La série documentaire ne propose cependant que de parcourir la période de 1904 à 2009 parce que basée essentiellement sur des images d’archives cinématographiques.
Dès l’introduction le ton est donné. Lyes Salem le narrateur pose la question : « mais qu’est-ce que ça veut dire être musulman pour la France d’aujourd’hui ? ». Et, comme pour mieux imprimer cette question dans une réalité quotidienne qui relève plus du ressentie, tous les préjugés en images défilent pour peindre la toile de fond du musulman en France.
Trois jeunes africaines et un bébé, assis sur un canapé de type européen, soulignent les caractéristiques de l’immigré : l’installation dans le pays (canapé) et la forte natalité (allocations diverses). L’image suivante, sans transition, montre un écriteau placardé sur une porte en bois qui semble être celle d’un garage ou d’une cave. On peut y lire « Mosquée de Dijon au fond de la cour ». La pauvreté, le rejet et peut-être l’impuissance à affirmer une identité transparaît ici. Quant à la troisième image, c’est celle d’une jeune fille qui porte un hijab, le voile islamique.
Puis, contrastant avec ces images qui sont trop fortement ancrées dans nos esprits, les réalisateurs, toujours sans transition, montrent un maghrébin qui lave sa Peugeot 504 sur le parking d’un immeuble HLM, deux de ses enfants étant à l’intérieur du véhicule. Il s’agit probablement d’une séquence datant des années soixante mettant en scène l’immigré friand de biens de consommation mais résidant dans un habitat social. Et comme pour mieux fixer l’image de l’immigré, celui qui n’est pas chez lui, l’image se déroule dans un poste frontière. Là, le fonctionnaire feuillette puis tamponne le passeport vert, le titre de séjour posé sur la table….
Cette courte introduction se répète dans chaque épisode comme pour mieux imprégner nos esprits de cette différence qui existe ou qui existerait entre les Musulmans de France et les autres habitants de France. Et bien que le narrateur nous dit qu’aujourd’hui ils font partie de l’histoire de la France et qu’il est temps d’écrire leur histoire, on a du mal à le croire tant les auteurs ont mis en avant les clichés qui les stigmatisent.
Ensuite, les auteurs nous proposent un découpage en trois périodes qui correspondent respectivement à 1904 à 1945 intitulée « les Indigènes » ; 1945 à 1981 intitulée « Immigrés » et 1981 à 2009 intitulée « Français ».
Si ce découpage chronologique peut satisfaire la logique de transition qui amène un indigène vers le statut de Français, il n’en demeure pas moins que la réalité historique de la vague migratoire musulmane est réellement écornée.
Episode 1 : Indigènes : 1904-1945
Dès les premières images on est surpris par le choix judicieux des séquences malgré l’anachronisme. En effet, cet épisode s’ouvre avec une vue de Marseille en 1920 (et non pas en 1904 !). Les auteurs nous montrent une rue commerçante, la rue d’Aubagne en nous disant de bien observer leur quotidien. C’est une population exclusivement masculine qui s’affère et le commentateur ajoute « personne n’imagine qu’un jour ils auront des enfants » (traduisez des familles). Et pour qui connaît la ville de Marseille, il sera frappé par la similitude. La même rue d’Aubagne aujourd’hui, femmes et enfants en plus, correspond à s’y méprendre à celle de 1920. Et c’est là que l’on a du mal à croire que l’indigène est devenu immigré puis Français. Ou il n’est pas Français ce qui est difficile à soutenir ou, il n’y a jamais eu d’indigène au sens évoqué.
Puis, en alternant un vécu relaté par des interviews et des images d’époque, les auteurs nous retracent le quotidien de ces quelques 5000 musulmans travaillant en métropole. Des travailleurs qui tranchent complètement avec l’image de l’indigène car nous dit-on « ils vivaient comme les autres travailleurs et la premières des choses a été de se vêtir comme les autres ouvriers». Seuls les rites cultuels les distinguent. C’est ainsi que nous apprenons que dans les mines, les ouvriers avaient demandé à faire correspondre la pause avec l’heure de rupture du jeûne. Mais, rajoute l’interlocuteur, la pratique du jeûne n’était observée que par quelques dizaines voire centaines de mineurs travaillant au fond du puits de mine. Et de préciser que ce rituel de la foi islamique était observé sur le lieu de travail en l’occurrence la mine. Il oublie simplement de préciser qu’il s’agit du Ramadan qui ne dure qu’un mois lunaire et que les pieux parmi les pieux observent l’année durant, quelques jours de jeûne à des occasions bien définies. En somme, on est loin de l’image du mineur musulman qui jeûne sur son lieu de travail…
Après ces images de dur labeur, les auteurs entrent de pleins pieds dans la Première Guerre Mondiale. Des images fortes, poignantes de ces bombardements et de ces musulmans conscrits qui participent au tirage au sort pour aller combattre sur les premières lignes. De la chair à canon disent les interviewés. Mais dès lors apparaît la spécificité musulmane, notamment pour le service d’inhumation. Respect pour l’homme ou simplement stratégie politique pour contrer les annonces allemandes appelant à la rébellion ? Rien n’a été épargné. Ni les prières en commun filmées, ni la construction de petites mosquées démontables pour le front. Et, à partir de 1916, la France réalise même un hôpital pour les Musulmans. Le message était alors : « la France aime ses Musulmans ». Si les troupes musulmanes qui montent à l’assaut démontrent bien la nécessité de ces soldats, pour leurs permissions en revanche, une autre nécessité s’est faite jour : celle de les éloigner de la population française en les « parquant » dans des camps.
