine de milliers de kilomètres de rayon.

Les satellites des géantes, un monde de collisions et d’éruptions…

L’Univers est un milieu violent qui vit au rythme des éruptions, des geysers et des collisions. Le monde des géantes et de leurs satellites n’échappent pas à la règle.
La Terre n’a pas échappé aux collisions dans sa prime enfance, mais son activité interne générée par la chaleur de son noyau a effacé les traces de cette tumultueuse jeunesse. La Lune, elle, astre mort, n’a pu effacer les cicatrices laissées par les impacts de météorites.
Cependant, les astronomes ont été surpris de découvrir que, comme la Terre, les satellites solides des géantes comme Io, Titan, Encelade ou Triton ne dissimulaient que peu de traces de collisions spatiales. Ce constat les conduisit à admettre que ces satellites possédaient une activité interne liée à une forte source d’énergie générant de la chaleur suffisante pour gommer peu à peu ces cicatrices. Ces corps glacés abritent des volcans et possèdent des mers souterraines, témoins de cette activité interne.
Etudier le volcanisme du système solaire est un moyen de mieux appréhender le volcanisme terrestre. Ce volcanisme extraterrestre qui se développe dans des conditions de température, gravité, composantes chimiques différentes sculptent des paysages inconnus sur Terre comme en témoigne sur Mars, la fameuse montagne Olympus Mons culminant à 22km de hauteur, impossible sur Terre ! Sur d’autres, le cône n’a pas le temps de se former et ailleurs encore, c’est de la vapeur d’eau qui s’échappent des failles voire même de la glace et on parle alors de cryovolcanisme !
Ainsi, le satellite Io de Jupiter crache de ses entrailles, du soufre, du dioxyde du souffre, du sodium et du potassium jusqu’à plus de 300 km de hauteur dans un panache rouge-orangé ! Ce volcanisme incessant de Io est dû aux effets de marée de Jupiter ainsi qu’aux perturbations gravitationnelles de ses voisins provoquant alors la déformation de Io et son échauffement interne.
Encelade, très petit satellite de Saturne de la taille de quelques régions françaises, ne cesse d’expulser par des failles situées à son pôle Sud, des panaches de particules glacées dont certaines viennent alimenter les anneaux de Saturne.
Sur Titan, la brume épaisse qui l’enserre ne permet pas de conclure, de manière ferme, à un cryovolcanisme sur ce gros satellite qui pourrait alors cacher de l’eau en sous-sol et donc constituer un laboratoire pour étudier la chimie prébiotique.
Enfin, Triton est un petit satellite gelé de Neptune, l’astre le plus éloigné de la Terre jamais visité par une machine humaine et il abriterait une activité volcanique de type geyser.

Les satellites glacés des géantes, des laboratoires de la Vie ?

En effet, liquide, molécules, énergie, tout ce dont la Vie a besoin pour éclore est disponible sur les satellites des géantes.
Pour André Brahic, il est urgent d’y retourner afin de progresser dans la quête du chaînon manquant entre le monde inanimé et celui de la Vie.
Rechercher la présence d’eau à la surface des astres du Système solaire n’a cessé d’obséder les scientifiques. On a cherché de l’eau sur la Lune puis sur Mars, sans succès, bien que la présence de nappes d’eau souterraines sur la planète rouge ne soit pas exclue. C’est désormais vers les satellites des géantes que ce sont tournés les astronomes pour rechercher le précieux liquide, synonyme de vie possible.
Encelade et Europe, respectivement satellites de Saturne et Jupiter, pourraient en abriter. Des atterrissages sont prévus pour 2020… On sait déjà qu’à la surface de Titan coulent des lacs de méthane liquide.
Europe est couvert de glace d’eau mais dont une grande partie serait sous forme liquide, sous la croûte glacée, telle une banquise… La présence d’une mer souterraine se pose également pour Encelade dont les geysers illuminent le pôle Sud.
Des molécules de la Vie s’agiteraient-elles sous ces surfaces glacées ? La présence d’organismes variés sous les banquises terrestres et les profondeurs océaniques prouvent que la Vie peut se frayer un chemin au sein de milieux extrêmes, même si ceux de ces satellites sont plus hostiles.
Ici, l’épaisseur de la croûte glacée est cruciale. Ainsi, une fine couche glacée permettrait des échanges entre l’intérieur et la surface tout comme l’apport de matériaux extérieurs apportés par les comètes…
Seuls des sondages pourraient confirmer la présence d’organismes vivants même si la majorité des scientifiques n’envisagent pas les possibilités de trouver des formes de vie complexes sur ces satellites.