Mais la Première Guerre mondiale c’est aussi l’époque où l’ouvrier musulman a remplacé l’ouvrier français appelé à combattre au front. C’est également l’époque où une certaine prise de conscience politique naquit. En 1918, la Grande Guerre s’achève avec un lourd bilan. Démobilisés, certains retournent chez eux tandis que d’autres abondent pour reconstruire le pays France. Mais ces ouvriers souvent considérés comme dangereux, sont tenus à l’écart du reste de la population dans des conditions sanitaires déplorables. Pourtant, le Gouvernement français fait ériger à cette époque la mosquée de Paris ! Puis la Seconde Guerre Mondiale approche et l’urgence est à un nouveau recrutement massif de soldats dans les colonies. L’histoire se répète….
Episode 2 : Immigrés : 1945 – 1981
Ce deuxième épisode s’ouvre avec une série de photos d’hommes seuls ou en groupe mais sans aucune femme ni enfant. Les auteurs mettent ici l’accent sur le particularisme de l’immigration musulmane qui est presque exclusivement masculine. Une immigration qui se conjugue au masculin est une immigration qui tend vers le retour au pays nous dit-on. Or, très rapidement les épouses les rejoignent. C’est le début de l’ère de l’enracinement. Mais un enracinement dans la difficulté de trouver un habitat salubre et pourtant nous dit un interlocuteur le « mélange » avec la population était très sain. Le raciste n’avait pas encore fait son entrée. Bref, la vie s’organisait et les images d’époque retracent ici des moments paisibles.
Pourtant, dès novembre 1954, alors que les ressortissants algériens sont les plus nombreux sur le sol français, la guerre d’Algérie éclate. Une guerre qui ne se cantonne pas aux portes algériennes mais qui a des prolongements en métropole. Des attentats sont perpétrés et toute la population musulmane devient suspecte. Dès lors, les images, les interviews sont exclusivement consacrés à la guerre d’Algérie comme si, tous les Musulmans de France étaient Algériens. La fin de la guerre d’Algérie soulève aussi le problème des harkis. Des harkis indésirables en Algérie indépendante mais mal accueillis en France pour laquelle ils ont pourtant combattu. Ce sont des musulmans en marge qu’il faut, nous dit-on, cacher.
Puis, et presque malgré l’indépendance algérienne, l’immigration maghrébine bat son plein. Néanmoins, si les Algériens viennent en famille, les flots de Tunisiens et de Marocains sont toujours composés exclusivement d’hommes. Mais tous vivent une grande misère, souvent dans des bidonvilles ou chez des marchands de sommeil. Leurs enfants grandissent toutefois au contact de la culture française.
Mai 1968 apporte avec son lot de contestation la question de l’immigration dans le débat public. On découvre que ces enfants d’immigrés musulmans sont comme tous les autres enfants. Ils écoutent les chansons yéyé, ont laissé pousser leurs cheveux, ont investi les clubs sportifs. En un mot, ils se sont fondus dans la société.
Des Musulmans que presque rien ne distingue et pourtant, c’est dans les années 1970 que la France découvre d’autres Musulmans venus du Sénégal, du Mali et de Mauritanie. Des immigrés dont leurs ancêtres ont également combattu pour la France. Mais des immigrés qui seront marginalisés comme l’ont été les Algériens avant eux.
Quant aux premières vagues migratoires d’après guerre, elles ont « bénéficié » des logements HLM ou se sont créés de véritables ghettos. Ainsi, Abdel Raouf Dafri devenu scénariste et qui présentera à Cannes le film « un Prophète » raconte comment son proviseur avait tout mis en œuvre pour le diriger vers une formation professionnelle de chaudronnier-soudeur. Le fossé s’est creusé pour des milliers d’enfants d’immigrés auxquels on avait pourtant appris à l’école « liberté égalité fraternité ». Et les interlocuteurs se souviennent des rapports tendus entre les jeunes et la police dans ces cités HLM. « La France ne les a pas vus grandir, elle va bientôt apprendre à compter avec eux » nous dit le narrateur. Car dès 1981, la donne change.
Episode 3 : Français : 1981-2009
Cet épisode débute avec une image d’ouvriers sortant d’une usine, maghrébins et non maghrébins. Une image du monde du travail certes, mais on en déduirait trop rapidement que Musulman rime avec ouvrier, spécialisé disait Abdel Raouf Dafri dans le deuxième épisode…
Mais au-delà, on relève une petite bourde dans le commentaire qui accompagne ces images. En effet, le narrateur nous dit : « En 1981, cela fait 75 ans que des musulmans travaillent en France ». Or, d’après le premier épisode ils travaillaient déjà en 1904 et même auparavant !
Mais dès les images suivantes on comprend bien que les auteurs souhaitent couler l’histoire de l’immigration musulmane dans leur moule. Ils nous montrent des jeunes enfants, puis une maman avec sa petite fille, toujours sur fond de cité HLM et avec le commentaire suivant : « Ils ont à présent des enfants qui ont grandi entre l’école et la culture d’origine à la maison ». Ceci est en contradiction avec les épisodes un et deux qui présentent un interlocuteur d’une petite soixantaine expliquant qu’il était en France à l’école républicaine avec ses amis avant la guerre d’Algérie. Historiquement ce montage est faussé. En réalité, vu l’âge des enfants ils seraient plutôt les enfants de la « génération regroupement familial ». Un regroupement familial initié par Jacques Chirac, Premier Ministre, et concrétisé en 1975 par la loi.
Et, sans que l’on comprenne le lien de causalité réelle, les auteurs avec des images empruntées aux villages fantômes dans les films de western, nous montre une cité HLM balayée par le vent, sous un ciel gris. Le commentaire qui l’accompagne nous dit que la crise sévissant depuis plusieurs années a eu pour conséquence un dépeuplement de ces cités HLM au profit d’une population miséreuse.
Ce qui permet non sans mal d’introduire le fameux 10 juillet 1981 au cours duquel des jeunes désœuvrés ont pratiqué ce que l’on nomme désormais des « rodéos ». C’est-à-dire des courses de véhicules dans les cités et pour finir l’incendie de ces derniers. Et de poursuivre avec une jeunesse musulmane (le narrateur dit arabe !) dont la France semblait ignorer l’existence jusque là. Mais, cette manière de présenter l’histoire, c’est tirer un trait sur l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981 avec ses régularisations de clandestins, ses facilités à l’installation en France, l’émergence de SOS racisme.
Au contraire, les auteurs lissent l’histoire pour ne retenir que la jeunesse musulmane qui s’est réfugiée dans la musique (Rap, Hip-hop…) ou dans la contestation avec le port du voile, voire plus grave avec le terrorisme, notamment Khaled Kelkal, ce jeune de Vaux-en-Velin. Si les images sont réelles parce que tirées des archives, la causalité n’est pas mise en évidence. Dès lors, la passerelle est toute trouvée pour dire, par les images et les commentaires, que le repli identitaire avait peu à peu pris le pas sur les revendications sociales. On passe donc d’un misérabilisme social ambiant pour ces Musulmans à un obscurantisme religieux. Mais la réalité est peut-être toute autre…
Les enfants nés dans les années soixante et soixante-dix n’ont pas grandi dans des cités HLM délabrées. Beaucoup ont même réussi à s’imposer dans la société française et occupent des postes honorables. D’autres ont réussi par le sport ! Les auteurs balaient toute cette réalité d’un revers de main pour mettre en avant le misérabilisme. Et les fameux clichés de l’Intifada importée en France et de la stigmatisation par le biais du 11 septembre 2001 viennent parachever ce tableau des Musulmans en France avant de s’ouvrir sur une lueur toute féminine… Trois femmes, Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade, toutes trois musulmanes qui sont issues de l’immigration et qui ont été nommées au gouvernement !
En conclusion, ces trois épisodes ont le mérite d’exister. Les images d’archives les plus anciennes rappellent à celles et à ceux qui ne le savent pas ou qui feignent de ne pas le savoir que nombreux sont les Musulmans qui ont versé leur sang pour la France. Ils ont combattu contre les ennemis de la France pendant que d’autres ou eux-mêmes une fois démobilisés, ont reconstruit la France. Mais, ces Musulmans ont aussi accompagné les trente glorieuses. Enfin, et le film ne le souligne pas assez, ils ont freiné le vieillissement de la France en « servant » la politique nataliste française. Tout ceci pourra être exploité par les enseignants dans le cadre de leur enseignement. De plus, les passages avant, pendant et après la guerre d’Algérie sont aussi très intéressants. En revanche, le troisième épisode 1981-2009 semble trop « orienté ». Il donne une version imparfaite des faits et surtout de l’enchaînement causes/conséquences.
Enfin et surtout, s’il fallait apporter une critique ce serait pour le titre « Musulmans de France ». En effet, les trois épisodes démontrent d’abord que les Musulmans sont venus d’ailleurs pour combattre ou pour s’installer en France. Ensuite que les Musulmans cherchaient à retrouver leur pays. Et enfin que la dernière génération se retrouverait dans un repli identitaire. Dès lors, le film aurait pu prendre pour titre « Musulmans en France » !
La préposition « de » utilisée dans le titre s’apparente à une relation d’appartenance. Les soldats musulmans ont combattu parce qu’ils étaient « de » France, les travailleurs ont connus des situations difficiles parce qu’ils étaient « de » France et qu’il fallait s’atteler à reconstruire ce pays. Les jeunes des banlieues sont des ados (parfois post-ados) « de » France qui s’égarent dans la religion par la voie de la contestation. Jamais l’accent n’a été mis sur le fait que ce sont des Français, musulmans de confession pour certains d’entres eux.