Le cortège des petits corps, archives du système solaire

En plus de leurs anneaux et de leurs satellites, les géantes sont accompagnées de petits corps stellaires de 1 à 400 km de diamètre.
Insignifiants par leur taille en comparaison des géantes, ces petits corps sont en réalité très précieux pour les astronomes car ils n’ont pas subi de transformation interne et ont donc enregistré fidèlement les épisodes de la vie du système solaire qu’ils ont traversé… Ils constituent donc des témoins de premier plan des origines de notre système solaire.
En dessous de 400 km, ces petits corps n’ont pas de forme sphérique et sont tous criblés de cratères. Ces petits corps entretiennent des liens étroits avec les anneaux des géantes en échangeant de la matière par exemple ou en exerçant une force d’attraction gravitationnelle.
La majorité ont été formés dans la nébuleuse protoplanétaire et renferment donc l’histoire du système solaire…

En quête de Vie ailleurs, les géantes extrasolaires…

Le 9 janvier 1992 puis le 6 octobre 1995, ont été découvertes les premières planètes extrasolaires.
Cependant, leur existence était supposée depuis très longtemps. En effet, Démocrite, déjà, enseignait à ses étudiants que notre monde n’était pas unique. En 1600, Giordano Bruno a payé de sa vie pour avoir affirmé que la Terre n’est pas au centre de l’Univers et que d’autres planètes orbitent autour de soleils comme le nôtre, les étoiles.
Détecter une planète est avant tout une prouesse technique car, contrairement à une étoile, une planète n’émet pas de lumière. Or, sans lumière, pas d’observation possible. De plus, la plus proche étoile se situe à 4 années lumières de la Terre. La détection des planètes est donc indirecte. Ainsi, une planète peut perturber le mouvement de l’étoile via sa masse ou masquer une partie de la lumière de l’étoile lorsqu’elle passe devant. C’est pourquoi les premières planètes détectées furent des géantes comme celles que nous connaissons. Il faut attendre 2008 pour que le satellite spatial Hubble photographie directement la première planète extrasolaire.
Aujourd’hui, en 2011, grâce aux progrès technologiques, 552 planètes ont ainsi été détectées et 425 systèmes planétaires recensés.
Ces recherches ont permis de mesurer la diversité de système solaire existant dans l’Univers, très éloigné du modèle que nous connaissons: orbites elliptiques, géantes gazeuses proches de l’étoile, planète autour d’un pulsar…

La question qui se pose alors aux astronomes est de savoir si notre système solaire est une anomalie dans l’Univers ou, au contraire, une banalité qui suggérerait que la Vie est un phénomène… Ordinaire…
C’est pourquoi les observations se concentrent sur une zone proche de l’étoile, la fameuse zone d’habitabilité, celle de la Terre, où les températures ne sont ni trop chaudes, ni trop froides, de manière à permettre l’existence d’eau liquide, préalable de la Vie.
Les satellites Kepler et Corot observent sans interruption le Cosmos avec un programme de plus 100 000 étoiles !
La découverte de cette variété de systèmes solaires et l’omniprésence de planètes géantes nous informent qu’elles jouent un rôle important dans la formation de ces systèmes planétaires. Ces observations ont aussi mis en avant un phénomène inconnu jusqu’alors, la migration des planètes. C’est ainsi que des astronomes ont imaginé que si Uranus migrait vers le Soleil, elle pourrait se couvrir d’un océan d’eau liquide…

Conclusion : le système solaire, laboratoire et nouvelle frontière

C’est un bel ouvrage au sens premier du terme, que nous offre ici André Brahic. Au fil de ces pages, le lecteur se transforme peu à peu en une espèce de Christophe Colomb du XXI ou XXIIème siècle parcourant le système solaire, notre nouvelle frontière de l’inconnu. Les sondes Voyager et Pioneer puis Cassini nous ont déjà ouvert la voie en nous faisant découvrir des mondes totalement nouveaux, dépassant même notre imaginaire de petit terrien.
Car en effet, c’est une des forces de cet ouvrage, et de la cosmologie en général, celle de joindre la science à l’imaginaire, d’allier le savoir aux rêves les plus insensés et inaccessibles…
La science et l’imaginaire s’allient ici, au fil de ce texte limpide et de ces images splendides ayant parcouru des milliards de km voire des années-lumière de distance pour tenter de répondre à LA question, à NOTRE question, « d’où venons-nous ? »
Cet ouvrage est également un hymne à l’intelligence humaine, à sa passion pour l’aventure et l’inconnu mais aussi à son courage et sa persévérance devant les défis technologiques, physiques et métaphysiques que pose la découverte spatiale et plus globalement celle de la connaissance.

Quel en est l’intérêt pour l’enseignant d’histoire-géographie du secondaire ?
La conquête de l’espace, enjeu politique et militaire mais surtout enjeu de connaissance, apparaît plus ou moins furtivement dans les programmes de 3ème et Terminale. Cette conquête fait partie intégrante de l’Histoire des hommes et il est pertinent de la replacer dans un contexte plus global : en moins de 3 millions d’années, dérisoire à l’échelle des 13,7 milliards d’années que compterait l’âge de l’Univers, l’Homme a conquis sa Terre, marché sur la Lune et envoyé des sondes aux confins du Système solaire.
L’enseignement de la cosmologie, l’histoire de l’Univers, ne figure pas dans les programmes du secondaire. Cela est regrettable car cette science pourrait, dans une certaine mesure, réconcilier nombre d’élève avec l’école et plus globalement avec le savoir en l’alliant au rêve et à l’imaginaire, ce dont manque cruellement l’école d’aujourd’hui qui n’a pas pour but de faire rêver, mais de contraindre et normaliser…
La cosmologie est une science de l’évasion dans l’espace lointain tout comme l’est l’histoire dans le temps…